Retour sur le débat militaire en Israël : les 8200 ou les unités combattantes ?
Les soldats issues des unités technologiques se voient offrir des emplois bien rémunérés, tandis que ceux des unités combattantes s'interrogent alors qu'ils risquent leur vie

Deux individus louches en sweat à capuche se cachent dans un véhicule près d’un lieu d’auto-stop pour soldats, scrutant les militaires qui s’y trouvent et se préparant à tendre une embuscade à l’un d’entre eux. « Nous devons rester calmes. Il ne doit pas nous soupçonner », murmure le conducteur à son co-conspirateur. « Le plus important est de le faire monter dans la voiture. Une fois qu’il est à l’intérieur, il est à nous. »
Le duo prévoit-il de kidnapper et de faire du mal à l’un des jeunes hommes, une préoccupation toujours présente pour les soldats qui prennent des voitures ? « Enlève ton Apple Watch », dit la jeune femme à son partenaire de manière réprobatrice. « Mets la radio sur de la musique pop. Si c’est un podcast, il va voir clair dans notre jeu. »
Ce n’est pas un enlèvement après tout : la voiture est une Tesla, les deux malfrats sont des cadres snobs, et leur complot consiste à offrir au soldat, qui sert dans une unité de renseignement, un emploi confortable dans leur entreprise technologique.
C’est ce qui se passe dans un sketch diffusé récemment dans le cadre de l’émission satirique populaire « Eretz Nehederet », où l’on se moque du prestige croissant du service dans les départements techniques de l’armée au détriment des unités de combat. Ce sketch fait partie d’une série de sketchs de l’émission satirique visant l’industrie technologique.

Sur le lieu de l’auto-stop, la cible nébuleuse de l’opération se voit offrir une place, mais elle se rend compte de la véritable intention des conspirateurs lorsqu’elle remarque que l’un d’entre eux porte des chaussettes de Bob l’éponge. « J’ai déjà signé avec [la société rivale] CyberGod ! », s’alarme-t-il en s’enfuyant.
Un parachutiste bien bâti se penche alors près de la portière de la voiture et demande s’il peut se faire conduire jusqu’à la prochaine intersection. Le conducteur s’empresse de dire à son assistant virtuel « Fermez la fenêtre ! » et les conspirateurs déçus partent à la pêche d’une autre cible, laissant derrière eux le soldat combattant.
Depuis la création du pays, des générations de jeunes (et surtout d’hommes) ont grandi avec l’éthique du guerrier robuste, du combattant sans peur, comme l’Israélien ultime. Cet idéal a imprégné la culture et la mythologie nationales. Les unités de combat étaient, pour beaucoup, l’ambition suprême lors de l’enrôlement. Il s’agissait essentiellement d’un test de caractère, dont l’importance allait bien au-delà des trois années de service obligatoire : les traits de caractère cultivés par les soldats combattants – débrouillardise, audace, sacrifice, persévérance – étaient considérés comme une promesse de réussite dans la vie en général.
Cette ère touche-t-elle aujourd’hui à sa fin ?
Le nouvel idéal israélien
Alors qu’Israël s’affirme de plus en plus comme la « Start-Up Nation » et le paradis de l’innovation, que le pays fondé sur les idéaux socialistes de l’agriculture et du kibboutz se transforme en un pays de gratte-ciels et de consumérisme, le rêve israélien a lui aussi mué. Des emplois confortables dans le domaine de la high-tech sont le nouvel idéal pour beaucoup – et la base de ces vies lucratives est souvent ancrée, une fois de plus, dans le service militaire.

Au-delà du sketch télévisé, la question a également été soulignée récemment par le chef d’état-major de Tsahal, qui s’est offusqué d’un panneau publicitaire pour une société de technologie déclarant que « Les meilleurs – à la technologie », un jeu de mots qui reprend l’ancienne devise de l’armée de l’air israélienne, « Les meilleurs – au vol ».
Le skecth et la publicité ont suscité un débat animé dans la presse israélienne et sur les réseaux sociaux sur les mérites du service dans les unités de combat par rapport au corps technologique, comme dans la prestigieuse unité 8200 de la division de collecte de renseignements.
De nombreux anciens de cette unité technologique d’élite ont dirigé des entreprises prospères spécialisées dans les questions informatiques, et le service dans l’unité 8200 est considéré comme donnant un avantage certain sur les autres lorsqu’on postule à un emploi dans le secteur technologique, souvent très lucratif. Cette situation a suscité une certaine frustration chez les combattants, qui risquent littéralement leur vie pour protéger le pays, mais constatent qu’ils sont pénalisés sur le marché du travail.
Dans une publication sur Facebook qui est devenue virale, Amit Maoz, ancien combattant et actuel employé du secteur des technologies, a déclaré que le sketch « Eretz Nehederet » lui avait fait l’effet d’un « coup de poing dans les tripes ». « C’est à ça que nous ressemblons ? » a-t-il écrit. « C’est tellement triste. Changeons cela. »

Maoz a noté que lorsque les soldats de combat sont libérés du service, ils n’ont aucune profession qui puisse leur servir dans la vie civile. S’ils veulent entrer dans le secteur de la technologie, ils doivent occuper des emplois subalternes pendant des années, tout en étudiant et en acquérant suffisamment d’expérience pour être retenus pour des emplois de bas niveau dans la haute technologie.
Selon lui, les entreprises technologiques et le pays en général passent à côté de nombreuses personnes très compétentes qui « sont chassées du terrain sans justification alors qu’elles ont tant à donner ».
Des valeurs déformées ?
Cette semaine, le chef de l’armée israélienne, Aviv Kohavi, s’est insurgé contre l’idée que les élites israéliennes devraient rejoindre les unités informatiques de l’armée, affirmant que « les meilleurs » restent ceux qui sont prêts à se sacrifier et à rejoindre les unités de combat.
« C’est une erreur », a déclaré Kohavi au sujet des panneaux publicitaires, alors qu’il s’exprimait lors d’une cérémonie de remise de diplômes aux nouveaux pilotes de l’armée de l’air. « Le message inhérent à ce panneau est plus profond qu’il n’y paraît. Il représente une perte de repères et des valeurs déformées au sein d’une partie de la population. Les meilleurs sont d’abord les combattants. »

« Qui défile en colonne silencieuse et capture les tueurs au cœur d’un village palestinien ? Les combattants. Qui est déployé le long des frontières et déjoue les infiltrations ? Les combattants. Qui franchit nos frontières semaine après semaine et s’envole pour attaquer les armes ennemies ? Les combattants », a rappelé Kohavi.
« Le cyber-espace a un grand potentiel, et apparemment, il rapporte beaucoup d’argent. Les gens qui y vont sont talentueux. Mais les meilleurs ? Ils se mesurent avant tout à leur volonté de donner au pays », a-t-il ajouté.
Ces dernières années, Tsahal a dû faire face à une baisse de motivation pour servir dans les unités de combat, en partie à cause des conditions difficiles rencontrées par rapport à celles qui servent dans un environnement administratif.
L’ancien soldat Golani Asaf Kazula, qui était présent à la cérémonie au cours de laquelle Kohavi a pris la parole, a déclaré au site d’information Ynet qu’il était heureux d’entendre les paroles du chef d’état-major. « Il y a certainement du respect pour le monde de l’informatique », a-t-il déclaré. « Ils font un excellent travail. Je n’attends pas de Tsahal qu’elle diminue leur statut ou leur importance, mais qu’elle améliore les conditions pour nous, les troupes de combat ».

« J’avais un sérieux désavantage lorsque j’ai été terminé mon service [militaire] », a-t-il rappelé. « Les soldats de combat reçoivent beaucoup d’offres pour le travail d’agent de sécurité et cela m’attriste. Ils devraient recevoir de meilleures offres, plus valorisantes. »
Un ancien ingénieur de combat identifié seulement comme Itai a déclaré à Ynet : « Si nous étions vraiment les meilleurs, nous serions traités comme tels. L’appréciation se manifeste par des actions, des avantages. Pendant ce temps, les personnes qui ont servi dans certaines unités obtiennent d’excellentes offres alors que les soldats de combat doivent travailler pour un salaire minimum dans des stations-service ou comme serveurs. »
Tout le monde est « le meilleur »
Dans sa publication, Maoz, notant que les anciennes troupes de combat étaient susceptibles de présenter des traits de personnalité recherchés par tout employeur (« dévoués, orientés vers la mission, ayant l’esprit d’équipe, capables de travailler sous pression »), a suggéré qu’il serait bénéfique pour toutes les parties que les anciens combattants « suivent une qualification raccourcie pour des emplois spécifiques dans le secteur de la haute technologie ».
« Ne serait-il pas préférable pour les entreprises de haute technologie d’obtenir deux années de travail supplémentaires de la part d’une personne talentueuse, qui, après un an de travail, pourra commencer ses études en bénéficiant de la sécurité de l’emploi ?… N’est-il pas préférable pour le pays d’obtenir deux années supplémentaires d’impôts au lieu de courir après les barmen pour récupérer leur pourboire ? »

Maoz a déclaré que cette question l’avait troublé avant même qu’elle ne commence à faire les gros titres, et qu’il travaillait avec plusieurs autres personnes sur une initiative visant à fournir une formation aux anciens soldats de combat.
Liran Mor, ancien commandant d’une compagnie militaire et actuel travailleur dans le domaine de la technologie, a déclaré à la Douzième chaîne qu’il avait « l’impression de se voir » dans le sketch « Eretz Nehederet », « assis à la station [d’auto-stop] et voir la fenêtre se fermer sur moi ».
Mor a déclaré que lorsqu’il a terminé son service militaire, il a trouvé extrêmement difficile d’entrer dans le monde de la technologie. « À 27 ans, j’ai dû commencer à tout apprendre à partir de zéro. »
Il a dit qu’il espérait pouvoir maintenant aider les personnes qui rencontrent ces mêmes difficultés.
« Le gouvernement devra intervenir et voir quels outils il peut donner aux combattants pendant leur service, ou à la fin de leur service », a déclaré Mor.

Eyal Waldman, ancien PDG de Mellanox Technologies et ancien soldat de la brigade Golani, a déclaré à la Douzième chaîne qu’il avait également été touché par le message de Maoz. Il a déclaré qu’il travaillait lui aussi à des solutions pour aider les soldats de combat à s’intégrer dans le marché de la technologie.
« Les écarts par rapport à ceux qui vont dans les services de renseignement, qui reçoivent une formation très poussée pendant leur service militaire, peuvent être comblés par des écoles préparatoires », a déclaré Waldman.
Un ancien de l’unité 8200, identifié comme Yonatan, n’a pas apprécié le fait que Kohavi semble déprécier des soldats comme lui pour faire l’éloge des troupes de combat.
Tout le monde est « le meilleur », a-t-il déclaré à Ynet. « Les soldats de combat couplés aux unités technologiques sont ce qui nous donne la supériorité sur nos ennemis ». Il a ajouté qu’il y avait des inconvénients à servir dans des unités comme la sienne.
« Je pense que les anciens de 8200 grandissent trop vite », a-t-il dit. « Ils n’ont pas de période de recherche de soi. Cela engendre une situation où des jeunes de 22 ans qui n’ont jamais travaillé dans des emplois précaires, qui n’ont jamais cherché ou ne se sont jamais demandé ce qu’ils aimaient, vont immédiatement étudier ou travailler dans la haute technologie, et c’est un [travail] exigeant ».
« C’est une arme à double tranchant. Tout le monde passe à côté de quelque chose. »
Le Premier ministre Naftali Bennett, un ancien soldat de l’unité de combat d’élite Sayeret Matkal et ancien PDG d’une entreprise de cybersécurité, a également touché au débat jeudi, sans toutefois s’adresser spécifiquement aux soldats combattants.

« Aujourd’hui, j’ai eu une séance de brainstorming avec plus de 100 des meilleurs esprits du pays, les PDG des entreprises israéliennes de haute technologie (une question qui, vous le savez, me tient à cœur) », a écrit le Premier ministre.
« J’ai partagé avec eux ma vision : faire entrer la périphérie [de la société] dans le monde de la technologie, faire venir des ‘haredim, des Arabes, des personnes que l’on voit moins dans ce domaine aujourd’hui. »
« Ensemble, nous pouvons apporter un énorme changement ici ».
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