En Allemagne, les réfugiés syriens cherchent une organisation sociale juive
Dans un pays qui va probablement accueillir 800 000 migrants, les Juifs se demandent si ceux qui ont été éduqués à les haïr pourront s'intégrer dans une société tolérante
Un flot continu de réfugiés en provenance du Moyen-Orient est systématiquement à la recherche de l’organisation juive nationale de protection sociale d’Allemagne.
Dispersés à travers l’est du pays, qui a connu un important trafic de migrants au cours des six premiers mois de l’année 2015, les cinq centres d’intégration d’immigrants du ZWST – ou Conseil Central de la protection juive – ont vu près d’un millier d’adultes à la recherche des conseils sur la façon de s’installer dans le pays.
Répartis presque équitablement entre hommes et femmes et âgés de 18 ans et plus, ces immigrants potentiels ont une chose en commun – ils parlent le russe.
Et alors que la majorité des ‘clients’ de ZWST sont des citoyens russes ou venant d’autres anciennes républiques soviétiques, il y a un nombre croissant de demandeurs d’asile originaires de pays musulmans qui se tournent vers l’organisation d’aide sociale juive.
Reflétant des liens profonds entre la Russie, la Syrie et l’actuelle guerre civile, le centre a connu une légère hausse concernant des demandes de la part de réfugiés syriens russophones qui cherchent un refuge en Allemagne.
Le Times of Israel a contacté la semaine dernière plus d’une dizaine d’organisations juives allemandes, des journalistes, des militants et des communautés, leur demandant ce que la communauté juive allemande faisait pour les réfugiés et des migrants.
Bien qu’il existe d’innombrables initiatives à l’échelle individuelle, les communautés, qui, en grande partie n’aident pas activement les réfugiés, gardent un profil très bas sur leurs efforts d’assistance, pesant bien le pour et le contre dans leurs premiers pas ou préfèrent d’emblée attendre la Journée annuelle de la Mitzvah prévue le 15 novembre avant de s’impliquer.
Mais en ce qui concerne le ZWST, celui-ci agit déjà, et ce, depuis des années.
Dans le cadre de l’Association fédérale des agences de protection sociale indépendantes, le ZWST est l’un des six organismes nationaux chargés de l’accueil des immigrants et ses portes sont ouvertes à tous.
« Ce [conseil de l’immigration] est ouvert à toutes les personnes arrivant en Allemagne qui ont le désir d’y rester », a déclaré Günter Jek, qui coordonne les centres d’accueil du ZWST.
Tous ses conseillers parlent l’allemand et le russe, et certains Syriens, avec quelques autres immigrants potentiels en provenance d’autres pays du Moyen-Orient, recherchent le ZWST grâce à leurs notions en langue russe acquises dans des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.
« Aussi drôle que cela puisse être, des réfugiés syriens s’adressent à des conseillers juifs parce qu’ils parlent russe », a dit Jek.

Le ZWST a traité la grande vague d’immigration de Juifs russes qui a commencé dans les années 1990 et continue de travailler avec les immigrants juifs d’aujourd’hui dont plus de 100 000 Israéliens et plusieurs milliers d’Américains qui ont demandé la citoyenneté allemande en se basant sur l’expulsion de leurs familles pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le ZWST est le plus petit des six organismes nationaux chargés de conseils en matière d’immigration pour les fleuves interminables de migrants et de demandeurs d’asile qui inondent le pays.
Au moins 800 000 d’entre eux sont attendus cette année, et le gouvernement se démène pour répondre à leurs besoins divers.
Mais lorsqu’on lui a demandé comment som organisme traite la forte augmentation des réfugiés dans les dernières semaines, Jek, qui travaille au ZWST depuis 12 ans, a donné une réponse inattendue.
« Ce ‘boom’ est une invention des médias », aux dires de Jek, ajoutant que les immigrés sont constamment en quête d’asile en Allemagne.
« Si vous travaillez dans le conseil pour migrants, cela a commencé à augmenter considérablement au début de l’année dernière. Ce qui se passe aujourd’hui est une création des médias. »
‘Si vous travaillez dans le conseil pour migrants, cela a commencé à augmenter considérablement au début de l’année dernière. Ce qui se passe aujourd’hui est une création des médias’
Cependant, en plus de solliciter l’aide financière des populations, la prise de conscience accrue des médias a plusieurs autres aspects positifs, estime Jek.
« Si vous jetez un oeil sur l’Allemagne d’il y a quelques semaines, il y avait des manifestations contre les migrants, avec des incendies contre leurs maisons. Maintenant les médias sont pleins de récits de gens qui aident les migrants. La chancelière [Angela] Merkel visite des camps de réfugiés, ils ont ouvert la frontière pour les migrants venant de Hongrie. Ça marche », ajoute-t-il.
Fondé en 1917 pour venir en aide aux anciens combattants juifs de la Première Guerre mondiale et aux veuves et orphelins de leurs compatriotes, le ZWST a été actif pour aider les Juifs quittant l’Allemagne au début du régime nazi jusqu’à ce que l’association soit fermée en 1939 et que son personnel soit envoyé dans les camps.
Après la guerre, il a été relancé par l’organisation représentative de la communauté juive allemande, le Zentralrat der Juden in Deutschland et a commencé son travail de réinsertion des survivants juifs de la Shoah.
« Nous gardons une chose à l’esprit dans notre travail – que 90 % du peuple juif en Allemagne est venu ici en tant que réfugiés, qu’ils ont été acceptés et intégrés. Notre plus grand travail est d’intégrer les personnes, dans la communauté juive – et dans la société allemande », dit Jek.
Aujourd’hui, le travail de réinstallation de ZWST continue, mais avec une mission plus large. Et pour Jek, qui n’est pas Juif, ce travail n’est pas alimenté par des « valeurs juives », mais par des valeurs humanitaires.
Cependant, pour la communauté juive allemande plus large, la question des réfugiés semble impliquer un mélange étouffant de compassion, de culpabilité et de peur.
Aider les autres tout en se protégeant soi-même
Le président du Conseil central des Juifs d’Allemagne, Josef Schuster, a déclaré cette semaine que l’Union européenne et l’Allemagne « ont le devoir d’aider les réfugiés qui fuient la guerre et la persécution. La communauté juive en Allemagne est aux côtés des réfugiés et a entamé beaucoup d’initiatives locales pour les aider ».
En particulier en Allemagne orientale (RDA), certaines communautés juives et de nombreux militants ont commencé à aider les réfugiés dans leurs régions.
De la collecte et la distribution de nourriture et de produits de première nécessités, jusqu’à des soins médicaux ou dentaires, constatant l’absence d’une importante réponse unifiée au niveau communal, de nombreux Juifs allemands ont developpé leurs propres solutions.
Mais, bien sûr, il y a ceux qui ne se sont pas du tout enclins à porter assistance aux demandeurs d’asile.
Il y a un un foyer de réfugiés syriens près du Centre Loubavitch Habad de Düsseldorf, la troisième plus grande communauté juive d’Allemagne.
Selon son directeur le rabbin Haim Barkahn, le foyer a été récemment réorienté pour les réfugiés. Il y a un travailleur social sur place, et il y a aussi des gardes armés.
« Nous avions eu un peu peur qu’ils soient là », a confié cette semaine Barkahn au Times of Israel. Mais le maire Dirk Elbers, un membre du parti de l’Union chrétienne-démocrate de la chancelière allemande, Angela Merkel, a rassuré le rabbin, disant qu’il s’agissait d’une opération temporaire destinée à immatriculer les réfugiés, puis à les laisser partir.
‘En tant que Juifs nous éprouvons de la compassion pour les réfugiés … Mais d’un autre côté, nous avons peur qu’ils soient des terroristes’
Bien que vous ne le sauriez pas en vous promenant dans le centre-ville, a dit Barkahn, il y a plusieurs centaines de réfugiés à Düsseldorf. Pourtant à la question de savoir si sa communauté leur avait fourni de l’aide, le rabbin a répondu que la municipalité tenait bien les choses en main et que son aide n’était pas nécessaire.
« En tant que Juifs nous éprouvons de la compassion pour les réfugiés… Il y a des enfants en provenance de pays déchirés par la guerre. Mais d’un autre côté, nous avons peur qu’ils puissent être des terroristes. En tant que Juifs, nous soutenons Israël et notre peuple. Ici, ils n’ont pas besoin de nous », a déclaré Barkahn.
Schuster du Conseil central des juifs d’Allemagne partage les craintes de Barkahn sur la sécurité de la communauté juive, ainsi que celle des réfugiés.
« Il y a aussi de profondes inquiétudes en raison des affrontements violents contre des réfugiés menés par des extrémistes de droite [des néo-nazis allemands].», Faisant allusion à la montée du sentiment xénophobe d’extrême droite, a déclaré Schuster,
« L’intégration réussie des réfugiés est un énorme défi pour le gouvernement et la société civile, mais qui s’avère absolument nécessaire ».
Ramener les migrants vers la « Terre promise »
Les règlements de l’Union européenne stipulent que les réfugiés doivent demander l’asile dans le premier pays où ils arrivent. Cette porte d’entrée est généralement la Grèce ou l’Italie.Les réfugiés préfèrent s’installer de façon définitive en Allemagne ou dans les pays de Scandinavie.
Cependant, une ONG israélienne a une idée pour relier ces portes.

Shachar Zahavi de l’organisation de secours aux sinistrés, IsraAid, s’est entretenu avec le Times of Israel dans une brève conversation à Athènes mercredi.
IsraAid travaillait avec les réfugiés syriens en Jordanie et en Irak/Kurdistan depuis plusieurs années et est en train de mettre en place des opérations à un point d’entrée en Grèce.
Zahavi a déclaré que l’organisation est en pourparlers avec l’Allemagne pour explorer l’idée de la participation de l’ONG dans les centres d’intégration sur place.
Le plan, a expliqué Zahavi, est de créer une approche plus holistique, dans laquelle l’ONG commencerait à travailler avec les réfugiés depuis leur point d’entrée, puis s’assurerait qu’ils arrivent en Allemagne, leur destination finale souhaitée.
En Allemagne, IsraAid utiliserait son expertise acquise en Jordanie et en Irak pour aider dans les centres d’intégration et de traumatologie allemands, avec l’objectif de rationaliser l’intégration des réfugiés dans la société.
« La différence entre nous et d’autres organisations internationales est que nous avons travaillé en Jordanie avec des réfugiés syriens et en Irak et au Kurdistan. Nous comprenons leur mentalité, qui est un atout que nous apportons », a déclaré Zahavi.
Et c’est cette mentalité du Moyen-Orient qui inquiète Jek du Conseil central d’assistance des juifs en Allemagne.
« Ce sont des gens qui ont appris dès leur naissance que les Juifs sont des singes ou des porcs. Ils ont besoin d’un programme civil pour leur enseigner le multiculturalisme. Et c’est une question à laquelle le gouvernement allemand ne songe même pas », a déploré Jek.
Surtout pendant la guerre de Gaza l’été dernier, l’afflux d’immigrants en provenance des pays du Moyen-Orient était une force motrice derrière la montée des manifestations anti-Israël qui ont trop souvent franchi la frontière des stéréotypes antisémites.
« Nous aimerions voir ces nouveaux réfugiés dans les salles de cours pour apprendre les valeurs allemandes », a déclaré Jek. Aujourd’hui, tous les immigrants potentiels doivent assister à une série de classes dans lesquelles ils apprennent l’allemand et sont informés sur le système bancaire allemand, de la santé et comment fonctionne les transports.
Mais la tolérance religieuse, une notion de base de l’enseignement scolaire public allemand, n’est pas enseignée à ces migrants, dénonce Jek.

Dr Georgette Bennett, une experte internationale dans la lutte contre les préjugés religieux, est née dans une famille de réfugiés juifs et est la fille de survivants de l’Holocauste.
Son organisation, Multifaith Alliance for Syrian Refugees, fournit des fonds et facilite les partenariats entre ONG israéliennes et syriennes pour aider les réfugiés syriens dans l’immense camp de réfugiés de Zaatari, surnommé les Champs-Élysées.
Interrogée cette semaine pour savoir si elle trouvait cela étrange que l’Allemagne, l’épicentre de l’Holocauste qui a tué six millions de Juifs, est aujourd’hui un phare d’espoir pour potentiellement des millions de réfugiés, elle s’est mise à rire.
« Je trouve cela ironique mais je ne trouve pas cela bizarre parce que l’Allemagne figure parmi les très rares pays, peut-être le seul pays en Europe, qui s’est confronté à son passé. Et parce qu’il a été confronté à son passé, il se sent une grande obligation morale à agir différemment par rapport à ce qu’il a fait. Il mérite d’être félicité pour cela », a analysé Bennett.
Bennett a précisé qu’il y a de très bonnes organisations, telles que le Comité international de secours, qui peut faciliter les programmes d’éducation et aider à « faciliter le passage des réfugiés dans la société occidentale et les orienter ».
Mais, a-t-elle mis en garde, entre la guerre en Syrie et le pénible voyage vers l’Europe, les réfugiés ont rencontré des difficultés et des catastrophes innommables.
« Nous devons être très conscients du fait que les réfugiés syriens sont une population très traumatisée. Sans aborder le traumatisme, les enfants ne seront pas en mesure d’apprendre, les femmes ne seront pas en mesure de reprendre une vie ‘normale’ ».
Il y a d’énormes violences de genre, a déclaré Bennett, et de nombreuses femmes ont été victimes de multiples viols où, dans certains cas, leurs enfants ont été témoins.
En outre, dit-elle, les pays européens dans lesquels ils sont d’abord arrivés « éprouvent la pire perception à l’égard des musulmans ».
Proposant une mission immédiate de transport aérien massif organisé par les pays comme Israël, qui a de l’expérience dans de telles opérations, et même des efforts de sauvetage en mer dans des yachts privés, Bennett a dit que toutes les mains doivent être mises à disposition pour transférér rapidement les réfugiés et les migrants de leurs points d’entrée.
« Nous devons les sortir des pays comme la Grèce, où ils vivent dans des circonstances terribles, et les amener en Allemagne », a déclaré Bennett.
Et jusqu’à présent, l’Allemagne est l’un des seuls pays qui les accueilleront « comme à la maison ».
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