En “enfer”, les plongeurs israéliens cherchent un aviateur depuis longtemps disparu
30 mètres sous la surface du lac de Tibériade, une équipe de soldats et de civils ratisse méthodiquement le fond pour retrouver Yakir Naveh, disparu en 1962
Une pièce de métal de la taille d’une main. Un morceau de bois. Des rivets. Un fragment de plastique.
Presque 54 ans après le crash du Fouga Magister de Yakir Naveh dans le lac de Tibériade, les plongeurs de la marine israélienne continuent à trouver des fragments de l’avion, mais pas le corps de Naveh.
Naveh est l’un des 179 soldats israéliens dont le lieu d’enterrement est inconnu. Mais une unité espère changer cela.
Depuis 2000, une équipe de soldats et de civils vient presque une fois par an au lac de Tibériade avec des cartes et des combinaisons de plongée pour chercher les restes de Naveh.
« Ils l’ont envoyé dans une mission dont il n’est jamais revenu. Maintenant, nous faisons tout ce que nous pouvons pour le ramener », a déclaré Matan Bar au Times of Israel, regardant depuis la rive est du lac de Tibériade.
Le 6 mai 1962, Naveh entraînait un cadet sur un Fouga Magister quand leur avion est descendu trop bas au-dessus de l’eau et que le moteur s’est coupé. Le nez de l’avion a touché l’eau, déclenchant un tourbillon féroce, aile sur aile.
« L’avion s’est disloqué, complètement », a dit Bar depuis le port du kibboutz Ein Gev.
En 1963, une équipe de recherche a retrouvé le cadet qui pilotait l’avion, Oded Kouton, mais aucune trace de Naveh.
Naveh est né à Ramat Gan en 1939. Il avait 23 ans et était jeune marié au moment de l’accident. Son grand frère et son neveu, appelé Yakir en son honneur et qui est aussi devenu pilote, rencontrent toujours l’équipe avant qu’elle ne commence sa mission annuelle.
Il est toujours difficile pour la famille de se rendre au lac de Tibériade, sachant que c’est là que Naveh est mort, a dit Bar.
Commandant d’une unité de combat sous-marin de la marine israélienne, Bar a été impliqué dans les recherches de l’avion de Yakir Naveh depuis plus de dix ans, d’abord comme plongeur en 2003 et maintenant comme officier dirigeant les recherches de cette année, qui ont commencé le 28 février.
Au cours des années, les équipes impliquées se sont rapprochées de la découverte du pilote disparu, a dit Bar. Ils ont trouvé sa montre, son pistolet, et même des morceaux de son siège. Mais Naveh est toujours disparu.
Pourquoi ?
Le lac de Tibériade n’est pas particulièrement grand. Il a une surface de 167 km². Même par un jour brumeux, on peut voir l’autre côté.
L’armée a des sonars, des détecteurs de métaux, un nombre illimité de gadgets qui devraient accélérer le travail de recherche. Alors comment Naveh peut-il être disparu depuis plus de 50 ans dans un si petit lac ?
Regardant depuis la côté, Bar fait remarquer : « D’ici, cela semble plutôt pastoral, n’est-ce pas ? »
Certes. Les oiseaux gazouillaient. Les eaux étaient tranquilles, et le lumineux matin de printemps était chaud, une légère brise rafraichissante soufflait du rivage.
« Eh bien, là-dessous, c’est l’enfer. »
Comment trouver un site d’accident vieux de 54 ans
Depuis l’écran d’un bateau militaire utilisé par l’armée pour les recherches, vous pouvez voir les profondeurs du lac de Tibériade via une caméra attachée au casque d’un plongeur.
Vous ne pouvez pas voir grand-chose.
L’image en noir et blanc est principalement blanche, puisqu’il n’y a que peu de visibilité au fond du lac. De temps en temps, un tuyau ou un morceau de corde passe, et disparaît juste une seconde après, laissant un écran blanc montrant les particules dansant dans l’eau éclairée par les LED du casque.
« C’est le noir complet, le noir complet, a dit Bar. Et c’est froid. Nous parlons de 14°C. » (L’hypothermie peut se déclencher dans une eau inférieure à 21°C.)
Les plongeurs portent une combinaison fabriquée aux Etats-Unis pour se protéger du froid et ont des couteaux dans des fourreaux jaunes brillants. Ils n’utilisent pas de bouteilles de plongée, les communications et l’oxygène arrivent dans leur casque métallique par des tubes colorés brillants, surnommés les cordons ombilicaux, depuis la surface jusqu’au fond, à environ 32 mètres de profondeur.
Une petite équipe d’officiers et de plongeurs expérimentés surveille le système et reste en contact constant avec les plongeurs en utilisant une grande boîte transportable pleine de cadrans et de jauges.
« Parfois vous vous sentez claustrophobes, mais parler avec les gens au-dessus vous calme », a déclaré Sahar Nitzan, l’un des plongeurs cherchant les restes de Naveh. « Et vous avez froid, vous avez vraiment froid. »
Pour la marine, cette mission a également le côté bénéfique de donner à des plongeurs comme Nitzan, qui se sont enrôlés il y a moins d’un an, l’opportunité de s’entraîner dans un nouvel environnement difficile, a déclaré Bar.
Utilisant une pompe depuis la surface, Nitzan et sept autres plongeurs draguent le lac de Tibériade, rapportant des sédiments du fond dans un simple petit bateau, une « baignoire » comme l’appelle Bar, où ils sont passés dans un fin tamis.
La boue et les pierres sont jetées, alors que les morceaux d’épave sont méticuleusement catalogués pour construire une image complète du crash.
Ils travaillent en se basant sur une grille composée de carrés, chacun faisant six mètres sur six, pour cartographier les endroits déjà fouillés et s’assurer qu’ils n’en ratent pas un.
A partir des morceaux de l’avion qui ont déjà été retrouvés et des modèles et des calculs informatiques, la dispersion après l’accident de Naveh s’est faite sur une zone estimée à environ 100 mètres sur 200, selon le représentant du département des personnes disparues et d’enquête sur les accidents de l’armée de l’air israélienne, qui est responsable des recherches.
Les plus grands morceaux de l’avion, les ailes et la verrière, ont déjà été retrouvés, ne laissant que de petites pièces derrière eux. Et parce que la visibilité est quasi inexistante dans le lac de Tibériade, le seul moyen de chercher Naveh et les restes de son avion est de le faire carré par carré, de draguer et de filtrer, de draguer et de filtrer.
Oh j’allais oublier, à cause de la profondeur, les plongeurs ne peuvent rester sous l’eau qu’une demi-heure à la fois, avant de devoir remonter pour éviter les maux de la décompression.
C’est un travail lent et méticuleux. « Ce n’est pas dangereux ou difficile, mais c’est compliqué », a déclaré Bar.
Notre casting
Bien que la plupart des démarches soient faites par l’unité de combat sous-marin de la marine, au moins quatre autres groupes sont impliqués dans la mission, qui est nommée « Yakir HaYam », un jeu de mots en hébreu avec le prénom de Naveh, qui signifie aussi « Chéri de la mer ».
La marine, l’armée de l’air, l’unité « Eitan » de l’armée, qui recherche les soldats disparus en action, et un petit groupe de civils sont aussi impliqués dans les recherches pour Naveh.
L’équipe sur le bateau donne l’impression d’un groupe hétéroclite qui pourrait figurer dans un film hollywoodien.
Il y a des plongeurs, majoritairement de nouveaux soldats, leurs commandants, l’officier jovial et le sous-officier qui fait des blagues en manipulant de manière experte l’équipement de plongée, deux représentants sérieux de l’armée de l’air, cataloguant les morceaux d’épave et remplissant les grilles de recherche, et il y a Menachem.
Menachem Lev est le capitaine du Gil, le bateau de pêche civil que l’armée utilise pour mener les recherches. (La marine israélienne n’a que très peu voire pas de présence dans le lac de Tibériade).
Lev est impliqué dans les opérations de recherches depuis qu’elles ont commencé en 2000, et son bateau est celui qui a été utilisé pour retrouver Oded Kouton, le cadet mort dans l’accident, en 1963. « Alors nous devons être ceux qui trouveront Yakir », a-t-il dit.
Pendant le court moment passé à bord, Lev a fait trop de blagues indécentes pour pouvoir les compter : « je suis un civil, je n’ai pas besoin de faire attention à ce que je dis », a-t-il dit en riant.
Mais quand il s’agit de la mission, les blagues s’arrêtent. « C’est un message clair de l’Etat d’Israël : nous n’abandonnons pas nos soldats », a-t-il déclaré.
A quoi ressemblera une ‘mission accomplie’ ?
L’armée recherché Yakir Naveh depuis 54 ans, et n’a rien trouvé. Mais les personnes impliquées ne sont pas prêtes à abandonner.
« Maintenant, il est considéré comme un soldat dont le lieu d’enterrement est inconnu », a dit Bar.
Et pour lui, c’est inacceptable.
« Il est l’un d’entre nous, et sa famille souffre, a déclaré Bar. Il y a un sentiment de responsabilité. Et il y a aussi une notion d’ego : tout le monde veut être celui qui retrouvera Yakir. »
En 2009, l’équipe de plongée a trouvé des restes humains sur le fond du lac. Les espoirs ont été grands d’avoir finalement retrouvé Naveh, mais après une comparaison ADN, ils ont découvert que les os appartenaient au cadet, Kouton, qui était avec lui dans l’avion, a dit Bar.
Bien que décevante, cette découverte a prouvé que certains des restes de Naveh ont pu survivre si longtemps.
« Il n’y a pas d’oxygène dans l’eau du fond du lac de Tibériade, donc il n’y a rien qui peut abîmer les os », a déclaré Bar.
Mais malgré les eaux conservatrices, les chances de retrouver le squelette complet de Naveh sont minces. L’équipe place ses attentes un peu plus bas.
« Au final, nous cherchons à trouver l’un des os de Yakir pour que nous puissions l’enterrer, a dit Bar. Dans la religion [juive], tout ce dont vous avez besoin est [un petit morceau]. »
Une recherche Google sur le nom de Yakir Naveh renvoie une série d’articles couvrant les 16 ans de reprise des recherches, chacun donnant l’impression que cette année sera l’année où il sera finalement retrouvé.
Les titres comportent des mots comme « tournant spectaculaire », « nouvelles pistes » ou « grands espoirs », mais jusqu’à présent, aucun de ces tournants, pistes et espoirs n’a donné quelque chose.
Mais peut-être que cette année, le résultat sera différent. Peut-être que cette année sera celle où Yakir Naveh sera finalement enterré.
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