Booba, monument du rap qui dérape … parfois
"Le problème, c'est l'impact de Booba sur les gens qui le suivent" et qui l'imitent sur les réseaux, décrit pour l'AFP la journaliste Khedidja Zerouali
Autant de facettes que de punchlines : Booba est un géant du rap, expert en clash avec ses pairs, lanceur d’alerte contre certains influenceurs, mais aussi chambre d’écho complotiste, escorté de fidèles parfois enclins au cyber-harcèlement, comme les vingt-huit internautes condamnés mardi.
Le nom du quadragénaire bodybuildé rime toujours avec actualité.
« Ourika », série dont il est co-créateur, sera présentée mercredi au festival Séries Mania, à Lille, puis diffusée à partir du 28 mars sur Prime Video.
Mi-février, son nouvel album « Ad vitam aeternam » était N°1 des ventes. Et toujours dans le Top 10 début mars.
Sur l’autre versant, Elie Yaffa, à l’état civil, est mis en examen depuis octobre 2023 et placé sous contrôle judiciaire pour harcèlement moral aggravé envers Magali Berdah, ex-papesse des influenceurs.
C’est une des cibles dans la croisade de « B2O », un de ses surnoms, contre ceux qu’il nomme les « influvoleurs », soit certains influenceurs aux pratiques décriées.
Il a d’ailleurs lancé en novembre 2023 Starting Blok, agence « d’opérations d’influence responsables et créatives ». Les demandes d’interview de l’AFP sont restées sans suite.
Neuf mois plus tôt, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, déclarait sur FranceInfo : « Il a raison Booba, il a raison de rappeler qu’il y a des dérives » chez certains influenceurs.
« Booba a pu dire des choses vraies mais, de là à en faire un chevalier blanc, non absolument pas », tranche pour l’AFP Julien Pain, traqueur de fake news dans « Vrai ou Faux » sur FranceInfo TV.
« Des gens qui déménagent »
« Il a pu alerter sur des dérives réelles mais ça a tourné ensuite au harcèlement », résume l’expert.
Il est reproché à Booba « au moins 487 messages sur les réseaux sociaux » visant « directement » Berdah entre mai 2022 et mai 2023, d’après des éléments de l’enquête consultés par l’AFP.
Sans parler des publications émanant d’autres comptes, avec lesquels Booba a nié fin janvier toute filiation, évoquant des « électrons libres ».
Il s’agit des « Pirates », communauté numérique dans le sillage de l’artiste aux 6,4 millions d’abonnés sur X.
« Le problème, c’est l’impact de Booba sur les gens qui le suivent » et qui l’imitent sur les réseaux, décrit pour l’AFP Khedidja Zerouali, journaliste qui a documenté le phénomène dans Mediapart dès 2022.
« Il ne s’attaquait pas en ligne qu’à des gens connus, qui ont les moyens de se défendre, mais aussi à beaucoup plus petit », détaille-t-elle. Comme cette gérante d’un restaurant apprécié sur les réseaux par Berdah.
« L’impact du cyber-harcèlement, ce sont des gens qui déménagent, par peur », éclaire Zerouali, qui mentionne aussi les « théories complotistes » véhiculées par le rappeur.
« Ferme-la, assassin ! », ainsi répond Booba, sur X, aux arguments scientifiques du Dr. Jérôme Barrière, qui explique « qu’aucune donnée scientifique » n’établit de lien entre le vaccin anti-Covid et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Dieudonné, Lalanne
« Booba a un vieux fond de complotisme – les élites dans l’ombre qui dirigent le monde, etc. – et là-dessus s’est greffé la crise sanitaire, le courant anti-vaxx », rebondit Pain.
Dieudonné, provocateur condamné pour antisémitisme, et Francis Lalanne, chanteur anti-vaxx, draguent d’ailleurs le rappeur pour une liste aux élections européennes de juin.
Une autre dimension après les frasques passées, comme quand Booba et Kaaris, un de ses anciens protégés dans le rap, se battaient dans un aéroport parisien en 2018 sous les caméras de surveillance (18 mois de prison avec sursis chacun).
Ce prolongement d’une culture du clash entre rappeurs fut le premier dérapage marquant sur l’autoroute du succès de ce natif des Hauts-de-Seine, désormais installé à Miami.
Tout décolle avec « Le crime paie » (1996), au sein du duo Lunatic, sorti sur une compilation. « C’est un des plus grands chocs du rap français. Ce morceau ‘change le game’ : on passe alors d’un rap conscient, revendicatif, au rap de rue », brosse pour l’AFP Olivier Cachin, bible du hip-hop.
« Il va confirmer en solo ensuite. Comme il le rappe, c’est ‘zéro défaite’ en musique », souligne le spécialiste, citant le morceau « Garde la pêche » (2006).
La preuve, Booba est tête d’affiche de la première édition d’un festival 100 % rap en France, en septembre, près de Dijon.