Eretz Nehederet s’attaque aux excès dans le secteur de la high-tech
L'émission satirique dénonce certaines des tendances les plus colorées d'un secteur qui regorge d'argent et de dirigeants excentriques

La startup technologique israélienne Webos vient d’atteindre une valorisation d’un milliard de dollars et son excentrique fondateur, Nadir Hackerman, n’était que trop heureux d’être interviewé pour une chaîne de télévision israélienne locale sur le succès de l’entreprise. Les pitreries de Hackerman ont fait le tour de l’équipe de journalistes : il a vanté les mérites de la fontaine à ramen, du sanctuaire pour singes et du parc à chiens du bureau et a fait un saut dans la piscine à balles avant de rendre visite au groupe de l’entreprise Codeplay, avec l’auteur-compositeur-interprète Idan Raichel.
C’était l’entrée en matière d’un sketch diffusé la semaine dernière par l’émission satirique « Eretz Nehederet » (Un pays merveilleux), qui pointait du doigt certaines des tendances les plus farfelues de l’industrie high-tech, notamment les bureaux équipés de vastes espaces ressemblant à des aires de jeux pour enfants, de jeux vidéo, de nourriture gratuite, de bière à volonté, et de musique live, ainsi que de la mentalité « le travail, c’est la famille » destinée à maximiser le temps passé par les employés entre les murs de l’entreprise.
Comme toute bonne satire, le passage de sept minutes s’inspire de l’atmosphère réelle qui règne dans le secteur de la high-tech, qu’il s’agisse des conditions de travail, des avantages en nature et du flux apparemment gratuit de liquidités investies dans des idées parfois peu abouties ou du style de leadership charismatique de certains fondateurs.
Hackerman, interprété par le comédien Udi Kagan, est un gourou de la technologie aux cheveux longs et au verbe rapide qui évoque certains des acteurs les plus connus et les plus controversés du secteur, notamment Adam Neumann, cofondateur d’origine israélienne de la société de partage d’espace de travail WeWork.

L’entreprise était évaluée à 50 milliards de dollars à son apogée, mais elle a frôlé la faillite il y a deux ans à la suite d’une introduction en bourse malheureuse qui l’a plongée dans une spirale dramatique, en partie provoquée par certaines des activités de Neumann. Il a été contraint de quitter WeWork, qui a dû accepter d’être renfloué par son principal bailleur de fonds, la société d’investissement japonaise SoftBank. La société a depuis fait une entrée remarquée à Wall Street le mois dernier.
Ce n’est pas un hasard si, dans le sketch, Nadir (« rare » en hébreu) convainc à un moment donné des investisseurs japonais anonymes de s’engager à hauteur de 200 millions de dollars dans une idée montée à la hâte, consistant à diffuser des publicités dans les rêves des gens. La présentation est faite par la dernière recrue de Webos, un jeune homme qui travaillait auparavant chez un marchand de glaces. Encouragé par ses parents, le jeune homme est simplement entré dans l’entreprise et, à la suite d’une série de malentendus amusants, il s’est vu offrir un salaire mensuel de
80 000 shekels et deux Teslas (une à conduire pendant que l’autre est en charge), alors qu’il n’avait aucune qualification connue.
Le sketch rappelle également – bien qu’avec une saveur israélienne très prononcée – certaines des mésaventures de la comédie à succès de HBO « Silicon Valley », qui sert de critique pertinente de l’industrie high-tech américaine où la spéculation, les platitudes, le charisme et les TED Talks peuvent être synonymes d’aubaines même pour les entreprises technologiques sans produit ni modèle commercial clairement identifiable.
Ou, comme le dit Hackerman de manière absurde dans le sketch, « peu importe le motzar (« produit »), ce qui compte, c’est le produit ».
Comme c’est souvent le cas avec « Eretz Nehederet », les blagues sont mordantes dans leur façon de présenter la réalité actuelle de tant de gens. Le secteur dynamique de la high-tech, présenté comme le joyau de la « Start-Up Nation » mais qui ne représente que 10 % de la main-d’œuvre, est le visage que le petit pays en difficulté met en avant, même si la langue et la culture peuvent avoir l’air de stéréotypes dans le pays, où le salaire moyen est de 12 500 shekels et où la plupart des gens ne pourraient jamais rêver de posséder une Tesla.
Entrez dans ma piscine à balles
Le sketch commence avec Hackerman marchant dans un couloir en portant un jouet en silicone à bulles connu sous le nom de « pop-it » en forme de tête de licorne, parlant de son « addiction » à ce jouet et du fait que ses meilleures idées lui viennent à l’esprit lorsqu’il a le pop-it en main.

« Gett Taxi pour chiens ! », crie-t-il soudain, en référence à l’entreprise israélienne de mobilité Gett (anciennement Gett Taxi), qui est entrée en bourse avec une valorisation d’un milliard de dollars. « Les gars, ‘Gett Rexi’, notre nouveau produit ; commencez à exploiter les données », dit-il à un groupe de travailleurs dans une pièce.
Pour balayer une « mauvaise idée » qu’il a écrite sous la forme d’une équation sur une vitre, il la brise à l’aide d’une masse avant de sauter dans une piscine à balles entourée d’employés qui applaudissent.

La séquence montre ensuite un jeune homme, coincé entre ses parents sur un canapé, qui regarde le reportage sur Webos et s’émerveille des salaires mensuels des développeurs web et des ingénieurs logiciels dans l’industrie technologique. Cette partie touche un point sensible dans le secteur, où les entreprises technologiques, confrontées à une grave pénurie de talents, se livrent une concurrence féroce pour recruter des employés dans ces fonctions, avec des salaires mensuels de départ pouvant atteindre 20 000 à 30 000 shekels.
Le jeune homme anonyme, qui « nettoie les cornets » chez un marchand de glaces, rejette dans un premier temps la suggestion de ses parents de « travailler dans la high-tech » avant de changer d’avis lorsque Hackerman, à la télévision, affirme que l’entreprise ne sait plus où garder son argent après avoir « épuisé son stockage à la banque et avoir commencé à le télécharger sur le cloud ».
Le jeune homme saute dans un taxi où le chauffeur veut lui faire payer 300 shekels pour aller chez « les high-techs », un lieu inexistant qui impose au chauffeur d’activer l’application de navigation israélienne Waze (vendue à Google) sur son téléphone. Une publicité pour Webos surgit alors à l’écran, ce qui incite le chauffeur à plaisanter sur le fait que les publicités ont « poussé partout » et à demander : « Où d’autre ? Dans nos rêves ? »
Chez Webos, le glacier surprend Hackerman et une jeune femme, son bras droit. Ils sont en train de jouer à un jeu vidéo et célèbrent leur victoire en simulant maladroitement une étreinte à distance « à cause de Me Too », un mouvement déclenché en 2017 par les accusations d’agression sexuelle et de viol contre le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein.
« C’est ici les high-techs ? », demande le jeune homme à Hackerman et à son adjoint, ce à quoi elle répond que s’il est là pour un entretien, il n’a qu’à « aller à la kitchen [en anglais dans le texte] » et se faire « un coffee [en anglais dans le texte] ».
Le discours en hébreu ponctué d’expressions idiomatiques en anglais, que l’on retrouve tout au long du sketch, est caractéristique du secteur et reflète la façon dont le jargon de la high-tech américaine imprègne l’industrie locale. Hackerman et la jeune femme disent des choses comme “walk with me” (« marche avec moi ») et “let’s walk and talk” (« marchons et parlons »).
En réponse à la suggestion qui lui est faite de se servir aussi de la glace, proposée en trois parfums, le jeune homme dit : « C’est tout, juste trois ? Là où je travaille maintenant, nous en avons 24 ».
Hackerman et son bras droit se regardent et réalisent, à tort, que le jeune homme travaille manifestement dans une entreprise concurrente avec de meilleurs avantages – et qu’ils doivent le débaucher.
La femme se présente comme Didi, « cheffe des ressources humaines, cheffe des spécialistes mondiaux et cheffe de l’amusement », anciennement « cheffe du café » chez Webos, un clin d’œil aux titres parfois difficiles à manier dans l’espace technologique.
Lorsque Didi demande au jeune homme son CV, Hackerman l’arrête net : « Je vous l’ai dit mille fois, nous ne sommes pas une entreprise, nous sommes une famille. Un bébé n’écrit pas un CV à sa mère [en disant] ‘Je vais être dans l’utérus de mars à juin 2021’. T’as compris ? ».

Hackerman et Didi lui font visiter le bureau, lui montrent la table de billard, les fléchettes, la fontaine de bière, « la fontaine de ramen », le coiffeur, le boucher, le potager et la cuisine « fluide casher ». Lorsque Hackerman lui demande s’il a déjà sa Tesla, Didi sort une carte-clé et lui indique l’emplacement du véhicule.
Pendant la visite, le jeune homme répond à un appel de sa mère et lui dit « tu peux éviter de m’appeler toutes les cinq minutes, s’il te plaît ? ». – un échange que Didi et Hackerman interprètent comme l’appel d’un recruteur à la recherche des talents ostensiblement très demandés du jeune homme. Ils lui proposent 80 000 shekels pour commencer, un titre de poste comportant « au moins six mots » et « deux à trois » Teslas.
« Apportez-lui les nouvelles Tesla, pas celles de ce matin », lance Hackerman à Didi.
Les trois protagonistes se rendent ensuite dans une salle de conférence pour une réunion par vidéoconférence avec des investisseurs japonais, le jeune homme avec une assiette de nourriture à la main. Lorsque les investisseurs interrogent Hackerman sur le produit de Webos, il répond par une tournure de phrase absurde : « Nous mettons en relation les gens qui font une la communauté pour un monde meilleur de changements. »
Perplexes, les hommes d’affaires japonais posent à nouveau la question et Hackerman redouble d’efforts : « Lorsque nous parlons de produit, nous parlons de personnes ».
Alors que les investisseurs indiquent qu’ils n’investiront pas, Hackerman et Didi paniquent et, désespérés, se tournent vers le jeune homme nouvellement embauché, qui s’avère s’appeler Golan et qui est décrit comme « la personne numéro un dans la high-tech », pour suggérer une idée.
« Dites quelque chose, inventez quelque chose », chuchote Hackerman à Golan, qui produit immédiatement l’idée de « publicités dans les rêves » proposée en plaisantant par le chauffeur de taxi. Hackerman applaudit, les investisseurs s’engagent à investir 200 millions de dollars dans cette idée et l’appel se termine.
Lorsque Didi demande comment l’entreprise compte mettre en œuvre cette idée, Hackerman répond : « De quoi vous inquiétez-vous ? Nous avons ici une personne qui a travaillé dans une entreprise proposant 25 parfums de crème glacée. »
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