Israël en guerre - Jour 533

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‘Il est toujours inquiétant et perturbant de voir une loi utilisée pour imposer quelque chose dans la connaissance commune’

La nouvelle loi polonaise tente-t-elle de blanchir le rôle de leurs citoyens dans la Shoah ?

Certains experts s’inquiètent que la loi qui pénalise le terme de “camps d’extermination polonais” souligne un aspect de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale tout en supprimant le passé sombre du pays

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne, récite une prière pour les victimes du massacre de Jedwabne au cimetière juif de la ville, le 10 juillet 2016. (Crédit : JTA/Cnaan Liphshiz)
Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne, récite une prière pour les victimes du massacre de Jedwabne au cimetière juif de la ville, le 10 juillet 2016. (Crédit : JTA/Cnaan Liphshiz)

En 1956, un groupe d’anciens nazis travaillant pour les services de renseignements de l’Allemagne de l’Ouest a inventé une terminologie qui est sans conteste devenue la propagande la plus virale, et celle qui dure depuis le plus longtemps, née de l’ancien régime d’Hitler : « camps d’extermination polonais ».

L’agence 114, pleine d’anciens membres allemands de la Gestapo, des SS et des Sicherheitsdienst (les services secrets nazis), était dirigée par l’ancien sergent de la Geheime Feldpolizei, la police secrète militaire, Alfred Benzinger, à qui le terme a été attribué.

L’objectif de Benzinger ? Changer le discours public et déplacer la responsabilité de l’Holocauste de l’Allemagne et des Allemands à la Pologne, où étaient situés la plupart des camps d’extermination du régime nazi. Et au moment de l’attaque propagandaire de Benzinger, la Pologne était plongée dans les affres de turbulences intérieures si fortes que la formulation était à peine une priorité.

La Pologne, envahie par l’Allemagne nazie et la Russie soviétique en 1939, a été annexée par les nazis en 1941. Après sa « libération » par les Soviétiques en 1945, une série de gouvernements fantoches l’avait laissée instable, et pauvre.

Aujourd’hui, les circonstances ont clairement changé. Cette semaine, le cabinet de Beata Szydlo, Premier ministre de Pologne, a approuvé un projet de loi qui pénaliserait l’utilisation du terme « camps d’extermination polonais » en référence aux camps d’extermination dirigés par les nazis en Pologne occupée. L’utilisation de l’expression interdite pourrait être punie de trois ans de prison si elle est considérée comme intentionnelle, ou d’une lourde amende.

Beata Szydlo, Premier ministre de Pologne, vice-présidente du parti conservateur Droit et Justice (PiS), annoncent les membres du nouveau cabinet à Varsovie, le 9 novembre 2015. (Crédit : AFP/Janek Skarzynski)
Beata Szydlo, Premier ministre de Pologne, vice-présidente du parti conservateur Droit et Justice (PiS), annoncent les membres du nouveau cabinet à Varsovie, le 9 novembre 2015. (Crédit : AFP/Janek Skarzynski)

« Ce n’était pas nos mères, ni nos pères, qui étaient responsables des crimes de l’Holocauste, qui ont été commis par des criminels nazis et allemands sur le territoire de la Pologne occupée », a déclaré mardi le ministre de la Justice Zbignew Ziobro. « Notre responsabilité est de défendre la vérité et la dignité de l’Etat polonais, et de la nation polonaise, ainsi que nos pères, nos mères et nos grands-parents. »

La législation avait initialement été proposée par le parti de Szydlo, Droit et Justice (PiS) en 2013, et elle avait été rejetée. A son accession au pouvoir en 2015, PiS avait cependant promis de « rééquilibrer beaucoup des façons dont les Polonais pensent, parlent et étudient leur propre histoire », selon l’agence de presse allemande Deutsche Welle, et d’instiller une fierté nationale.

La tolérance zéro du nouveau gouvernement nationaliste de l’utilisation de « camps d’extermination polonais », a été saluée cette semaine par la jeune dirigeante de la communauté juive polonaise Klaudia Klimek, qui dirige la branche de Varsovie de la grande organisation culturelle juive TSKZ.

Représentant les 10 000 membres actifs de la communauté juive de Pologne, Klimek a déclaré que le président de TSKZ, Artur Hoffman, avait aussi soutenu le projet de loi, à la Knesset israélienne, et en tant que membre consultant de la commission des minorités du gouvernement polonais.

Pendant un entretien avec le Times of Israël, Klimek a souligné le besoin de précision historique au sujet de l’Holocauste, qui a été, dit-elle, une atrocité commise par le régime nazi sur un territoire occupé. Contrairement aux autres pays européens, la nation polonaise n’a jamais collaboré avec le régime nazi, a déclaré Klimek. Il y avait de mauvais Polonais et de bons Polonais pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Selon le musée mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis, « le gouvernement polonais en exil basé à Londres a soutenu la résistance à l’occupation allemande, dont une partie pour aider les juifs. »

Cependant, au sein de la Pologne occupée par les nazis, « alors que les forces allemandes ont mis en place les assassinats, elles ont attiré certaines agences polonaises, comme les forces de police polonaises et le personnel du transport ferroviaire, pour garder les ghettos et assurer la déportation des juifs dans les centres d’assassinats. Des Polonais ont souvent participé à l’identification, à la dénonciation et à la chasse des juifs cachés, en profitant souvent du chantage associé, et en participant activement aux pillages des propriétés juives. »

Klaudia Klimek dirige la branche de Varsovie de la vaste organisation culturelle juive de Pologne, TSKZ. (Crédit : autorisation)
Klaudia Klimek dirige la branche de Varsovie de la vaste organisation culturelle juive de Pologne, TSKZ. (Crédit : autorisation)

« Nous ne pouvons pas dire comme une généralité que les Polonais, ou la société polonaise, étaient impliqués dans l’Holocauste », a déclaré Klimek. Cependant, « comme la majorité de l’Holocauste a eu lieu en Pologne, la société polonaise réagit, et prend soin de l’Histoire. »

‘Comme la majorité de l’Holocauste a eu lieu en Pologne, la société polonaise réagit, et prend soin de l’histoire’

Bien que la loi soit actuellement débattue dans les médias, quand le Parlement reprendra ses travaux en septembre, Klimek pense qu’elle sera votée.

Mais après un été où les politiciens du PiS ont joué un double jeu avec l’Histoire, on pourrait se demander si cette nouvelle loi des « camps d’extermination polonais » est une manifestation du blanchiment historique des Polonais nationalistes.

La législation intervient un mois après les importantes « erreurs » historiques de politiciens du PiS au sujet de massacres très documentés perpétrés par des Polonais.

La plus importante parmi elles a eu lien pendant un entretien accordé mi-juillet par la ministre de l’Education Anna Zalewska à la chaîne polonaise publique TVN. Elle avait sous-entendu que le massacre de Jedwabne de 1941, où des Polonais ont brûlé vivant plus de 300 juifs dans une étable, était une question « d’opinion ».

Le film polonais ‘Aftermath’ explore le massacre de Jedwabne. (Crédit : autorisation)
Le film polonais ‘Aftermath’ explore le massacre de Jedwabne. (Crédit : autorisation)

Zalewska n’est pas la seule. Comme l’a annoncé Polish Newsweek, un sondage de l’opinion publique polonaise à la suite des déclarations de Zalewska a montré que 33 % de la population étaient d’accord avec : « Des Polonais ont brulé des juifs dans une étable à Jedwabne. » Le plus grand pourcentage de désaccords a été retrouvé chez les jeunes.

De plus, le président récemment élu de l’Institut du souvenir national de l’Etat polonais, Jaroslaw Szarek, aurait récemment déclaré à une commission parlementaire que « les auteurs de ce crime étaient des Allemands, qui ont utilisé dans leur propre machine de terreur un groupe de Polonais », selon JTA.

Parallèlement, sous les condamnations de Klimek et d’autres responsables juifs, le gouvernement polonais a publié encore une série de rejets de demandes de la communauté juive pour ouvrir la porte aux restitutions aux survivants de l’Holocauste.

Exactitude ou suppression des données historiques

Le musée et mémorial national de l’Holocauste d’Israël, Yad Vashem, a déclaré au Times of Israël mercredi que, comme depuis 2006, il soutient le remplacement suggéré de la terminologie : « camp d’extermination et de concentration de l’ancienne Allemagne nazie ». L’institution israélienne a reconnu plus de 6 000 Polonais « Justes parmi les nations » pour avoir sauvé des juifs ; 3 millions de juifs polonais sont morts pendant l’Holocauste.

« Yad Vashem est dédié à fournir des informations historiques exactes. En 2006, Yad Vashem a soutenu la demande du gouvernement polonais de clarifier la référence au nom officiel d’Auschwitz-Birkenau pour le registre de l’UNESCO », a déclaré un porte-parole de Yad Vashem. Il a affirmé que l’organisation soutient toujours cette décision. Pourtant, a-t-il ajouté, « Yad Vashem n’est pas impliqué dans les affaires polonaises internes, mais questionne l’efficacité de la campagne actuelle pour éduquer la population. »

Suite à l’approbation du nouveau projet de loi par le cabinet polonais, Havi Dreifuss, professeure d’histoire à l’université de Tel Aviv, s’est interrogée sur la motivation de cette législation.

Havi Dreifuss, professeur d'histoire à l'université de Tel Aviv. (Crédit : autorisation)
Havi Dreifuss, professeur d’histoire à l’université de Tel Aviv. (Crédit : autorisation)

« Bien qu’il n’y ait aucun doute que ces camps ont été mis en place par les Allemands, en tant qu’historien il est toujours inquiétant et perturbant de voie une loi utilisée pour imposer quelque chose dans la connaissance commune », a déclaré Dreifuss, qui dirige le Centre de recherche sur l’Holocauste en Pologne à Yad Vashem.

Dans le même temps, a déclaré Dreifuss, des historiens, dont des chercheurs polonais, ont découvert la preuve concrète de deux massacres importants contre des juifs, à Jedwabne en 1941, et à Kielce en 1946, pendant lequel 42 personnes sont mortes. Elle a ajouté que la recherche contemporaine montre qu’il y a eu d’autres massacres de juifs comme Jedwabne des mains de Polonais dans la région de Lomza. Plus d’études sont nécessaires pour découvrir complètement les faits derrière ces atrocités.

« Je rends hommage à la recherche qui a été faite. Il est maintenant assez clair que l’Allemagne nazie a mis les camps en place, mais d’autres recherches exposent certains aspects questionnables de la société polonaise et de la population polonaise. On ne peut pas imposer une partie de l’Histoire tout en négligeant l’autre », a déclaré Dreifuss.

« L’histoire, particulièrement celle de Jedwabne, est bien documentée, et documentée en fait par des chercheurs polonais. Ce n’est pas un fait qui est débattu par les chercheurs. Nous savons très bien qui a commis les meurtres des juifs à Jedwabne et à Kielce », a déclaré Dreifuss. Les déclarations du PiS du contraire sont « politiques et très perturbantes », a-t-elle ajouté.

La loi des « camps d’extermination polonais », a ajouté Dreifuss, est un reflet de « ce qui se passe aujourd’hui en Pologne », aux côtés des « choses très troublantes dites par des politiciens importants ».

Ruines d'une installation de chambre à gaz et four crématoire à Auschwitz-Birkenau, connue sous le nom de Krematorium II, en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
Ruines d’une installation de chambre à gaz et four crématoire à Auschwitz-Birkenau, connue sous le nom de Krematorium II, en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)

Dans un article publié sur Open Democracy (démocratie ouverte), un site internet à but non lucratif utilisé pour le débat d’idées ouvert, l’historien Tom Junes, auteur de Student Politics in Communist Poland: Generations of Consent and Dissent (Politique étudiante en Pologne communiste : générations d’accord et de désaccord), écrit au sujet de l’utilisation actuelle par la Pologne de la « politique de l’histoire ».

« Le gouvernement s’est embarqué dans un remaniement radical de la politique de l’histoire du pays. Cela n’est pas seulement lié au changement de projets existants ou prévus comme le musée de la Deuxième Guerre mondiale à Gdansk, mais vise en fait à éduquer la jeunesse du pays d’une manière ‘correcte et patriote’ qui comprend l’emphase de la victimisation de la nation polonaise et la glorification de nouveaux ‘héros’, comme les prétendus ‘soldats damnés’ qui ont combattu le régime communiste pendant une guerre de guérilla juste après la Deuxième Guerre mondiale, mais dont les actes ont aussi inclus des excès antisémites et des crimes meurtriers contre d’autres groupes ethniques », a écrit Junes.

Quand un voisin tue un voisin

Le livre Voisins, publié en 2001 par l’historien Jan Tomasz, a causé une onde de choc en Pologne et au-delà avec ses descriptions des Polonais « ordinaires » qui ont perpétré le massacre de Jedwabne en 1941. Gross, qui a été fait chevalier de la Croix de l’Ordre du Mérite en 1996, a été vilipendé par le gouvernement PiS.

En février 2016, le président polonais Andrzej Duda a été aussi loin que de demander une réévaluation du mérite de Gross à la médaille en raison des tentatives du chercheur de « détruire l’honneur de la Pologne », a déclaré Duda.

Jan Tomasz Gross, historien américain d'origine polonaise, s'adresse aux médias polonais, le 28 août 2015. (Crédit : Capture d'écran YouTube)
Jan Tomasz Gross, historien américain d’origine polonaise, s’adresse aux médias polonais, le 28 août 2015. (Crédit : Capture d’écran YouTube)

En réponse, le professeur de l’université de Princeton a déclaré que la demande de Duda « semble être une tentative motivée politiquement d’intimider et de menacer tous ceux qui exposent l’histoire de l’antisémitisme en Pologne. »

Mais c’est une histoire qui ne peut être oubliée par ceux qui l’ont vécue et transpirée, comme le rabbin Mati Kos, né en Pologne.

« Je me souviens être dans un minyan [quorum de prière], récitant les tehilim [psaumes] à Jedwabne pendant les fouilles des restes de l’étable. C’était une partie de l’enquête officielle. Etre là-bas, à cet endroit même, parmi ces ruines, était l’un des moments les plus effrayants de ma vie », a déclaré Kos.

Kos, qui habite maintenant à Manchester, questionne aussi les motivations de la pénalisation du terme « camps d’extermination polonais ».

« Je pense que la Pologne s’en prend à Jedwabne, Kielce et toutes les autres sauvageries de la période de la guerre et de l’après-guerre qui commencent seulement à être découvertes… Ils veulent vraiment changer le narratif », a-t-il déclaré au Times of Israel.

« Je ne suis pas linguiste, mais je pense que dire ‘camps polonais’ peut aussi signifier des camps situés en Pologne. Bien que je puisse comprendre la sensibilité des gens ordinaires, j’ai quelque part le sentiment qu’en faire une loi est être revanchard et excessif. Et c’est peut-être juste moi, mais j’ai le sentiment que c’est comme se venger de la découverte des vérités terribles sur les Polonais qui ont assassinés des juifs », a déclaré Kos.

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