Dans un camp de réfugiés en Jordanie, des artistes syriens rêvent d’ailleurs
"Ici, nous ne sommes même pas des réfugiés. Nous ne sommes que des demandeurs d'asile," se lamente un artiste reconverti en coiffeur

« On se sent en prison », soupire Mohamed Jokhadar, un peintre syrien qui s’est improvisé coiffeur dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie, où il s’adonne à sa passion pour l’art entre deux coupes de cheveux.
Accroché derrière lui, un grand tableau en noir et blanc d’un petit garçon derrière un grillage illustre ses propos.
Mohamed, 29 ans, a fui il y a deux ans la province de Homs, dans le centre de la Syrie, et s’est établi avec sa femme et ses deux enfants à Zaatari.
Pour subvenir aux besoins de sa famille, il a dû bricoler pour transformer en salon de coiffure une des cabanes en taule qui servent d’abri aux quelques 80 000 réfugiés de ce vaste camp dans le nord du pays, encerclé par des grillages et des barbelés.
Son « salon de coiffure » est situé au milieu de dizaines de petits commerces improvisés sur l’artère principale du camp, surnommée par les réfugiés les « Champs-Elysées », du nom de la célèbre avenue parisienne.
Comme des dizaines de milliers de ses compatriotes, Mohamed « rêve de partir dans n’importe quel pays européen » avec une préférence pour l’Allemagne ou la France, « des pays d’art », dit-il, un sourire rêveur aux lèvres.
Pour y arriver, il a deux idées en tête : obtenir un passeport et prendre un vol vers la Turquie avant de s’aventurer en mer en direction de la Grèce, ou bien rentrer en Syrie et tenter un périlleux voyage à travers son pays pour atteindre les frontières turques.
‘Nous ne resterons pas ici’
De toute façon, « nous ne resterons pas ici ». « En tant qu’artiste, mon avenir est en Europe », explique-t-il.
« Ici, nous ne sommes même pas des réfugiés. Nous ne sommes que des demandeurs d’asile. Nous n’avons pas de papiers d’identité et il nous faut une autorisation pour sortir du camp. On se sent comme dans une prison ».
Mohamed raconte la vie difficile dans ce camp situé en plein désert, balayé par des tourbillons de poussière où les hivers sont aussi rudes que les étés.
« Nous n’avons pas d’électricité, il est très difficile de se procurer de l’eau potable et en été, la température atteint 50 degrés dans les cabanes en taule ».
« Mes œuvres reflètent ce que nous vivons ici », dit-il.

« Où que nous soyons, nous serons tristes », chante à côté de lui Mohanned Kassem, 29 ans.
Doté d’une belle voix, il se présente comme un « interprète-compositeur » qui a fait l’école de la musique en Syrie.
Barbe bien taillée, le jeune homme vient souvent chez Mohamed pour « soigner son look » d’artiste.
Désespoir, ennui, tristesse: des mots qui reviennent souvent dans la chanson de cet artiste qui parle d’une vie « humiliante » à Zaatari.
‘Humiliation’
« Je rêve de partir n’importe où, à condition de garder ma dignité, de vivre comme un être humain. Il y a des personnes qui n’aspirent qu’à manger et boire. Moi j’ai des ambitions », explique-t-il.
« Les gens (à Zaatari) sont fatigués. Ils commencent à se dire : ‘la mort plutôt que l’humiliation’. Certains (…) ont perdu la vie », en tentant de se rendre en Europe. « Mais moi je veux vivre », dit-il.
Ainsi, Mohanned préfère attendre que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) lui trouve un pays d’asile. « Mais c’est un espoir encore lointain », reconnaît-il amer.
Mohamed Jokhadar dit lui avoir remarqué que, depuis trois mois, des réfugiés rentrent en Syrie ou rejoignent l’Europe.
« Certaines personnes ne supportent plus la vie du camp, et sont rentrées en Syrie malgré les dangers », indique-t-il.
Youssef al-Chouri, 32 ans, est peintre lui aussi. Il raconte fièrement avoir pu exposer quelques unes de ses toiles à Amman.
Il estime malgré tout qu' »il n’y a pas d’avenir dans le camp ».
« Chaque jour est pire que la veille », dit-il en contemplant un tableau qu’il vient de terminer et qui représente un oiseau tout en couleurs sur une branche d’arbre. « C’est la liberté ».
Youssef veut également partir en Europe. « Mais la route est dangereuse et mes conditions financières ne me permettent pas de faire le voyage », dit-il, ajoutant qu’il espère néanmoins rejoindre son frère en Allemagne, là-bas depuis trois mois.