En déficit chronique, l’hôpital Hadassah a de nouveau besoin d’être secouru
Au bord de la faillite en 2014, l'établissement de Jérusalem a reçu une bouée de sauvetage de 1, 5 milliard de shekels. Mais sa situation financière est à nouveau catastrophique

En juillet 2014, une présentation à huis clos au conseil d’administration du Hadassah Medical Center sur « Ce à quoi on peut s’attendre à Hadassah d’ici la fin de la période de renflouement du gouvernement » a présenté de sombres prévisions pour l’hôpital.
Le centre médical venait d’être sauvé de la faillite financière imminente par le gouvernement et Hadassah, l’Organisation des femmes sionistes d’Amérique [Women’s Zionist Organization of America], avec un accord de sauvetage qui devait octroyer 3,3 milliards de shekels (825 millions d’euros) sur sept ans pour que l’hôpital devienne financièrement autonome et viable.
Dans le cadre de cet accord, Israël a accepté d’investir au total près de 1,5 milliard de shekels (375 millions d’euros) au cours de cette période. La plus grande partie du renflouement se faisant sous forme de versements directs à l’hôpital, et certains sous forme de subventions et de gel des dettes existantes envers les fournisseurs appartenant à l’État.
Pour sa part, Hadassah Women s’est engagée à investir près de 700 millions de shekels (175 millions d’euros) sur la même période, par le biais de subventions ponctuelles ainsi que d’un soutien annuel.
Au cours de la présentation de 2014, le conseil d’administration a appris que d’ici la fin de 2020, les paiements annuels du gouvernement d’environ 96 millions de shekels par an (24 millions d’euros) prendraient fin, comme les 68 millions par an (17 millions d’euros) de Hadassah Woman. De plus, les dettes existantes – mises en suspens pour la durée de la période de renflouement – réapparaîtraient, ce qui nécessiterait un remboursement.
Au total, sans mesures de redressement supplémentaires, le conseil d’administration prévoit un déficit de 360 millions de shekels (90 millions d’euros) d’ici fin 2020.

C’était à l’époque. Cinq ans plus tard, en juillet 2019, il s’avère que la situation financière d’Hadassah est encore pire que prévu. Zeev Rotstein, PDG de Hadassah, a été convoqué la semaine dernière pour être interrogé dans le cadre d’une enquête ministérielle.
Selon une enquête menée par Zman Yisrael, le site en hébreu du Times of Israel, le déficit accumulé de l’hôpital devrait atteindre 519 millions de shekels (130 millions d’euros) à la fin 2019, soit 162 millions (40,5 millions d’euros) de plus que son objectif annuel de clôture. Actuellement, ce déficit est encore plus élevé, à 574 millions de shekels (143,5 millions d’euros). Et les hauts responsables de la santé estiment que l’hémorragie financière d’Hadassah est loin d’être terminée.

Le choix du sauvetage
Le centre médical Hadassah comprend plusieurs centres de soins et d’enseignement à travers Jérusalem, dont deux grands complexes hospitaliers – l’un à Ein Kerem, au sud-ouest de la capitale, et l’autre au mont Scopus, au nord-est. Hadassah compte plus de 1 000 lits d’hôpital, plusieurs salles d’opération et unités de soins intensifs, et sur le campus d’Ein Kerem, elle gère la salle d’urgences la plus fréquentée de Jérusalem et de ses environs.
Hadassah Medical Organization, une société d’utilité publique, possède et exploite le Hadassah Medical Center, avec tous ses hôpitaux et services. Hadassah, la Women’s Zionist Organization of America, est le principal mécène de cette entreprise, détenant un tiers des sièges au conseil d’administration de Hadassah et contribuant régulièrement à son budget par des dons et par des collectes de fonds.

Après des années de mauvaise gestion financière, Hadassah avait accumulé un déficit de près d’un milliard de shekels (250 millions d’euros) en 2014. Incapable de payer les salaires et ses dettes accumulées, l’hôpital était sur le point de cesser ses activités et de disparaître.
Trois options s’offraient à lui : la nationalisation par le gouvernement, la vente au coup par coup à divers magnats intéressés ou un accord de sauvetage financé par le gouvernement israélien et Hadassah, la Women’s Zionist Organization of America.
L’option choisie, l’accord de renflouement – qui a reçu un mandat du tribunal afin de permettre à l’hôpital de repousser les agents de recouvrement pendant la période de renflouement – signifiait que Hadassah était en grande partie placée sous le soutien à vie financé par les contribuables.
Outre le versement de près de 1,5 milliard de shekels (375 millions d’euros) à Hadassah sur une période de sept ans, le renflouement du gouvernement dépendait de l’engagement de la direction de l’hôpital à « assurer un fonctionnement sain et durable… tout en maintenant un équilibre financier durable ».
L’entente contenait une liste de politiques et de mesures strictes et précises que l’hôpital devait suivre afin de rationaliser ses opérations.
Cependant, dès que l’accord a été mis en œuvre, la direction de l’hôpital et les autorités gouvernementales de surveillance ont semblé ignorer bon nombre de ces politiques et mesures nécessaires. Divers avertissements ont été émis au fil des ans, mais les écarts par rapport au plan de sauvetage se sont poursuivis.

Quatre mois seulement après le début de la période de renflouement, en octobre 2014, le directeur financier de Hadassah, Yuval Adar, a envoyé à la direction un courriel, que Zman Yisrael a consulté, pour lui signifier que l’hôpital ne se conformait pas à ses engagements consistant à réduire ses effectifs et avait annulé les mises à pied qui avaient été décidées.
Un an plus tard, en septembre 2015, soit près de 18 mois après le début de la période de sauvetage, les comptes annuels de l’hôpital établissant que les objectifs prévus n’avaient pas été atteints, les comptables responsables des activités d’Hadassah ont ajouté une note de « préoccupation croissante » à son rapport annuel. Les comptables ont déterminé que la situation financière de l’hôpital soulevait « de réels doutes quant à sa capacité de fonctionner dans un avenir proche ».

Le rapport annuel de 2016 du contrôleur de l’État sur la mauvaise gestion financière d’Hadassah laissait également entendre que la mise en œuvre de l’accord était imparfaite. Le contrôleur n’a épargné aucune critique à l’endroit des ministères de la Santé et des Finances pour ce qu’il considérait être un manque de surveillance de la conformité de l’hôpital à l’accord de renflouement.
Contrôleur de l’Etat : Au fil des ans, chaque direction d’Hadassah a signé de mauvais contrats avec ses employés, ce qui a nui à sa stabilité financière.
Le rapport de 2016 indiquait que Hadassah avait continué à gaspiller de l’argent et demandait au gouvernement d’imposer des limites plus rigoureuses aux dépenses de l’hôpital. En ce qui concerne les salaires trop élevés, le contrôleur a affirmé qu’“au fil des ans, chaque direction de Hadassah a signé de mauvais contrats avec ses employés, ce qui a nui à sa stabilité financière”.
C’est le cas de Rotstein qui, en 2016, a été nommé PDG de Hadassah. Rotstein, un personnage controversé de l’industrie médicale israélienne, est considéré comme particulièrement proche du vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman, qui a fait pression pour Rotstein de 2015 jusqu’à sa nomination finale.
Dès le départ, Rotstein s’est heurté au ministère des Finances en raison de sa réticence à appliquer l’accord. Dans une lettre envoyée au conseil d’administration de Hadassah, Mme Michal Abadi-Boiangiu, alors trésorière générale au ministère des Finances, a critiqué Rotstein, déclarant qu’il avait violé « systématiquement et complètement » l’accord de sauvetage. Rotstein, à son tour, a répondu publiquement dans une lettre de septembre 2016, disant qu’Abadi-Boiangiu et son personnel ministériel entravaient son travail de gestion.
Zeev Rotstein : Votre ego vous aveugle tellement que vous ne pouvez pas voir l’incroyable revirement qui s’est produit au cours des huit mois où j’ai été PDG
« Votre ego ne peut pas vous permettre de voir l’avantage majeur de nommer quelqu’un de mon calibre pour diriger une institution aussi complexe et problématique que Hadassah », a écrit le cardiologue Rotstein, qui avant son poste à Hadassah était directeur général du Chaim Sheba Medical Center en 2004-2016. « Votre ego vous aveugle tellement que vous ne pouvez pas voir l’incroyable revirement qui a eu lieu au cours des huit mois où j’ai été PDG. »

En janvier 2017, Abadi-Boiangiu a quitté son poste au ministère des Finances. Dans une interview d’adieu, elle a confirmé publiquement que Hadassah ne respectait pas sa part de l’accord de sauvetage. « Les résultats parlent d’eux-mêmes », a déclaré Abadi-Boiangiu. « Deux ans et demi après le renflouement, l’hôpital n’est toujours pas financièrement indépendant. Il a de sérieux problèmes. »
En raison de ses conflits avec Rotstein, comme le rapporte le site Web en hébreu Calcalist, Litzman a contrecarré la nomination de Mme Adabi-Boiangiu au poste de commissaire de la fonction publique.
Salaires exorbitants
Avec Abadi-Boiangiu à la tête du ministère des Finances et Litzman à la tête du ministère de la Santé, Rotstein semblait, au moins jusqu’à récemment, avoir bénéficié du plein soutien des deux ministères.
Un porte-parole du ministère des Finances a refusé de répondre à toute question spécifique concernant le déficit croissant d’Hadassah, disant à Zman Yisrael que « à l’heure actuelle, l’activité de trésorerie de l’hôpital est équilibrée et son déficit accumulé, à fin 2018, est dans les objectifs du plan de sauvetage ».
L’unité d’enquête du ministère des Finances semble penser le contraire : la semaine dernière, Rotstein a été convoqué pour un interrogatoire, soupçonné d’avoir gonflé les accords salariaux avec les médecins du département d’hématologie-oncologie d’Hadassah.
En 2017, l’hôpital a été confronté à une grave crise lorsque l’ensemble du personnel du département d’hématologie-oncologie a fui l’hôpital en masse pour travailler dans d’autres institutions médicales dans un vote de défiance envers la direction de Rotstein.

Rotstein, déterminé à maintenir le département unique en son genre opérationnel, a recruté de nouveaux médecins qui, selon l’enquête du ministère des Finances, ont été payés des centaines de milliers de shekels pour rejoindre Hadassah.
Cela, ainsi que plusieurs autres salaires exorbitants versés pour recruter des médecins « vedettes » pour d’autres services de l’hôpital, constitue une violation de l’accord de sauvetage. En fait, un article de la convention prévoit un gel des salaires à l’échelle de l’hôpital pour toute la durée du renflouement et interdit d’augmenter le nombre d’employés de l’hôpital pendant cette période.

Dans sa correspondance avec Zman Yisrael, Rotstein a insisté sur le fait que « la direction a réduit les coûts RH de 115 millions de shekels (29 millions d’euros) par des licenciements, comme l’exige le plan de sauvetage ». M. Rotstein s’est abstenu de fournir des détails sur le moment et la façon dont ces suppressions de postes ont eu lieu.
Les rapports internes de Hadassah jusqu’en 2018, obtenus par Zman Yisrael, montrent que les coûts des RH ont en réalité augmenté ces dernières années. Cela pourrait être dû à une augmentation du nombre d’employés ou à une augmentation des salaires. Dans les deux cas, il s’agirait d’une violation de l’accord de renflouement.
Alors qu’Abadi-Boiangiu et le contrôleur de l’État ont tous deux averti que le gouvernement devrait surveiller de plus près la gestion de l’hôpital et limiter ses dépenses, Rotstein lui-même reconnaît maintenant avec joie une augmentation des dépenses sous sa direction.

« Hadassah a investi des dizaines de millions [de shekels] par an dans la modernisation et l’amélioration de son infrastructure et de ses équipements médicaux, et dans l’obtention de technologies de pointe dans tous les domaines médicaux », a-t-il écrit dans sa déclaration à Zman Yisrael.
Et si l’augmentation des dépenses ne suffisait pas, Hadassah a maintenant une nouvelle grosse dépense à l’horizon, cette fois pour ses employés. En janvier de cette année, dans une affaire sans rapport avec le renflouement, le tribunal du travail de Jérusalem a décidé que le centre médical devait verser au total 100 millions de shekels (25 millions d’euros) aux fonds de pension des salariés qui n’avaient pas reçu leurs allocations depuis 2004.
Retour vers le futur
Alors, à quoi faut-il s’attendre après décembre 2020, lorsque la période de sauvetage prendra fin ?
Rotstein lui-même a complètement rejeté l’efficacité de l’accord de sauvetage, déclarant à Zman Yisrael : « Étant donné que le plan de sauvetage n’a pas tenu compte des besoins d’Hadassah après 2020, cet accord est en fait une course à l’échalotte. »
Malgré les rapports financiers, le déficit élevé et le rejet de l’accord par le PDG de l’hôpital lui-même, le ministère de la Santé dirigé par Litzman continue à soutenir la direction de l’hôpital.

Un porte-parole du ministère a déclaré cette semaine à Zman Yisrael que Hadassah « répond aux exigences fondamentales de l’accord de sauvetage ». Le ministère a refusé de répondre à des questions précises sur les rapports financiers de Hadassah, mais a déclaré : « Si le gouvernement avait cru que l’hôpital violait l’accord, il n’aurait pas continué à renflouer l’hôpital chaque année. »
Rotstein est catégorique sur le fait que Hadassah est prospère, malgré le fait que son déficit accumulé actuel dépasse largement le demi-milliard de shekels.
« Les rapports financiers publiés à la fin de chaque année montrent que nous sommes dans une bien meilleure situation que prévu dans l’accord, y compris notre solde de trésorerie de fin d’année », a écrit Rotstein au Zman Yisrael. « Les audits financiers effectués par le gouvernement et la direction d’Hadassah prouvent qu’Hadassah a la capacité de fonctionner comme n’importe quel hôpital national en Israël. »
Rotstein a ajouté que la direction de l’hôpital travaille déjà sur un nouveau plan pour la période post-sauvetage 2021-2025, qu’il a présenté au Trésorier général actuel du ministère des Finances, ainsi qu’au directeur du ministère de la Santé. Rotstein a refusé de rendre le plan public.

M. Rotstein a fait remarquer qu’au cœur de son nouveau plan, il compte sur les crédits réguliers du gouvernement, qui sont accordés annuellement à tous les hôpitaux d’Israël. Toutefois, ces paiements sont beaucoup moins élevés que ceux que reçoit actuellement Hadassah dans le cadre du plan de renflouement.
Une source de haut rang de l’hôpital qui a parlé avec Zman Yisrael sous couvert de l’anonymat ne partage pas l’optimisme de Rotstein quant à la situation et estime qu’à la fin de la période de sauvetage en décembre 2020, Hadassah sera revenu à la case départ – cette fois avec pas d’autre solution que nationaliser cette institution, la rendant entièrement publique.
« Le bilan est inquiétant, les chiffres sont clairs », a déclaré la source. « La direction joue avec les données et les excuses abondent, mais les faits révèlent une bien sombre situation. »
Une source gouvernementale bien informée de l’état d’Hadassah au cours des cinq dernières années a dit à Zman Yisrael qu’une chose ne fait aucun doute : pour exister après 2020, Hadassah devra recevoir encore davantage d’argent de la part des contribuables.
Cet article a été adapté de la version originale en hébreu du Zman Yisrael, site frère du « Times of Israel ».