Dérèglement climatique : Des groupes juifs américains s’engagent à agir
La crise climatique est depuis longtemps une priorité pour les Juifs américains, mais ne figure pas parmi les priorités des organisations qui les servent, ce qui commence à changer
JTA – À partir de 2002 et pendant dix ans, Jennifer Laszlo Mizrahi s’est consacrée au plaidoyer pro-Israël. Après cela, la philanthrope et activiste juive d’Annapolis, dans le Maryland, s’est lancée à corps perdu dans la lutte pour les droits des personnes handicapées, travaillant dans ce domaine pendant les dix années suivantes. Aujourd’hui, Mizrahi se concentre sur le dérèglement climatique.
« Permettez-moi de le dire ainsi : en 2021, nous avons fait un don à une organisation de défense du climat, et en 2022, nous en avons fait 17 », a déclaré Mizrahi, en faisant référence au petit fonds caritatif qu’elle gère avec son mari, Victor Mizrahi, entrepreneur dans le domaine de la technologie. Cette année, le couple a fait son don le plus important dans le domaine du climat, en envoyant un groupe de neuf journalistes spécialisés sur la question climatique en Israël pour rencontrer des start-ups qui travaillent sur les moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mizrahi et son mari ont également commencé à investir commercialement dans de telles sociétés.
« J’espérais que d’autres personnes trouveraient la solution », a-t-elle déclaré. « Mais le rythme du changement est loin de répondre à la demande actuelle. Je me suis dit que même si je ne connaissais pas le sujet, je devais m’investir parce que j’ai des enfants et que je ne veux pas que le monde soit détruit. »
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D’après de nombreuses enquêtes, le dérèglement climatique figure depuis longtemps en tête de liste, ou presque, des questions qui préoccupent les Juifs aux États-Unis et les Juifs se sont fortement impliqués dans le mouvement plus large en faveur du climat. Mais jusqu’à récemment, la question occupait une place marginale dans les agendas des organisations communautaires juives, qui négligeaient le climat alors même que le sujet prenait de l’importance dans l’activisme et les politiques d’autres communautés religieuses et dans le monde philanthropique en général.
La nouvelle importance accordée par Mizrahi au climat est un premier exemple d’un changement plus large en cours dans la philanthropie juive, un monde de plusieurs milliards de dollars composé de milliers de donateurs individuels, de fondations caritatives et d’organisations à but non lucratif.
« C’est le début de ce qui deviendra une préoccupation plus répandue parmi les groupes juifs », a déclaré la rabbin Jennie Rosenn, fondatrice et directrice-général de Dayenu, un groupe juif de défense du climat. « Nous assistons à une prise de conscience du fait qu’il s’agit d’une question profondément juive et du rôle que la communauté juive doit jouer dans la lutte contre la crise climatique. »
Les scientifiques affirment que les décisions prises au cours des prochaines années en matière d’émissions de carbone affecteront la vie sur Terre pour des milliers d’années. L’avertissement le plus récent a été lancé en mars, lorsque d’éminents experts mondiaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont publié un nouveau rapport affirmant que « la fenêtre d’opportunité se referme rapidement pour assurer un avenir vivable et durable pour tous ».
Les importantes populations juives vivant sur les côtes des États-Unis sont vulnérables aux tempêtes extrêmes, à l’élévation du niveau de la mer, aux fortes chaleurs et à d’autres perturbations météorologiques – une situation illustrée par la récente série télévisée d’Apple « Extrapolations », dans laquelle un rabbin est confronté à la montée des eaux de la mer qui s’infiltre dans sa synagogue de Floride. Dans le même temps, Israël subit une série d’effets allant de la sécheresse et des inondations aux menaces sécuritaires liées à l’instabilité climatique régionale.
Ces derniers mois ont vu fleurir de nouvelles initiatives visant à la fois à rendre les institutions juives plus écologiques et à orienter l’action collective sur le climat.
En décembre, par exemple, le groupe de Rosenn a publié un rapport calculant que les dotations des organisations juives, des fondations familiales aux fédérations locales, sont investies dans l’industrie des combustibles fossiles à hauteur d’au moins 3 milliards de dollars. Ce rapport a donné le coup d’envoi d’une campagne intitulée « All Our Might » (« De toutes nos forces »), qui exhorte les dirigeants juifs à retirer ces investissements et à les remplacer par des énergies propres.
Pendant ce temps, de nombreuses organisations juives parmi les plus importantes du pays – représentant des fédérations locales, des campus Hillel, des camps d’été, des centres communautaires, des écoles et presque toutes les confessions religieuses – avaient déjà rejoint une nouvelle coalition verte organisée par un autre groupe environnemental juif et se préparaient à dévoiler des engagements à faire davantage dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Le dévoilement des engagements climatiques a eu lieu en mars, sous la direction d’Adamah, une organisation à but non lucratif née de la fusion de deux piliers de l’environnementalisme juif, Hazon et le Pearlstone Center.
« Cette coalition et ces plans d’action pour le climat reflètent un profond changement de paradigme et de culture pour aller de l’avant », avait alors déclaré Jakir Mandela, directeur-général d’Adamah.
Les engagements pris par les membres de la coalition juive pour le leadership climatique d’Adamah comprennent l’envoi de jeunes leaders aux sommets mondiaux sur le climat, la réduction des émissions des bâtiments et des véhicules et le lobbying auprès du gouvernement fédéral pour qu’il adopte des politiques respectueuses de l’environnement.
Plus de 300 congrégations et organisations à but non lucratif ont rejoint la coalition. À l’occasion de la Journée de la Terre, Adamah a annoncé la création d’un fonds d’un million de dollars offrant des prêts à taux zéro et des subventions de contrepartie à des groupes juifs pour des projets visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
S’il est un événement dont on peut dire qu’il marque les débuts de la question climatique en tant que priorité communautaire juive, c’est probablement la récente conférence annuelle du Jewish Funders Network, qui s’est tenue en mars à Phoenix et qui a rassemblé des milliers de donateurs et de responsables d’organisations caritatives.
Pour le premier événement de la réunion, avant l’ouverture officielle de la conférence, un groupe de participants a effectué une excursion dans le centre-ville de Phoenix pour s’informer sur les effets locaux du dérèglement climatique. Le nombre de participants a été beaucoup plus élevé que prévu et le bus affrété pour l’occasion a atteint sa capacité maximale – de 55 passagers. Mizrahi, qui faisait partie de l’expédition, a déclaré que le voyage était utile en tant qu’opportunité de réseautage pour des philanthropes partageant les mêmes idées.
Le rabbin Shmuly Yanklowitz, fondateur du groupe militant Arizona Jews for Justice, a emmené le groupe dans une église locale où les agents d’immigration déposent les demandeurs d’asile, afin que les participants à la conférence puissent entendre comment les catastrophes environnementales poussent à la migration transfrontalière. Le voyage s’est poursuivi par la visite d’un campement de sans-abri du centre-ville, connu sous le nom de « Zone », où les participants ont été invités à imaginer le défi que représente le fait de passer la saison estivale à l’extérieur, avec des températures atteignant parfois 120 degrés. La conversation s’est finalement orientée vers la question de la pénurie d’eau dans l’État.
« Nous voulions leur montrer que les menaces existentielles posées par le changement climatique ne sont pas à long-terme, mais qu’elles sont déjà là », a déclaré Yanklowitz. « Les habitants de la zone meurent chaque été d’épuisement dû à la chaleur et à la déshydratation. »
D’après le compte rendu qu’il a fait avec le groupe après le voyage, Yanklowitz estime que celui-ci a eu un impact sur les participants.
« Je n’ai entendu personne dire : ‘Oh, je vais changer mes engagements.’ Mais j’ai eu l’impression que le changement climatique était un peu abstrait pour beaucoup de gens, et qu’aujourd’hui il les touche vraiment », a déclaré Yanklowitz.
Le reste de la conférence a été marqué par de nombreux débats et rassemblements consacrés au climat, y compris sur la scène principale, et par l’annonce que Taglit-Birthright, qui propose des voyages gratuits en Israël pour les jeunes juifs, renforçait son propre activisme en faveur du climat grâce à une nouvelle donation.
Dans une interview, Ellen Bronfman Hauptman et Stephen Bronfman, les enfants du fondateur du programme populaire Taglit Israël, Charles Bronfman, ont déclaré que leur don de 9 millions de dollars visait à honorer leur père à l’occasion de son 90e anniversaire, tout en alignant Taglit sur les valeurs d’une nouvelle génération soucieuse de l’environnement.
Les organisateurs de Taglit Israël utiliseront ces fonds pour élaborer des programmes axés sur le climat qui pourraient, par exemple, exposer les participants à la scène israélienne des technologies propres. L’argent est également destiné à aider Taglit à réduire sa propre empreinte carbone, éventuellement en passant à des bus électriques ou en proposant davantage de repas végétariens.
Les Bronfman espèrent que le pouvoir d’achat important de Taglit dans le tourisme israélien incitera l’industrie à adopter des pratiques plus durables sur le plan écologique.
« Pour moi, Birthright est comme Walmart : tout le monde veut faire des affaires avec eux », a déclaré Stephen Bronfman. « Ils ont le pouvoir de dicter leurs conditions à leurs prestataires de services et d’influencer la chaîne d’approvisionnement. »
L’intérêt généralisé des groupes juifs pour la mobilisation en faveur du climat intervient après des années au cours desquelles la question est restée à l’écart du courant dominant. Rosenn, directrice de Dayenu, qui a assisté à une quinzaine de conférences du Jewish Funder Network, a remarqué un changement cette année.
« Il y avait auparavant une demi-douzaine de personnes qui parlaient du climat lors du petit-déjeuner précédant le programme. Et même pas nécessairement le climat – mais l’environnement au sens large », a-t-elle déclaré.
Le monde juif est, à bien des égards, toujours à la traîne du mouvement climatique général. Le désinvestissement des fonds de dotation de l’industrie des combustibles fossiles, par exemple, est considéré comme une mesure audacieuse par les groupes juifs, même si au moins 1 590 institutions représentant près de 41 000 milliards de dollars d’actifs se sont déjà engagées publiquement à le faire, selon un site web qui recense ces engagements. Environ un tiers des groupes figurant sur la liste sont définis comme des organisations confessionnelles, mais seulement trois sont
juifs : Kolot Cheyianu, une congrégation de Park Slope, à Brooklyn ; le système de retraite du Mouvement réformé ; et l’American Jewish World Service, un groupe de justice mondiale.
Le plan climatique d’Adamah ne comporte pas d’engagement de désinvestissement, mais seulement la promesse d’étudier la possibilité de le faire pour son fonds de dotation et les fonds de retraite de ses employés. Au lieu de cela, le plan met en avant les efforts d’éducation et de plaidoyer du groupe, et se concentre sur la réduction des émissions dans ses centres de retraite.
Risa Alyson Cooper, responsable climatique d’Adamah, a reconnu que les institutions de la communauté juive ont été « largement absentes » du mouvement de désinvestissement et a déclaré que son groupe considérait le désinvestissement comme l’un des outils nécessaires pour faire face à la crise climatique.
Selon elle, la communauté juive a franchi une étape importante lorsque 12 des 20 membres fondateurs de la coalition climatique d’Adamah ont déclaré dans leurs plans climatiques qu’ils envisageraient de modifier leurs pratiques financières. Il s’agit là d’une avancée significative, compte tenu des structures complexes et délibérées des organisations, qui peuvent rendre la mise en œuvre de tels changements onéreuse.
« Si la communauté juive est restée à la traîne ces dernières années, elle est en train de rattraper rapidement son retard », a déclaré Cooper.
« Un tel changement marquerait non seulement une étape importante pour l’activisme climatique juif, mais aussi une rupture avec la manière dont la communauté juive a historiquement pratiqué la philanthropie », a déclaré la rabbin Rachel Kahn-Troster, vice-présidente exécutive de l’Interfaith Center on Corporate Responsibility (Centre interconfessionnel sur la responsabilité des entreprises).
Elle a ajouté que l’utilisation des avoirs financiers pour avoir un impact social a été une caractéristique de la défense des intérêts des groupes chrétiens. L’année dernière, l’Église presbytérienne américaine a choisi de se désinvestir des combustibles fossiles à la lumière de la crise climatique.
La communauté juive, quant à elle, a eu tendance à agir principalement par le biais de dons caritatifs. Cette différence s’explique notamment par le fait que la communauté juive est beaucoup moins centralisée et que ses actifs sont répartis entre de nombreux fonds de dotation, ce qui fait que les actions d’un seul groupe ont relativement moins d’impact.
« Adamah a réalisé un travail très important pour changer les comportements individuels et renforcer les liens entre les gens et l’environnement, mais il manquait une action collective audacieuse pour lutter contre la crise climatique », a déclaré Kahn-Troster. « La communauté dans son ensemble est en retard pour répondre à l’urgence du problème. Mais je pense que le travail de ces organisations est très important, et je me réjouis donc de le voir. »
La vision historique de Kahn-Troster s’appuie sur l’héritage de son père, le rabbin Lawrence Troster, un militant écologiste qui a encouragé l’action communautaire juive sur le climat, et sur la passion pour la justice climatique manifestée par Liora Pelavin, 15 ans, membre du Mouvement juif des jeunes pour le climat, une branche d’Adamah.
« Trouver un espace juif significatif pour défendre le climat au niveau local, comme le demandent de nombreux jeunes, a été très important pour Liora », a déclaré Kahn-Troster.
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