Des Israéliens font découvrir l’art de rue parisien
C'est à pied que les touristes israéliens n'hésitent pas à explorer le côté insolite de la scène artistique urbaine de Paris
- Shiry Avny explique lors d'un tour guidé comment les artistes de rue appliquent leur travail sur différentes surfaces. (Robert Sarner/ Times of Israel)
- La guide alternative Rotem Gerstel montrant un parc avec de l'art de rue lors d'un de ses tours. (Robert Sarner/ Times of Israel)
- Shiry Avny devant une fresque qu'elle a taguée lors de sa démonstration d'art de rue vers la fin de sa visite guidée. (Robert Sarner/ Times of Israel)
- La guide alternative Rotem Gerstel présentant un oeuvre d'art de rue. (Robert Sarner/ Times of Israel
PARIS — La première fois que Shiry Avny a visité Paris, elle était étudiante en design et voyageait à travers l’Europe durant l’été 2004. Pour financer son voyage, l’Israélienne a travaillé comme statue vivante dans des rues parisiennes à proximité de la basilique du Sacré-Cœur, un lieu de passage obligé dans le quartier de Montmartre pour les touristes.
Vêtue d’une robe en coton blanc et le visage recouvert de maquillage blanc pour ressembler à une fée, elle se tenait immobile pendant de longs moments, sans prononcer un mot. Cette illusion d’immobilité complète, si ce n’est quelques clins d’œil et légers signes de tête, lui a permis d’obtenir quelques pièces de la part de passants, principalement des touristes étrangers.
Aujourd’hui, 15 ans plus tard, Avny gagne toujours de l’argent dans les rues de Paris grâce aux touristes : elle organise des visites guidées de la riche scène artistique urbaine de la ville.
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Avny n’est pas la seule Israélienne à proposer à des autres Sabras des visites en hébreu dans les rues insolites de Paris. Pourtant, elle se distingue des autres guides, étant elle-même une artiste de rue. De fait, lors de ses visites, elle ne se contente pas de parler d’art de rue, mais souhaite aussi montrer comment en faire dans l’espace public.
Autrefois considéré comme subversif, l’art de rue et les graffiti sont aujourd’hui largement acceptés comme identité visuelle et expression culturelle d’une ville. Les artistes sont maintenant reconnus pour leur travail, perçu comme un mouvement artistique mondial. En moyenne, elle déclare proposer deux à trois circuits par mois, plus au printemps et en été, moins en automne et en hiver.
« Il y a beaucoup d’artistes de rues à Paris, » explique l’Israélienne de 39 ans, dans son studio d’artiste surplombant le canal de l’Ourcq dans le 19e arrondissement. « Certains sont de Paris, d’autres sont d’ailleurs en France, et beaucoup viennent du monde entier ».
« J’ai le sentiment que les autorités locales veulent que Paris devienne une capitale du street art afin qu’elle puisse rendre une partie du prestige artistique que la ville a perdu au fil des ans. Paris n’est plus la vedette de l’art contemporain, mais elle pense qu’en encourageant l’art de rue, elle ajoutera du cachet artistique à la ville », indique-t-elle.

Récemment, une dizaine de visiteurs israéliens se sont retrouvés à 10 heures du matin dans un petit café bohème appelé « La cagnotte sur la rue de Belleville » dans le 20e arrondissement de la capitale française. Accueillant ses compatriotes en hébreu, Avny a emmené le groupe dans une petite rue pour un premier arrêt, bien loin des célèbres attractions touristiques de la ville.
Se tenant devant un mur gris décoré d’une série de peintures, certaines recouvrant d’anciennes œuvres, elle explique la différence entre l’art de rue et le graffiti, qui sont souvent mis dans le même panier. L’art de rue désigne des images réalistes ou des visuels abstraits, posées par différents moyens, tandis que les graffiti sont composés de lettres et de textes, habituellement réalisés avec une bombe de peinture.
A première vue, le mur ressemble à un chaos visuel, un pot-pourri de contenus monochromes et de couleurs vives. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, des images distinctes apparaissent. On distingue un personnage blanc réalisé par Jérôme Masnager, un pionnier du mouvement artistique urbain parisien, dont « L’homme en blanc », semblable à un fantôme, a commencé à apparaître sur les murs de la ville il y a 35 ans.
Avny parle au groupe de la nature de l’art de rue et des graffiti dans Paris.
« La plupart des œuvres correspondent à une forme de protestation, » a déclaré Avny, qui a déménagé en 2005 pour vivre avec son futur mari. Il y a beaucoup de commentaires artistiques politiques et sociaux. En général, les artistes ont quelque chose à dire – certains expriment leur monde intérieur et d’autres parlent d’écologie, de questions sociales et de droits humains. Paris dispose aussi d’un héritage culturel d’affiches politiques relatives au soulèvement étudiant de mai 1968. On voit beaucoup d’artistes adeptes de ce style aujourd’hui ».

A l’heure actuelle, Avny effectue plus de visites en anglais qu’en hébreu, tout particulièrement depuis qu’elle s’est associée à Airbnb, qui propose ses visites dans son service d’expériences de la ville.
Vêtue d’un manteau bleu et d’un pantalon noir, Avny utilise un classeur rouge pour montrer des photos dans le cadre de ses explications. Conduisant le groupe le long du trottoir, elle s’arrête souvent pour montrer une œuvre particulière, certaines à hauteur d’humain et d’autres plus hautes. Prises ensemble, on dirait une exposition en plein air, proposant une grande variété de contenus et de styles, y compris des pancartes de rue et des volets de magasins illustrés par des artistes.

La guide aborde le sujet en détail et s’exprime avec passion. Elle cite de nombreux artistes – Invader, Pez, Fred Le Chevalier, Wild Drawing, Kouka et Jérôme Mesnager, cité plus haut – comme s’il s’agissait de système d’étoiles interagissant. Lors du circuit de deux heures, elle montre aussi certaines de ses propres œuvres, dont le motif principal est une mère africaine portant un enfant.
« Pour moi, c’est une femme combattante, et je voulais le peindre parce que j’ai porté mes fils comme cela, » explique Avny, dont les fils ont aujourd’hui 9 et 12 ans. Ma belle-mère sénégalaise m’a appris comment faire. Elle m’a donné les mêmes textiles qu’elle a utilisés pour porter son fils. Cela a été un moment très émouvant pour moi quand j’ai commencé à la peindre en 2015. C’était une affirmation pour mettre en valeur une femme car nous vivons dans un monde dominé par l’homme. A la fois dans la publicité et de l’art de rue, on ne voit pas beaucoup de femmes africaines ».
Dans la dernière partie de la visite, elle entraîne le groupe dans l’étroite rue pavée Denoyez, dont les murs sont recouverts d’art de rue et de grafiti. A la moitié de la rue, dans un endroit spécifiquement désigné pour les artistes de rue, elle s’arrête pour sortir son pochoir, son masque et une bombe de spray de peinture. Après avoir posé le pochoir sur le mur, elle peint dessus à la bombe spray, puis l’enlève pour dévoiler une silhouette graphique de la danseuse africaine urbaine Maimouna Coulibaly.

Le circuit en groupe, qui coûte 25 euros par personne, propose différents itinéraires dans le quartier de Belleville. Parfois, Avny emmène les curieux dans le quartier d’Oberkampf du 11e arrondissement, aussi riche en art urbain. Par le passé, elle a organisé des visites avec des groupes composés de 25 personnes au maximum, mais aujourd’hui, elle limite son groupe à une dizaine de personnes pour garantir une meilleure expérience aux participants.
« J’ai choisi cette visite pour voir quelque chose de différent sur Paris, » explique Haggit Inbar-Littas, âgé de 68 ans et originaire de Jérusalem, qui vit maintenant à Londres. L’art de rue et les graffiti font partie de l’expression moderne des artistes, ils mettent en lumière l’atmosphère politique de la ville. J’ai aimé quand Shiry a parlé de l’histoire du quartier et quand elle m’a fait découvrir des artistes dont je n’avais jamais entendu parler ».
Après la visite, Avny a souri quand on l’a interrogée pour savoir s’il y a une différence entre faire une visite guidée pour des Israéliens ou pour des touristes venus d’autres pays.
« Les Israéliens vous demandent tout sur votre vie, » a-t-elle déclaré. « Ils vous posent directement des questions personnelles. Pourquoi êtes-vous ici ? Que faites-vous à Paris ? D’où venez-vous ? Quel âge avez-vous ? Avez-vous des enfants ? C’est un peu comme une réunion de famille, en partie à cause de l’hébreu, ma langue maternelle ».
Les Israéliens ont également tendance à plus s’investir.
« Les Israéliens ont des choses à dire, ils ont une opinion plus tranchée, » a ajouté Avny, qui se rend en Israël une fois par an. « Par exemple, les Allemands se tiennent debout et écoutent, sans dire grand chose pendant la visite. Les Israéliens participent plus, ce qui est vraiment bien. Comme plus tôt aujourd’hui, quand des Israéliens ont dansé avec des locaux. Ce genre de spontanéité n’aurait jamais eu lieu avec d’autres groupes ».
Avny faisait référence à un épisode de la visite, lorsque le groupe a rencontré un musicien de rue qui jouait dans une allée. Plusieurs femmes israéliennes du groupe ont rejoint une femme qui dansait avec exubérance sur la musique.

En plus de ces visites guidées et de la peinture, Avny effectue aussi du design graphique pour la communauté juive réformée de Paris. En 2013, n’ayant pas réussi à trouver un manuel de langue débutant laïc à utiliser avec ses enfants, elle a auto-publié « Alef Bet, On Y Va« , un dictionnaire illustré français-hébreu dont elle a réalisé tout le contenu visuel et écrit.
Avny a commencé ses visites guidées en 2015 après avoir répondu à une annonce publicitaire d’une compagnie israélienne sur Facebook. Ils cherchaient quelqu’un pour faire des visites de street art en hébreu à Paris, comme ils le faisaient à Londres. Avny a décroché la mission, et en faisant des recherches sur le sujet, elle a interviewé de nombreux artistes de rue dont les travaux faisaient partie de la visite. Au fil du temps, elle a eu envie de se mettre elle-même au street art. En 2017, elle a quitté Artenative pour créer ses propres visites guidées.
Au lendemain de la viste d’Avny, 17 Israéliens de tous âges confondus se sont réunis au Café aux ours, rue des Pyrénées, dans le 20e arrondissement, pour une visite guidée par Arternative.

Après avoir salué tous les participants, la guide touristique Rotem Gerster a conduit le groupe rue du Retrait, où l’on peut voir de nombreuses fresques colorées sur les façades latérales des immeubles résidentiels. La clarté et l’ensoleillement de ce jour étaient des conditions idéales pour observer ces œuvres. A plusieurs moments de la visite, Gerstel donnait des informations historiques sur le phénomène du street art à Paris, parfois en utilisant son iPad pour montrer les travaux d’artistes historiques qui ont influencé les artistes de rue d’aujourd’hui.
Âgée de 30 ans, Gerster a rejoint Arternative en février dernier. Avant d’emménager à Paris avec son mari en 2016, elle avait terminé un cursus de 4 ans à l’école des Beaux-Arts Bezalel de Jérusalem, au département du Verre et de la Céramique. Gerstel, qui travaille sur des sculptures sonores, est l’une des deux guides hébraïsantes d’Arternative à Paris.
« Si l’art de rue n’est ni mon créneau ni mon support, je dois dire qu’après avoir intégré et conçu cette visite avec mes collègues d’Arternative, j’ai énormément appris et j’ai beaucoup de respect pour ce milieu », affirme Gerstel, née à Haïfa mais qui a grandi à Zichron Yaakov. « J’ai vraiment découvert quelque chose de très romantique dans la scénographie de l’art de rue. Les gens le font sans attendre une reconnaissance dans les galeries ou les musées. Ils veulent, pour la plupart, faire passer un message dans les rues, et je trouve cela romantique et intemporel. »

Créé en 2012 par deux Israéliennes installées à Londres, Danielle Heiblum et Talia Lederman, Arternative a d’abord commencé par des visites guidées autour du street art dans la capitale britannique. Quelques années plus tard, des visites ont été organisées à Paris et aujourd’hui, on peut réserver des visites en hébreu à Berlin, Barcelone, Amsterdam et Rome.
La visite proposée par Arternative est d’une durée similaire à celle d’Avny et couvre les mêmes œuvres, à l’exception de la fresque de la rue du Retrait.
Gerstel s’est fait l’écho d’Avny en décrivant le défi que représentent les visites pour les Israéliens.
« Avec leurs questions, les Israéliens brouillent souvent la limite entre le public et le privé », raconte Gerstel, mariée à un artiste vidéo. « Ils peuvent être assez directs dans leurs questions. Ils sont nombreux à trouver intéressant que j’aie choisi de vivre à Paris et ils ne se gênent pas pour me poser des questions. Parfois, c’est envahissant même si c’est réconfortant parce que je vis à Paris sans ma famille. Quand leurs questions deviennent trop indiscrètes, j’essaie gentiment de fixer une limite. »

En été, Gerstel organise entre trois et quatre visites par semaine, soit beaucoup plus qu’en hiver. Le tarif est de 24 euros par personne.
Malgré la vague d’attaques antisémites à Paris ces dernières années, elle n’a jamais eu de mauvaises expériences durant ses visites.
« Aucune, plutôt l’inverse », insiste-t-elle. « Les gens réagissent souvent positivement quand ils apprennent que nous venons d’Israël. Certains reconnaissent que nous parlons hébreu et disent « Shalom, comment ça va », ou « Shabbat Shalom », ce que les touristes apprécient beaucoup. »
Maya Yagen, PDG d’une agence d’architecture dans la périphérie de Tel Aviv, a effectué une visite Arternative en compagnie de son mari Shaul. Comme d’autres, elle aime cette tendance qui consiste à vivre une expérience en déambulant dans une ville et en abordant des thèmes allant de la gastronomie à l’art, en passant par l’histoire, qui parlent aussi bien aux touristes qu’aux locaux.

« Nous cherchions quelque chose avec de la valeur ajoutée pour notre séjour à Paris », a raconté Vagen, 42 ans. « Après avoir entendu parler d’Arternative sur Facebook, je me suis inscrite pour la visite, et je suis ravie de l’avoir fait. Rotem [la guide] est très renseignée, agréable et a l’air d’adorer faire cette visite. Je pense que pour explorer une ville, il faut une visite guidée avec un professionnel. Et si c’est en hébreu, c’est encore mieux pour nous. »
Durant leur séjour, Vagen et son mari ont également fait une visite des pâtisseries françaises avec Paris Chez Sharon, dirigées par deux Israéliennes expertes en la matière.
Alors que l’intérêt pour l’art de rue et les graffiti continue de grandir dans le monde entier et que de plus en plus d’artistes laissent leur marque sur les murs de paris, avec l’accord tacite de la mairie, les visites en hébreu seront probablement de plus en plus prisées des touristes israéliens, et notamment de ceux qui cherchent une activité autour de l’art, un peu différente, en extérieur. Mais le Louvre n’a aucun souci à se faire, ce n’est pas demain que Mona Lisa arrêtera d’attirer les foules.
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