Un chef méconnu du Hamas serait à l’origine du retour des attentats en Cisjordanie
Selon des experts, Zaher Jabarin, basé à Istanbul et responsable du terrorisme en Cisjordanie, cherche à faire ses preuves en relançant les attentats suicides de grande ampleur
Fin août, le chef du Hamas, Khaled Meshaal, a prononcé un discours dans lequel il a déclaré que le groupe terroriste palestinien avait l’intention de relancer les attentats suicides commis par des Palestiniens de Cisjordanie contre des Israéliens.
Au cours des quatre jours suivants, deux voitures piégées ont explosé dans une implantation de Cisjordanie au sud de Jérusalem et un troisième attentat présumé a été neutralisé à l’entrée d’une autre implantation située au nord de Ramallah. Quelques semaines plus tôt, un terroriste qui marchait dans les rues de Tel Aviv a été tué lorsque l’engin explosif qu’il transportait dans son sac à dos a explosé inopinément.
Bien que relativement inefficaces – quatre Israéliens ont été blessés sans que leur vie ne soit en danger -, ces attentats ont tout de même permis de montrer que le groupe terroriste palestinien du Hamas tentait de revenir vingt ans en arrière, à l’époque où les attentats suicides étaient sa marque de fabrique.
Selon les analystes, c’est Zaher Jabarin, le nouveau chef du Hamas en Cisjordanie, qui est en première ligne pour orchestrer ces attaques.
Jabarin a pris ses fonctions à la suite de l’assassinat ciblé de son prédécesseur, Saleh al-Arouri, à Beyrouth au début du mois de janvier.
Basé à Istanbul, Jabarin reste une figure moins connue du haut commandement du Hamas, bien que ses antécédents reflètent ceux de dirigeants plus importants tels que Yahya Sinwar et al-Arouri.
Né à Salfit, en Cisjordanie, en 1969, Jabarin a rejoint le Hamas, alors naissant, à la fin des années 1980, jouant un rôle crucial dans l’expansion de la branche armée du groupe groupe terroriste palestinien, les Brigades Ezzedine al-Qassam, dans le nord de la Cisjordanie.
Il a été arrêté par l’armée israélienne en 1993 et condamné à la prison à vie, mais il a ensuite fait partie des 1 027 prisonniers palestiniens libérés en 2011, dans le cadre de l’accord visant à libérer le soldat franco-israélien Gilad Shalit de sa captivité à Gaza.
Comme Sinwar et Arouri, Jabarin parle couramment l’hébreu en raison des deux décennies ou presque de détention dans les prisons israéliennes, et il est estimé avoir une profonde compréhension de la société israélienne. Mais contrairement à eux, Jabarin, qui a été exilé en Syrie, est resté dans l’ombre et est inconnu de la plupart des Israéliens.
« Contrairement à Sinwar ou à Arouri, Jabarin n’est pas considéré comme particulièrement sophistiqué ou charismatique au sein du Hamas, ni comme un leader intelligent ou courageux », a déclaré Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes au Centre Dayan de l’Université de Tel Aviv.
« Il est donc impatient de prouver ses capacités, surtout au vu de l’héritage de son prédécesseur. »
Depuis sa base à Istanbul, Jabarin orchestrerait une nouvelle vague d’attentats suicides depuis la Cisjordanie, cherchant à frapper au cœur d’Israël alors que ses capacités à Gaza ont été fortement réduites. Bien qu’aucun attentat à la voiture-bélier ni attentat suicide n’ait été signalé au cours des deux dernières semaines, les experts estiment que la vague n’est pas terminée.
Hamas Political Bureau Member in Charge of the West Bank Zaher Jabareen: The Drops of Palestinian Blood Will Form a Roaring River of Resistance and Jihad; We Demand that the West Bank Rises in Support of Gaza #Palestinians #Hamas pic.twitter.com/zQxT36xiQj
— MEMRI (@MEMRIReports) April 16, 2024
Les attentats suicides étaient l’une des caractéristiques des opérations du Hamas dans les années 1990 et au début des années 2000, Jabarin ayant lui-même recruté Yahya Ayyash, connu sous le nom de « l’ingénieur ». Expert en fabrication de bombes, responsable de multiples attentats meurtriers au milieu des années 1990, Ayyash a été assassiné par Israël en 1996.
Depuis la fin de la Seconde Intifada, le Hamas semble s’être détourné des attentats à la bombe, dont l’exécution nécessite une planification et une organisation sophistiquées, bien qu’il ait encore perpétré des attaques sporadiques à l’aide d’explosifs.
Au cours des dix dernières années, le groupe terroriste palestinien s’est concentré sur le renforcement de ses capacités en matière de roquettes et de ses fortifications souterraines à Gaza, ainsi que sur les tirs, les attentats à la voiture-bélier et les attaques au couteau depuis la Cisjordanie.
Selon Milshtein, le retour de Jabarin aux attentats à la bombe s’explique par la frustration au sein du Hamas face à l’incapacité des Palestiniens de Cisjordanie à se joindre à la lutte contre Israël depuis le pogrom du 7 octobre.
« Depuis le premier jour de la guerre, Yahya Sinwar n’a cessé d’appeler à l’ouverture d’un second front en Cisjordanie », a estimé Milshtein.
« Pourtant, malgré près d’un an de conflit à Gaza, la Cisjordanie est restée relativement calme. Il y a maintenant une pression pour montrer que le Hamas en Cisjordanie peut contribuer à l’effort général. »
Les responsables israéliens pensent que Jabarin était responsable de l’envoi d’un élément du Hamas, Jaafar Muna, de Naplouse à Tel Aviv le 18 août avec un gros engin explosif destiné à un attentat suicide, selon le commentateur chevronné des affaires arabes, Yoni Ben Menachem, analyste principal du Centre de Jérusalem pour les Affaires étrangères.
À la suite de l’attentat raté de Tel Aviv, le Hamas a partagé sur les réseaux sociaux des affiches de propagande représentant l’image d’Ayyash et d’autobus bombardés, avec le slogan : « Qui restaurera la gloire
d’Ayyash ? »
Si les trois tentatives d’attentat à la bombe du mois d’août sont les premières à avoir failli aboutir depuis des années, la menace ne s’est jamais vraiment estompée, selon les experts.
« La motivation et la capacité pour ces opérations n’ont jamais disparu, comme en témoigne la découverte de multiples usines d’explosifs par l’armée israélienne en Cisjordanie au fil des ans », a déclaré Guy Aviad, un expert du Hamas et un ancien historien de Tsahal.
« Heureusement, nombre d’entre elles ont été déjouées. »
Un financier soutenu par Erdogan
L’influence de Jabarin s’étend au-delà des opérations terroristes. En tant que chef de longue date du bureau financier du Hamas, basé comme lui en Turquie, il contrôle des millions de dollars qui sont acheminés pour financer des activités terroristes, en particulier en Cisjordanie.
Après sa libération en 2011, Jabarin avait été exilé en Syrie, alors en proie à la guerre civile. Comme d’autres dirigeants du Hamas qui ont quitté Damas, Jabarin a passé des années à vivre entre le Qatar et la Turquie, pour finalement s’installer à Istanbul.
C’est là qu’il a pris la direction du bureau financier du groupe terroriste palestinien et qu’il a été l’adjoint d’al-Arouri, qui a vécu à Istanbul jusqu’en 2016.
Sous la direction de Jabarin, le département a investi des sommes considérables dans l’immobilier et les marchés boursiers turcs, tout en blanchissant les profits à travers un réseau de bureaux de change en Turquie, au Liban et dans le Golfe, a expliqué Aviad.
Ces fonds sont ensuite acheminés vers les terroristes du Hamas en Cisjordanie et à Gaza, a ajouté Aviad.
Le groupe terroriste palestinien bénéficie également des dons collectés par les organisations caritatives islamiques basées en Europe, en Amérique du Nord et dans d’autres parties du monde.
Les opérations financières lucratives du Hamas en Turquie ont prospéré avec l’approbation tacite du gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdoğan.
« Vous ne pouvez pas contrôler un bureau du Hamas en Turquie sans le consentement du gouvernement », a noté Aviad.
La volonté de la Turquie d’accueillir les dirigeants du Hamas est depuis longtemps un point de désaccord majeur qui affecte les liens entre Ankara et Jérusalem. En décembre, la Turquie avait mis en garde Israël de « graves conséquences » s’il ciblait des éléments du groupe terroriste palestinien sur le sol turc.
Grâce à la protection d’Erdogan, le Hamas peut opérer en toute liberté en Turquie, où le groupe terroriste a installé certaines de ses branches les plus importantes.
Avant Jabarin, al-Arouri aurait dirigé et aidé à financer des activités terroristes en Cisjordanie depuis la Turquie, notamment l’enlèvement et le meurtre de trois adolescents israéliens en 2014, qui avaient déclenché une vaste campagne de répression israélienne en Cisjordanie et une guerre de grande envergure à Gaza.
Outre le bureau financier du Hamas, la Turquie accueille également une partie du groupe terroriste palestinien, chargé de développer des capacités armées pour les unités du Hamas dans les Territoires palestiniens – l’autre partie se trouve au Liban.
Selon un rapport datant de 2021 de l’Alma Research Center, une note provenant d’une cellule du Hamas avait révélé que des centaines de milliers de dollars et d’euros avaient transité par ce bureau en utilisant des bureaux de change et étaient destinés à être utilisés dans des camps d’entraînement et à mener une formation de sniper.
Alors que le groupe terroriste palestinien subit de lourdes pertes à Gaza, les experts prédisent que la position de Jabarin au sein du Hamas prendra de l’importance, notamment parce qu’il s’efforce de relancer les attentats suicides très médiatisés depuis la Cisjordanie.
« Il y a un an, il n’était pas au sommet de la hiérarchie », a indiqué Milshtein.
« Mais aujourd’hui, je dirais qu’il est l’un des cinq principaux dirigeants du Hamas, surtout après la mort de Muhammad Deif, Marwan Issa, Ismaïl Haniyeh et Saleh al-Arouri. Il est responsable de la deuxième région la plus importante après Gaza. Il est devenu très important. »