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Anatomie d'une crise

Une infirmière de cancérologie de Hadassah : le directeur de l’hôpital ment, “les enfants sont en danger”

Dix jours après le départ des médecins de l'unité d'onco-hématologie pédiatrique, le chaos règne dans le service

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Un clown médical au service d'onco-hématologie pédiatrique au mois de mars, peu de temps après la décision de sux médecins. 'Aujourd'hui le clown est triste', affiche sa pancarte à la main (Capture d'écran : Facebook)
Un clown médical au service d'onco-hématologie pédiatrique au mois de mars, peu de temps après la décision de sux médecins. 'Aujourd'hui le clown est triste', affiche sa pancarte à la main (Capture d'écran : Facebook)

« Je n’ai pas le droit de vous parler, je ne suis même pas sûre que ce soit légal. Mais je devais parler aux médias, parce que les enfants souffrent de négligence. »

Ce sont les mots d’une infirmière du service d’onco-hématologie pédiatrique de l’hôpital Hadassah de Jérusalem mercredi, défiant l’interdiction imposée par l’hôpital à ses employés de s’adresser aux médias pour lancer un appel désespéré au public.

Le 4 juin, une grande partie des médecins et internes du département ont quitté leurs postes, laissant derrière eux les infirmières et une poignée de remplaçants dans l’unique département d’oncologie pédiatrique de Jérusalem. Les neuf médecins avaient démissionné en mars, pour manifester leur objection au projet du directeur de l’hôpital Hadassah, Zeev Rotstein, de laisser les médecins opérer des greffes de moelle osseuse sur des enfants dans le même département que les adultes. Selon les médecins, cette décision risque de faire augmenter la mortalité infantile. Leur démission a pris effet le 4 juin.

Bien que les médias parlent d’une atmosphère de chaos dans ce département, Rotstein a indiqué à plusieurs reprises que tout était sous contrôle.

« Les trois premiers jours étaient un peu chaotiques », a déclaré Rotstein à la radio israélienne 103 FM lundi, après un reportage diffusé sur la Deuxième chaîne, dans lequel les infirmières de l’unité d’onco-hématologie pédiatrique confiaient à Rotstein que les enfants subissaient des erreurs de traitement, un enregistrement qui avait fuité.

« Nous avons rencontré les infirmières et elles ont soulevé des préoccupations légitimes, qui ont été prises en compte. Les préoccupations des infirmières sont spécifiques à ces premiers jours, a-t-il dit. Les médecins qui travaillent actuellement dans ce service sont les meilleurs. »

Mais selon une infirmière qui travaille dans ce service, et qui dit parler pour nombre de ses collègues, les choses ne sont pas sous contrôle.

« Il persiste à dire que tout va bien, que tout est sous contrôle. Mais je peux vous assurer que ce n’est pas le cas. »

Selon l’infirmière, qui a demandé à ce que son nom ne soit pas dévoilé, des erreurs ont régulièrement lieu dans le département, et elle craint que tôt ou tard, l’une de ces erreurs puisse nuire gravement à un enfant.

Un post sur Facebook honorant l'un des médecins démissionnaires écrit par le parent d'un enfant malade du cancer (Capture d'écran : Facebook screenshot)
Un post sur Facebook honorant l’un des médecins démissionnaires écrit par le parent d’un enfant malade du cancer (Capture d’écran : Facebook screenshot)

« Les nouveaux docteurs ne connaissent pas les patients, parce que ce sont des patients chroniques. Quand quelqu’un arrive aux urgences, il suffit de savoir ce qui se passe à l’instant T. Ici, il s’agit de patients qui sont dans le département depuis des années, et les médecins ne les connaissent pas et ne savent pas ce qui est bon ou mauvais pour eux. De nombreuses erreurs ont lieu chaque jour. Les infirmières tentent de réparer ces erreurs, mais c’est difficile. Nous sommes très, très frustrées. »

Si un parent lui demande ce qu’elle en pense, l’infirmière lui dira, sans hésiter, de transférer son enfant dans un endroit qu’elle juge plus sûr, comme Tel Hashomer ou l’hôpital pour enfants Schneider, tous deux à une heure de route. Mais elle dit que l’infirmière en chef a été très claire sur le fait de ne pas « fournir d’informations ».

« Je pense que les parents comprennent d’eux-mêmes ce qui se passe. Ils n’ont pas besoin que nous le leur disions. Ils voient que les infirmières sont frustrées, ils voient le chaos. »

Le 9 juin, a raconté l’infirmière, Rotstein s’est assis avec les infirmières de ce département ainsi qu’avec des infirmières du ministère de la Santé.

« Nous avons enregistré la conversation dans laquelle nous avons parlé de tout ce qui n’allait pas, a-t-elle dit. Nous avons laissé quelques personnes écouter cet enregistrement, probablement un peu trop de personnes, puisque que quelqu’un l’a communiqué à la Deuxième chaîne. Ce ne sont pas les infirmières qui l’ont transmis. L’administration de l’hôpital était très en colère, mais ça ne vient pas de nous. »

Les parents de jeunes malades du cancer de l'hôpital Ein Kerem manifestent en protestation contre le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le directeur général du centre médical   Hadassah Ein  Zeev Rotstein à Jérusalem, le 7 juin 2017 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Les parents de jeunes malades du cancer de l’hôpital Ein Kerem manifestent en protestation contre le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le directeur général du centre médical Hadassah Ein Zeev Rotstein à Jérusalem, le 7 juin 2017 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Après que la Deuxième chaîne a diffusé l’enregistrement, Rotstein et le porte-parole du ministère de la Santé ont pris la parole pour rassurer le public.

« Mais nous n’avons pas le droit d’aller voir la presse. C’est ça le problème. Nous ne pouvons pas dire que les choses vont mal. Rotstein dit ce qu’il veut et les gens le croient. Il ment et il néglige les enfants. Je pense que c’est criminel et c’est pourquoi je vous parle. »

Un désaccord sur le tourisme médical

L’Organisation médicale Hadassah, qui a deux campus à Jérusalem, est en proie à des problèmes financiers depuis 2008. Une tradition de salaires gonflés et une mauvaise gestion financière, ainsi qu’un faible taux de remboursement des fonds sanitaires d’Israël, et dans une moindre mesure, la crise financière de 2008, et la chaîne de Ponzi et de Madoff sont responsables d’une perte de 90 millions de dollars pour la Hadassah Women’s Organization of America, qui finance en partie l’hôpital.

Cette crise a atteint son paroxysme en février 2014, quand l’hôpital, engoncé dans 370 millions de dettes, s’est déclaré en faillite après que deux banques israéliennes ont décidé de couper les lignes de crédit de l’institution. Le gouvernement, Hadassah Women’s Organization of America, les créanciers de l’hôpital et cinq syndicats de l’hôpital ont accepté un programme de redressement, et un an plus tard, Zeev Rotstein a été nommé directeur général par le ministre de la santé Yaakov Litzman, dans l’espoir qu’il aiderait à remettre l’hôpital sur la voie de la convalescence financière.

Rotstein, qui avait au préalable dirigé l’hôptal Sheba proche de Petah Tikva pendant 10 ans, est connu pour avoir redressé les comptes de l’hôpital et avoir restauré un fonctionnement efficace.

L’un de projets de Rotstein pour restaurer la solvabilité d’Hadassah était d’augmenter le tourisme médical. Au moment de la démission des médecins, près de 70 % des patients en oncologie pédiatrique étaient des usagers payants venus de l’Autorité palestinienne, de Russie ou d’Ukraine. Les patients palestiniens payent comme des Israéliens, mais les patients russes payent près de 500 000 shekels (140 000 euros) pour pour une greffe de moelle osseuse, selon l’infirmière qui s’est confiée au Times of Israël.

« Les greffes de moelle osseuse sont des vaches à lait pour l’hôpital », a assuré au Times of Israël Shraga Bar-On, un Hyérosolomitain dont la fille est hospitalisée pour un cancer.

L’an dernier, Rotstein a cherché à faire augmenter le nombre d’enfants russes qui recevraient des greffes de moelle osseuse, selon l’infirmière. Il a envoyé l’un des médecins du département, une chirurgienne de renom, Polina Stepensky, en Russie, à plusieurs reprises, pour faire venir de nouveaux patients.

« Le tourisme médical est une bonne chose pour nous, c’est une bonne chose », a assuré l’infirmière au Times of Israël. « Mais il faut savoir combien de touristes faire venir afin qu’ils ne soient pas soignés ici aux dépens des enfants israéliens. Si vous allez chercher en Russie, vous allez toujours trouver une mère, mais les médecins ne peuvent pas prendre en charge un nombre illimité de patients et leur donner à tous de bons soins. »

Selon l’Israel Union of Medical Tourism, en 2014, l’industrie du tourisme médical a traité 60 000 patients et récolté 1,5 milliard de shekels.

De nombreux parents de patients du département interviewés par le Times of Israël se sont accordés pour dire que le tourisme médical était profitable à Israël en général et à Hadassah en particulier, mais que dans le cadre du département d’onco-hématologie pédiatrique, ils avaient l’impression que c’était réalisé de façon précipitée et aléatoire.

Le Professeur Michael Weintraub, chef du service d'hémato-oncologie de l'Hôpital  Hadassah  Ein Kerem (Autorisation Hadassah)
Le Professeur Michael Weintraub, chef du service d’hémato-oncologie de l’Hôpital Hadassah Ein Kerem (Autorisation Hadassah)

En effet, selon le magazine Hamakor diffusé sur la Dixième chaîne, l’unité de service d’onco-hématologie de l’hôpital Hadassah a accueilli 160 nouveaux malades l’année dernière, contre 120 quatre ans avant. Mais le nombre de médecins – six médecins-chefs et deux à trois médecins résidents – est resté le même. A titre de comparaison, les services similaires dans d’autres hôpitaux israéliens, comme Sheba et Schneider, affichent un nombre de médecin par patient deux fois plus élevé.

« Les médecins n’ont pas rencontré de problème avec le tourisme médical, estime Shraga Bar-On. Mais ils ont voulu tout d’abord élargir les équipements et le personnel. Il semble que Rotstein ait voulu rapidement de l’argent. »

L’infirmière a indiqué au Times of Israël que Rotstein était généralement mal-aimé dans son service et considéré comme un tyran. Elle se rappelle en particulier qu’il avait qualifié Mickey Weintraub – un médecin très apprécié et admiré par les parents et par les infirmiers – de « Haman démoniaque ». Il avait également déclaré lors de l’émission Hamakor d’un air menaçant que si quelqu’un le menaçait lui-même, il « le tuerait », un commentaire que personne n’avait pris au sens littéral mais dont des critiques avaient estimé qu’il reflétait bien son style de gestion.

Le directeur-général de Hadassah  Zeev Rotstein (Capture d'écran : Youtube)
Le directeur-général de Hadassah Zeev Rotstein (Capture d’écran : Youtube)

Selon l’infirmière, les médecins de l’unité d’onco-hématologie ont toléré leur nouveau chef jusqu’à la fin de l’année dernière, lorsqu’ils ont appris le projet d’opérer de jeunes patients qui devaient subir des interventions de moelle osseuse dans l’unité pour adultes.

« Il n’y a pas un seul endroit au monde où les enfants et les adultes sont opérés au sein de la même unité », s’est exclamée l’infirmière.

« Envoyer un enfant à l’Institut Sharett [d’oncologie] revient à l’envoyer au cimetière », estime le parent d’un enfant hospitalisé au sein de l’unité de cancérologie de Hadassah, des propos confiés au Times of Israël, citant une statistique non vérifiée selon laquelle les malades ayant subi des greffes au sein de l’unité d’onco-hématologie à Hadassah présentent un taux de survie de 73 % alors que les patients de l’Institut Sharrett, opérés pour une greffe de moelle à l’âge adulte, ont une chance de survie de 50%.

Le 5 mars, les six médecins-chefs de l’unité ont démissionné de leur poste, affirmant que Rotstein mettait en danger les enfants de leur service. Le 4 juin, malgré les efforts livrés par l’hôpital Hadassah pour obtenir une injonction judiciaire permettant de les maintenir à leurs postes, les démissions sont devenues effectives et les six médecins-chefs, rejoints par trois résidents, ont cessé de venir au travail.

L’onco-hématologie pédiatrique est une spécialité qui réclame des années de formation et il a été difficile pour Hadassah de reconstituer le personnel de l’unité, a expliqué l’infirmière.

« Rotstein a embauché deux nouveaux médecins. Le professeur Goldstein est le directeur. Il a fait des rotations pendant un mois avec nos médecins. Puis il y a eu un autre médecin qui est venu des Etats-Unis. Il a été nommé également directeur. Donc dorénavant, nous avons deux directeurs et aucun médecin travaillant au sein de l’unité… C’est fou. »

Un prospectus émis par des parents qui protestent contre les politiques de Hadassah qui dit : "Nous à Hadassah, n'abandonnons pas les enfants malades", avec les mots 'enfants malades' barrés et remplacés par 'l'argent des touristes' (Capture d'écran : Facebook)
Un prospectus émis par des parents qui protestent contre les politiques de Hadassah qui dit : « Nous à Hadassah, n’abandonnons pas les enfants malades », avec les mots ‘enfants malades’ barrés et remplacés par ‘l’argent des touristes’ (Capture d’écran : Facebook)

Rotstein, pour sa part, affirme que les enfants se trouvent entre de bonnes mains et que les démissions ont eu lieu parce que le directeur du service d’onco-hématologie pédiatrique, Weintraub, jalousait le fait que son protégé, Stepansky, ait été promu à un poste plus important que le sien. L’ego blessé de Weintraub – selon la version des événements livrée par Rotstein – l’a amené à persuader tout son personnel d’encadrement à partir à Shaarei Tzedek, un hôpital rival de Jérusalem, qui n’a pas à se remettre d’une faillite et peut offrir une meilleure situation aux médecins.

Le ministre de la Santé Litzman a pris le parti de Rotstein et interdit aux autres hôpitaux publics israéliens, notamment à Shaarei Tzedek, de recruter les médecins démissionnaires, ne laissant d’autre choix à ces médecins hautement spécialisés que de retourner à Hadassah ou de rester chez eux. Un tollé public a suivi, de nombreux parents d’enfants qui avaient été soignés au sein de l’unité s’exprimant en faveur des médecins démissionnaires et recommandant vivement à Litzman de laisser ces derniers ré-ouvrir leur unité à Shaarei Tzedek.

Mais Litzman a refusé pour des raisons qui restent obscures.

Interrogé, Litzman n’a pas expliqué les motivations de son positionnement au Times of Israël, avant d’émettre un communiqué affirmant que « le ministre Litzman soutient pleinement le jugement professionnel des cadres supérieurs au sein du ministère de la Santé qu’il ne serait pas approprié d’établir une deuxième unité d’onco-hématologie à l’hôpital de Shaarei Tzedek. Le ministre soutient les parents et œuvre à garantir que l’hôpital Hadassah continuera à faire fonctionner un département professionnel au plus haut niveau. »

Les parents de jeunes malades du cancer de l'hôpital Ein Kerem manifestent en protestation contre le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le directeur général du centre médical   Hadassah Ein  Zeev Rotstein à Jérusalem, le 7 juin 2017 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Les parents de jeunes malades du cancer de l’hôpital Ein Kerem manifestent en protestation contre le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le directeur général du centre médical Hadassah Ein Zeev Rotstein à Jérusalem, le 7 juin 2017 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le fait que neuf médecins aient quitté le service a-t-il amené le ministre à remettre en question les compétences de Rotstein à son poste ? Interrogé, Litzman n’a pas souhaité répondre.

Rotstein avait initialement accepté de s’entretenir avec le Times of Israël mais n’a pas répondu aux sollicitations au moment où cet article est publié. Dans une interview accordée au site d’information NRG cette semaine, il a défendu ses actions, disant qu’il était quelqu’un « qui est venu guérir Hadassah, qui était en faillite. J’ai pris quelques mesures douloureuses. Il est manifeste que mes décisions d’austérité ne me rendent pas populaire mais il est impossible de dire que mon dessein soit la cupidité. Aujourd’hui, le personnel comme les malades à Hadassah ont à nouveau les yeux qui brillent. »

Mais ce n’est pas le cas de l’infirmière du service d’onco-hématologie pédiatrique. Elle pense que son service est en crise et que la démission était le seul moyen des médecins d’alerter le public sur les problèmes profonds rencontrés.

« Après le départ de nos médecins, les gens ont dit : ‘Comment des médecins ont-ils pu partir, est-ce qu’ils ne se préoccupent pas de leurs malades ?’ Je pense qu’ils ont senti que la situation avec les greffes de moelle osseuse était trop dangereuse à affronter. Et ça continue. Il y a eu huit greffes en un mois à l’unité des adultes depuis lors. Les enfants sont en danger. Le ministère de la Santé dit : ‘ne vous inquiétez pas, on surveille’. Mais ils ne le font pas. Ils ne font rien. »

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