Des femmes et des histoires à Jérusalem
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Times of Israël vous invite en visite guidée chez les Hierosolomytaines qui ouvrent leurs foyers aux touristes
Alors que l’ONU a proclamé 2017 « année du tourisme durable pour le développement », le tourisme culturel et créatif s’impose peu à peu à Jérusalem. De plus en plus tendance, cette forme de tourisme est une bonne façon de partir à la découverte de la capitale millénaire d’Israël et surtout de ses habitants.
Découvrir une autre facette de Jérusalem et de ses habitants
Imaginez la descente vers l’hôpital d’Ein Kerem, avec l’imposant monastère orthodoxe qui accapare facilement l’attention.
Sortez des sentiers battus et immergez-vous dans l’ancien village, à l’extrémité est de Jérusalem. Au milieu des amandiers, à la floraison hâtive, vous découvrez la Vallée des Yéménites, avec ses maisons anciennes et son atmosphère bucolique.
C’est là que la guide et bergère Efrat Giat accueille ses hôtes, dans une maison ancienne héritée des grands-parents yéménites de son mari. Mme Giat a commencé à ouvrir sa maison aux touristes après avoir découvert la maternité, à l’âge relativement tardif de 37 ans.
« J’étais guide touristique à Jérusalem et dans les environs, mais depuis la naissance de mes cinq enfants, je n’avais plus le temps de travailler ni de faire ce que j’aimais réellement », explique-t-elle au Times of Israël. Ne désirant ni changer de profession ni renoncer au plaisir d’élever sa famille, Mme Giat s’est reconvertie dans l’accueil de touristes chez elle, au cœur de la Vallée des Yéménites.
Elle reçoit des groupes, qu’elle guide dans les sites moins connus d’Ein Kerem, loin des églises qui attirent la majorité des touristes. Elle les invite aussi à traire les chèvres, dont elle s’occupe avec son mari. Elle prépare d‘ailleurs des fromages qui trônent sur sa table, aux côtés de plats yéménites traditionnels, comme le Koubaneh, pour un petit déjeuner chez l’habitante…
Rencontrer les femmes de Jérusalem et écouter leur histoire
Cette reconversion a été rendue possible par le projet « Des femmes et des histoires à Jérusalem », lancé par la municipalité de Jérusalem en collaboration avec le ministère du Tourisme.
Onze femmes d’Ein Kerem y participent et une cinquantaine dans le reste de la ville. Beaucoup de ces femmes sont des artistes qui présentent leurs œuvres d’une manière authentique.
Jacqueline Havilio, par exemple, est peintre. « Inviter les touristes dans mon studio leur permet d’avoir un lien plus profond avec la signification de mes œuvres. Rencontrer l’artiste est plus passionnant que la visite d’une exposition. Je leur raconte mon histoire, celle du Juif errant, qui marque l’évolution de mon œuvre », explique l’artiste.
Descendante de Juifs ukrainiens qui ont fui les pogroms pour arriver en Pologne, elle chante notamment en yiddish aux groupes qu’elle guide dans les rues d’Ein Kerem. Issue d’une famille déracinée, fille de survivants de la Liste de Schindler, elle naît en France, passe par l’Argentine et trouve enfin sa place en Israël. C’est ce parcours qu’elle raconte en chanson à ses hôtes.
« Je ne leur parle pas des endroits les plus connus, mais de l’aspect le plus intime du quartier. Même les jeunes sont très intéressés par mon histoire personnelle et celle des lieux, cette expérience qui va au-delà de la simple visite touristique. Ils aiment avoir un contact avec l’aspect personnel des lieux », renchérit Jacqueline.
Entre folklore et tourisme créatif dans la Ville sainte
Ein Kerem abrite des peintres, des chanteuses, des poétesses, des artisanes… Le projet « Des femmes et des histoires à Jérusalem » ouvre ainsi une lucarne sur leur quotidien, leur histoire et celle d’un quartier remontant à l’âge du bronze.
Dans la « Vieille maison d’Ein Karem », avec son pressoir de l’époque du Second Temple au fond de la cuisine, la poétesse et folkloriste Shoshana Kadashi accueille ses hôtes… en robe de mariage marocaine traditionnelle.
Servant un thé marocain accompagné de douceurs, elle aspire à préserver le patrimoine des femmes juives du Maroc. Sa fille Moka chante d’ailleurs dans leur langue en voie de disparition, le haketia, dialecte judéo-espagnol parlé par seulement 200 personnes dans le monde. « C’est cette histoire riche de la sagesse féminine de nos mères, qui bien que non éduquées, savaient beaucoup de choses sur la vie et les secrets de l’amour, que je confie aux touristes », explique-t-elle.
À quelques pas, l’atelier de broderie à l’ancienne d’Hadar Klidman, installé dans une maison de l’époque byzantine, dont la cour abrite un bain rituel de l’époque du Second Temple, offre une expérience de tourisme créatif.
En découvrant les coutumes anciennes du tissage, les touristes peuvent s’imprégner de l’identité de la région à ces époques reculées où les femmes tissaient ensemble. Sur un métier à tisser ou avec un rouet, comme dans le bon vieux temps, Mme Klidman préserve une tradition depuis longtemps oubliée en Terre sainte. Fruit de ses recherches sur le processus de fabrication des vêtements à l’ancienne, son atelier offre une autre façon de donner un sens à une visite de Jérusalem.
Certes, il ne reste plus de tradition juive du tissage en Israël, mais la jeune femme a su s’inspirer des connaissances des habitants arabes de la région et apprendre de la poignée de personnes qui savaient encore travailler la laine, de la teinte de la matière à la production d’un pull…
Ce sont toutes ces histoires que le programme de tourisme culturel de Jérusalem se propose de faire découvrir à des groupes venus aussi bien d’Israël que de l’étranger.
De Norvège en Israël : la force de la rencontre avec les habitants
« L’aventure a débuté il y a quatre ans, lorsque nous avons décidé d’organiser une journée sur les créneaux d’activité économique touristique à Jérusalem », explique Mina Genem, la directrice générale adjointe de la planification des stratégies et politiques du ministère du Tourisme.
Assise sur la fenêtre baignée de soleil de la maison accueillante d’Efrat Giat, Mme Genem rappelle la genèse du premier projet de tourisme culturel dans la capitale.
Le principe : oublier pour quelques heures ou une journée les sites les plus fréquentés, pour rencontrer les femmes de Jérusalem dans leurs demeures et ainsi mieux connaître les Hierosolomytaines, leurs spécialités et l’histoire authentique de la ville.
L’idée a germé simultanément dans l’esprit de plusieurs femmes travaillant pour la municipalité de Jérusalem, afin notamment de réaliser la vision du maire Nir Barkat : attirer dix millions de touristes par an dans la capitale.
S’inspirant de leurs voyages en Norvège ou en Chine, « dont les plus forts souvenirs, au-delà des paysages époustouflants, restent ceux des rencontres avec les autochtones », Mme Genem et la directrice du projet, Yaël Kurlander, ont adopté l’idée d’une nouvelle forme de tourisme.
« C’est important dans un monde moderne en train de devenir si virtuel. Vous pouvez aller à l’hôtel sans avoir besoin de parler à qui que ce soit. Avec votre carte automatique, vous ne rencontrez personne, tout est si déconnecté, presque froid. Je pense que c’est la raison pour laquelle nous aspirons autant à cette rencontre humaine. D’ailleurs les Israéliens viennent du monde entier et c’est d’autant plus intéressant », affirme Mme Genem.
Pour Orly Ben Aharon, conseillère du maire de Jérusalem pour la promotion du statut des femmes, « ce projet permet de renforcer les femmes et d’augmenter leurs activités et revenus, tout en les intégrant dans la communauté ».
« Combien de fois pouvez-vous entrer dans la cuisine des gens lorsque vous venez à Jérusalem ? Vous pouvez aller voir les lieux saints, mais vous n’avez pas l’occasion de rentrer chez les habitants, de cuisiner et parler avec eux. J’ai pensé que nos femmes à Jérusalem pouvaient proposer cette expérience et en faire un métier », affirme Mme Ben-Aharon.
« Quatre ans après le lancement du projet, Ein Karem est devenu un petit village d’artistes et un véritable produit touristique », renchérit Mme Guenem. Le projet a en effet commencé avec 28 femmes du quartier et s’est peu à peu propagé dans la ville.
« Nous avons donné des cours et créé des entreprises de ce genre dans le reste de la ville : dans le quartier Bukharim, chez des femmes orthodoxes, puis chez des femmes arabes de Beit Safafa, Sharafat, etc. Je pense que ce sera la prochaine tendance, si ce n’est déjà le cas. C’est la cerise sur le gâteau. Le produit touristique, le gâteau, ce sont les sites connus, les attractions, etc. Mais ces rencontres avec des femmes israéliennes dans leurs maisons, c’est la cerise sur le gâteau, sans laquelle celui-ci aurait un goût différent », conclut Mme Guenem.
Des quartiers orthodoxes aux villages arabes de Jérusalem
Une soixantaine de femmes de Jérusalem participent au projet, dans tous les quartiers de la ville, d’Ein Kerem à Mea Shearim (avec deux artistes de la communauté Satmar), en passant par la Vieille Ville et des quartiers arabes comme Beit Safafa.
Parmi elles, une vingtaine de femmes religieuses, dont une dizaine d’ultra-orthodoxes, ainsi que huit Arabes et des femmes laïques. « La majorité de nos hôtesses sont des femmes qui ne travaillaient pas auparavant (surtout dans les communautés arabes et orthodoxes), des retraitées ou des jeunes seniors dans les 50-55 ans qui souhaitent continuer à travailler sans pouvoir intégrer le marché du travail public ou privé », explique la conseillère de Nir Barkat.
Certes, les questions fiscales ont d’abord posé quelques difficultés aux femmes qui ne travaillaient pas et craignaient la bureaucratie, mais la municipalité a proposé une formation gratuite et continue à accompagner ces femmes dans leurs démarches.
« Une relation particulière de solidarité et d’amitié s’est tissée entre ces femmes, orthodoxes, laïques et arabes. Au début c’était un peu dur, mais elles ont compris qu’elles avaient beaucoup en commun. En tant que femmes, elles veulent élever une famille, avoir un revenu, elles sont talentueuses, elles veulent faire ce qu’elles aiment, peindre, recevoir des hôtes… Cela a été le point clé pour créer ce projet de femmes qui se rencontrent, mangent, travaillent et rêvent ensemble », insiste Mme Ben-Aharon.
Pour certaines femmes, il ne s’agit que d’un complément de revenus, pour d’autres c’est l’occasion d’avoir de véritables ressources et de faire ce qu’elles apprécient. « J’aurai pu être professeur, mais j’ai trouvé exactement ce que j’aime faire et si je peux gagner de l’argent de ce qu’apprécie et sait faire, c’est le plus grand cadeau que nous a offert cette organisation », affirme Efrat Giat, qui confie pouvoir gagner entre 4 000 et 8 000 shekels par mois.
Une table de Chabbat qui accueille des hôtes venus d’aussi loin que la Chine
À Makor Baroukh, c’est le centre communautaire qui gère le projet pour une quinzaine de participantes, qui ouvrent leur cœur et leur maison dans la tradition de l’hospitalité juive.
« Ce programme permet de montrer le bon côté de la communauté orthodoxe, pour mieux comprendre ce qui s’y passe et connaître le mode de vie et les croyances de ces gens. Les femmes souhaitent rapprocher leur prochain (faire ce qu’on appelle du Kirouv Lévavot) et montrer leur hospitalité », explique Tzivia Birnbaum, responsable du projet « Batim Meakhrim » (des maisons accueillantes) au sein du centre communautaire.
Naomi Miller a 46 ans, 12 enfants et 13 petits-enfants, « plus trois en route ». Elle reçoit des groupes dans sa maison au cœur de l’un des quartiers orthodoxes de Jérusalem. Venue d’Angleterre, issue d’une famille d’obédience lituanienne, mariée à un Mashgiah Rouhani dans une Yéshiva (conseiller spirituel dans une école talmudique, NDLR), elle reproduit une table de Chabbat, avec les pains tressés, les salades et le tcholent traditionnel. Doula de profession, elle « aide les femmes à faire ce qu’elles devraient pouvoir faire idéologiquement, avec plaisir et non avec la peur au ventre », explique-t-elle.
Elle accompagne 6 accouchements par mois, s’occupe d’une grande famille, accueille des invités tous les Chabbat et trouve encore le temps de recevoir des groupes à sa table pour leur faire découvrir l’hospitalité juive traditionnelle.
Ces rencontres sont ainsi l’occasion de mieux comprendre une communauté où « tous les chats sont gris » à première vue. Tzippora Nussbaum, artiste spécialisée dans les portraits de Juifs hassidiques, a fait une recherche sur la « garde-robe juive authentique ». Elle reçoit maintenant des touristes et donne des conférences sur le choix des vêtements et leur signification pour les différentes communautés.
On y apprend les nuances entre les tissus utilisés, leur symbolisme profond et jusqu’à la signification de la couleur des chaussettes. « La prochaine fois que vous verrez un orthodoxe en costume noir, sachez qu’il est authentique. Il préserve une tradition passée et montre son appartenance à une certaine communauté. Le vêtement est un uniforme qui l’aide à agir d’après ses croyances », explique la jeune femme.
Dans la maison richement colorée d’une Arabe de Beit Sfafa
Samira Alyan est une Arabe palestinienne née à Halhul au nord de Hébron, et mariée à un Arabe israélien de Beit Sfafa. Elle a rejoint le programme il y a un an, car elle aime cuisiner et recevoir. « Avant tout, je participe au projet parce que j’aime cela de tout cœur. Je ne fais pas la cuisine pour manger, mais pour que les gens goûtent. Voir les autres heureux me fait plaisir », affirme Samira, qui a travaillé sept ans comme cuisinière dans un jardin d’enfants et a accueilli des enfants à la maison, avant de se reconvertir dans le tourisme.
Hospitalière de nature et aidée par un mari, maître d’hôtel au Ramada, elle n’a pas eu de difficultés à prendre le pli de l’accueil de groupes de dizaines de touristes. D’ailleurs, la visite de sa maison vaut le détour : d’une pièce sans toilettes ni cuisine, elle est devenue un petit palace richement décoré par la maîtresse des lieux.
Pour aider les touristes à contacter les femmes de Jérusalem et découvrir leurs histoires, la municipalité a mis en place un site Internet et une page Facebook : www.women-jerusalem.com.
Ces supports sont animés par la directrice du projet Yael Kurlander, qui s’occupe de toute la partie marketing du projet.
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