Avec son approche « interactive » du récit de la Shoah, Yad Vashem vise la nouvelle génération
A Yad Vashem, la nouvelle expérience audiovisuelle et la pièce de théâtre posent question de l'enseignement de la Shoah après la mort des derniers survivants
Soucieuse de renouveler l’intérêt de son public, la célèbre institution de Jérusalem espère que ses deux nouvelles expériences immersives parviendront à faire connaitre et à faire comprendre aux nouvelles générations l’histoire de la mort programmée de six millions de Juifs, sans pour autant la banaliser.
En cette chaude nuit d’avril, une petite foule a pris place dans le tout nouvel amphithéâtre de plein air de Yad Vashem pour un spectacle audiovisuel inédit, un spectacle qui a été lancé au début du mois d’avril. Loin des scènes d’horreur et d’oppression dépeintes dans les expositions du musée, cet événement veut être une célébration de la vie et de la culture juives européennes en Europe avant la Shoah, et pas seulement une histoire de deuil.
« Pour nos enfants, ça a été la partie la plus intéressante de la journée », confie Noa, venue de Tel Aviv, qui a regardé le spectacle avec ses jeunes enfants après avoir parcouru les salles du musée en leur compagnie. « Dans l’ensemble, ce que nous avons vu était trop violent pour eux : ils n’avaient pas les clefs pour comprendre. Ce spectacle était beaucoup plus intéressant pour eux. Je le recommande à tous ceux qui viennent avec des enfants. »
Ce tout nouveau spectacle, lancé ce mois-ci dans la Vallée des communautés de Yad Vashem, est le premier d’une nouvelle série sur laquelle le musée compte s’appuyer pour attirer les nouvelles générations. Un peu plus tard au printemps, un nouveau théâtre immersif ouvrira ses portes, avec des pièces en hébreu et en anglais qui raconteront l’histoire des artefacts uniques des vastes collections qu’abrite Yad Vashem.
Quatre-vingts ans après 1945 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’International Holocaust Remembrance Alliance [NDLT : Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah] (IHRA), actuellement hébergée par Israël dans le cadre d’une présidence tournante, a fait de cette année « Le carrefour des générations ». Objectif : Aider à prendre acte du fait que la plupart des survivants des persécutions nazies ne sont plus parmi nous.
Les éducateurs chargés de sensibiliser à l’histoire de la Shoah et les institutions telles que Yad Vashem cherchent de nouvelles manières de porter le récit de la Shoah à un moment où disparaissent les derniers témoins oculaires du génocide, sur fond de regain d’antisémitisme partout dans le monde, de déclin de l’enseignement de la Shoah et de niveaux endémiques de désinformation en ligne.
« Il n’y a rien de mieux, pour comprendre la Shoah, que de s’asseoir devant un survivant et de l’écouter raconter sa propre histoire », explique au Times of Israel Dani Dayan, président de Yad Vashem. « C’est un peu comme si on était ici et en même temps à Auschwitz. Il n’y a rien de comparable. »

Or, selon la Claims Conference, il ne reste que quelque 220 000 survivants de la Shoah dans le monde, la moitié en Israël et l’autre moitié dans une quarantaine de pays.
Une sensibilisation stimulante
Des moyens nouveaux et innovants sont nécessaires pour transmettre l’expérience de la Shoah, précise Dayan au Times of Israel.
« Nos nouvelles installations nous permettent de prendre en charge deux aspects de l’enseignement de la Shoah qui ne sont généralement pas mis en avant : l’identité et le sens », explique Dayan. « Nous ne nous contentons pas de raconter une histoire, nous abordons les questions de la résilience, de la foi et de la recherche d’un sens à la survie. »
Comme pour toutes les nouveautés, il y a débat autour de ce qui est ou non approprié. La récente campagne publicitaire de Yad Vashem pour ses nouveaux projets, à grand renfort de musique dramatique et de visuels rapides, avec l’image d’un musicien souriant, a entraîné le doute chez certains Israéliens, qui ne sont pas convaincus de la pertinence de voir l’une des institutions les plus solennelles de leur pays tenter d’adopter une attitude « cool ».
« Nous avons pris des décisions audacieuses qui ont été tout sauf faciles et qui peuvent être mal comprises », poursuit Dayan. « Nous devons trouver le moyen de faire passer ce message aux jeunes générations. »
Choisir la bonne façon d’enseigner la Shoah à un jeune public n’est pas toujours facile, estime Scott Ury, professeur agrégé d’histoire juive à l’Université de Tel Aviv.
« Sur ces questions, il faut être particulièrement prudent sur la nature de ce qui est approprié selon l’âge », poursuit-il. « Il faut beaucoup réfléchir au message que l’on veut faire passer. J’espère que l’enseignement de la Shoah sera fait avec sensibilité et en phase avec l’âge de chacun. »
Dayan est convaincu que Yad Vashem est sur la bonne voie.
« Nous devons offrir à nos visiteurs une expérience émotionnelle, pas seulement intellectuelle », souligne Dayan. « Nous voulons que Yad Vashem soit un endroit où les gens viennent d’eux-mêmes – pas seulement dans le cadre scolaire ou touristique. Nous voulons que les familles viennent y passer le journée, et même qu’elles reviennent, pour découvrir tout ce que nous avons à offrir. »
La Vallée de l’histoire
Fondé en 1953 sur le mont Herzl à Jérusalem, Yad Vashem est un complexe tentaculaire de 18 hectares avec de nombreux bâtiments, mémoriaux, musées, centres de recherche et sites commémoratifs. Le jour de la venue du Times of Israel pour découvrir ces nouveautés, il règne une grande tranquillité dans les vastes jardins qui surplombent Jérusalem.
À 15 minutes à pied du centre d’accueil se trouve le monument de la Vallée des Communautés, un monument massif de plus d’un hectare taillé dans la roche et revêtu des noms de plus de 5 000 communautés juives détruites pendant la Shoah.
Une récente collaboration avec l’Union européenne (UE) a fourni 10 millions d’euros pour moderniser la Vallée des Communautés, en ouvrant les voies entre les différentes salles et en érigeant un amphithéâtre extérieur de 250 places où la nouvelle expérience audiovisuelle sera projetée en soirée.
La présentation de 30 minutes comprend une visite culturelle de l’histoire juive européenne, avec des témoignages personnels décrivant la richesse de la vie juive en Afrique du Nord et en Europe jusqu’à la veille de la Shoah. Le spectacle, adapté à la plupart des jeunes visiteurs, est un regard coloré et respectueux posé sur l’histoire juive – une histoire qui se termine abruptement dans la dernière scène, lorsque tout ce qui a été construit s’effondre face au régime nazi et que l’écran devient noir.
L’UE souhaitait développer ce projet pour souligner la place de la Shoah dans l’histoire de l’Europe, note un porte-parole de Yad Vashem. Le contenu a été développé de manière indépendante à Yad Vashem, sans intervention européenne, ajoute-t-il.
Les billets pour le spectacle nocturne seront disponibles sur le site Web de Yad Vashem. Une navette est disponible pour emmener les visiteurs depuis l’entrée principale de Yad Vashem, et les visiteurs sont invités à visiter le monument après le spectacle.

Toucher la mémoire
Dans un bâtiment voisin, la construction du nouveau théâtre « Touching Memory » est en cours d’achèvement. C’est là où quatre pièces individuelles différentes en hébreu et en anglais ont été développées pour aider les jeunes spectateurs à se connecter aux survivants à un niveau personnel.
Parmi les expositions, citons « Le peintre de la vérité et du mensonge », qui raconte l’histoire du peintre Leo Haas, dont les peintures ont servi de preuves dans le procès Eichmann ; « Unetaneh Tokef », l’histoire d’un alpiniste glacial se remémorant la foi d’un rabbin au milieu des horreurs des camps ; « Bar and the Toy Underground », l’histoire d’un petit garçon se cachant seul avec son ours en peluche ; et « The Curator », qui traite de la narration de l’histoire de la Shoah en Afrique du Nord. Le projet a été entièrement financé par un donateur privé anonyme qui n’a eu aucune contribution sur le contenu, fait remarquer Dayan.
Le choix du théâtre en direct comme moyen d’intéresser les jeunes est frappant, estime Daniel Feldman, maître de conférences en littérature anglaise à l’Université Bar-Ilan, spécialisé dans la littérature sur la Shoah.
« Il est poignant qu’avec tous les outils de haute technologie que Yad Vashem a à offrir, il ait choisi l’intimité de la performance en direct comme dernière réponse à l’ère post-survivants », déclare Feldman. « Ce pivot – de la numérisation des archives à l’humanisation des récits par le biais de la performance en direct – montre qu’il n’y a pas qu’une seule façon de se souvenir de la Shoah », continue-t-il.

Perspectives de croissance
Yad Vashem s’est également développé d’autres manières. L’année dernière, il a ouvert le David and Fela Shapell Family Collections Center, un bâtiment de cinq étages où il stocke et préserve des dizaines de milliers d’artefacts, y compris des œuvres d’art, des photographies, des témoignages, des artefacts et d’autres documents.
De nouveaux articles sont constamment ajoutés, dans le cadre d’un ouvrage complet qui comprend un processus de décontamination en profondeur, un stockage soigneux dans un environnement à faible teneur en oxygène pour prévenir les incendies, ainsi qu’une numérisation complète et une publication sur le site Web de Yad Vashem.

En dehors de Jérusalem, Yad Vashem prévoit d’ouvrir son centre éducatif dans le centre Ariel Sharon dans le Néguev (anciennement connu sous le nom Cité de bases d’entraînement), qui est actuellement disponible uniquement pour les soldats, afin de répondre aux besoins de la population locale, y compris à ceux des résidents bédouins, dit Dayan. D’autres centres satellites sont en cours de construction à Nof Hagalil (anciennement appelé Nazareth Illit) et Givatayim.
À l’échelle internationale, la planification initiale concernant de nouveaux centres d’enseignement de la Shoah en Allemagne et à Thessalonique, en Grèce, a commencé, bien que cela prenne au moins plusieurs années, dit Dayan. Il est également prévu d’exposer une partie de la vaste collection du musée dans des galeries du monde entier.
« Je dirais que la plupart des projets que nous envisageons sont déjà terminés ou en phase finale d’achèvement », souligne Dayan. « Nous n’avons pas encore lancé la création d’un musée pour les enfants, mais ce sera un défi qui prendra encore de nombreuses années. »
Fondations financières
Tout cela dépend d’un solide soutien financier à Yad Vashem – quelque chose que Dayan s’attribue le mérite d’avoir réhabilité.
Un document de 2022, un an après l’arrivée de Dayan à la barre, montrait que Yad Vashem fonctionnait avec un déficit de près de 43 millions de shekels, avec 30 % du budget provenant du gouvernement israélien et 60 % de contributions privées.
Aujourd’hui, le gouvernement israélien fournit environ 50 % des coûts d’exploitation, qui ont été rationalisés et réduits, a déclaré Dayan. Ces chiffres sont distincts des coûts des nouvelles initiatives, qui sont financées à 100 % par les donateurs, a-t-il ajouté.
Les rapports financiers de Yad Vashem pour 2023 montrent que l’institution a reçu 90,4 millions de shekels du gouvernement israélien, 80,1 millions de shekels de dons et 18 millions de shekels d’autres activités. Les chiffres pour 2024 ne sont pas encore disponibles.
« 2024 a été une très bonne année pour la collecte de fonds, malgré les défis auxquels Israël est confronté », a déclaré Dayan. « À une époque où la politique divise le peuple juif, le souvenir est l’une des choses qui nous unissent encore. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel