Le pape François se souciait profondément de la Terre Sainte et des Juifs, mais a laissé un « goût amer » après le 7 octobre
Les spécialistes des relations entre catholiques et juifs rappellent la chaleur et l'humilité du pontife qui a fait progresser les relations avec les Juifs, sans jamais vraiment comprendre leurs préoccupations

À sa mort à l’âge de 88 ans, après 12 ans passés à la tête de l’Église catholique romaine, le pape François est évoqué par les experts des relations judéo-catholiques comme un homme plein de compassion et d’humilité, qui a eu à coeur de poursuivre le travail de ses prédécesseurs avec les dirigeants juifs.
Mais certains regrettent l’inflexion prise après le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, et la guerre qui s’en est suivie à Gaza.
« On se souviendra de lui pour son souci de la justice économique de par le monde, au profit des régions les plus pauvres », assure Philip Cunningham, chercheur à l’Université Saint-Joseph.
Le pape François, qui est décédé un jour après avoir fait une dernière apparition publique sur la place Saint-Pierre, le dimanche de Pâques, avait déclaré au début de son pontificat que l’Église avait besoin de « bergers qui sentent les brebis », c’est-à-dire qui vivent avec les gens dont ils s’occupent.
« Il s’est élevé avec constance contre tous les cléricalismes et les élitismes de la part des dirigeants de l’Église », ajoute Murray Watson, expert des relations entre catholiques et juifs, « et les a mis au défi d’être d’humbles serviteurs ».
Il a également essayé d’affirmer le rôle de l’Église dans un monde occidental gagné par la laïcité et dans laquelle les bancs des églises sont souvent vides le dimanche.
« Il a essayé de s’adapter pour faire advenir une Église plus amicale, plus accueillante, et il l’a fait en adoptant un programme que je qualifierais de progressiste ou de vert », estime Rafi Shotz, jusqu’à l’an dernier envoyé d’Israël auprès du Saint-Siège.

À Jérusalem, les responsables catholiques soulignent que François s’est comporté à la fois en tant que prêtre et pape.
« Il a donné à l’Église un exemple de vie par l’action, par le besoin », explique Farid Jubran, conseiller du Patriarcat latin de Jérusalem.
Élu en mars 2013, Jorge Mario Bergoglio a été le premier pape à prendre le nom de François, en référence à saint François d’Assise, mystique du XIIIe siècle qui a renoncé à ses richesses pour se consacrer aux pauvres. Le pontife argentin portait des tenues simples, évitait les somptueux palais pontificaux en vivant dans un 70 m2 et passait lui-même ses appels téléphoniques.

L’ancien archevêque de Buenos Aires, passionné de football, s’est montré plus accessible que ses prédécesseurs, discutant avec les jeunes de questions allant des réseaux sociaux à la pornographie et parlant ouvertement de sa santé.
Il a également montré un intérêt particulier pour la Terre Sainte et pour les relations complexes entre Israël et les Palestiniens. L’un de ses premiers déplacements à l’étranger en tant que pape a été pour Israël, où il a placé un mot dans les interstices du mur Occidental, visité le musée national de la Shoah Yad Vashem et s’est recueilli sur la tombe du visionnaire sioniste Theodor Herzl. Il a également fait un arrêt inopiné au niveau de la barrière de sécurité en béton qui sépare Bethléem de Jérusalem. Selon son chauffeur, ils passaient devant une partie du mur couverte de graffitis comparant Bethléem au ghetto de Varsovie lorsque le pape a demandé à sortir. L’image du Pape en train de prier à cet endroit a autant plu aux Palestiniens qu’il a déplu aux Israéliens.

Depuis le début de la guerre qui se poursuit aujourd’hui encore à Gaza, François appelait d’une main, chaque soir, la seule église catholique de Gaza tout en accordant, de l’autre, des audiences aux familles d’otages israéliens et aux otages ayant retrouvé la liberté.
Il fut aussi le pape qui éleva le patriarche de Jérusalem au rang de cardinal.
« Pour nous, c’est un jour de tristesse », estime Jubran, « mais aussi de gratitude envers le Seigneur et envers lui pour son action au service de l’Église ».
Les prochaines étapes
L’avenir proche est assez certain pour le Vatican. Le corps de François sera transporté à la basilique Saint-Pierre mercredi, où son corps sera exposé pour que les fidèles lui rendent un dernier hommage.

Ses funérailles – simplifiées suite aux changements qu’il a imposés – auront lieu samedi.
Pendant la période de « Sede Vacante » – ce qui signifie en latin « pendant que la chaire [de saint Pierre] est vide » – la plupart des fonctions du Vatican cesseront, le temps que se préparent les obsèques et que le conclave élise son successeur. Les cardinaux se réuniront quotidiennement pour veiller sur l’Église catholique dans le monde jusqu’à l’élection d’un nouveau pape.
« La tristesse est immense, bien sûr », confie Watson. Le pape est le souverain de la Cité du Vatican, et c’est un petit État, de sorte que tout le monde est personnellement touché par sa mort. Mais il y a beaucoup de choses à faire avec ces deux événements à venir. »
L’avenir à plus long terme est plus incertain.

Ce sont les 135 cardinaux qui se chargeront de définir le nouvel horizon avec l’élection du prochain pape. Ils sont 108 à avoir été nommés par François, ce qui plaide en faveur du choix d’un candidat susceptible de poursuivra bon nombre de ses travaux.
Beaucoup s’attendent à ce que le prochain pape vienne d’Amérique latine, comme c’était le cas de François, ou bien d’Afrique, à mesure que le centre de gravité du monde catholique se déplace d’Europe vers le Sud. Il pourrait malgré tout y avoir une poussée en faveur d’un leader plus traditionaliste suite à des luttes intestines sur les innovations et déclarations controversées du mandat de François.

« Certains sont plus axés sur la doctrine et pensent que la doctrine de l’Église ne peut pas vraiment changer », avance Cunningham. « Je ne crois pas que François ait vraiment changé la doctrine de l’Église. »
Les cardinaux pourraient également vouloir élire un Italien, après trois papes non italiens d’affilée. L’un des noms italiens qui figurerait sur cette liste n’est autre que le cardinal Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, qui vit en Israël depuis plus de trois décennies et parle couramment hébreu.

Suite aux attentats du 7 octobre, Pizzaballa avait proposé de s’offrir en échange des otages israéliens du Hamas si cela permettait de faire libérer des enfants.
« Pour moi, ce serait merveilleux qu’il soit élu, non seulement parce qu’il vient d’ici et qu’il nous comprend, mais aussi parce que c’est une personne exceptionnellement brillante et bonne », estime le rabbin David Rosen, ex-directeur international des affaires interreligieuses de l’American Jewish Committee.
« Les catholiques pensent que chaque papauté est ainsi faite que Dieu nous donne le pape dont nous avons besoin à ce moment précis, et j’espère que ce sera à nouveau le cas », ajoute Watson. « Il serait dommage de perdre la chaleur et la compassion qu’incarnait le pape François… Mais bien sûr, chaque pape a sa personnalité et son histoire. »
Dattes et crampons de football
Ceux qui ont eu des audiences avec le pape ont été frappés par sa personnalité et son charme.
« François était un homme chaleureux et communicatif, et j’ai vraiment dû me creuser la tête pour savoir ce que je pourrais lui offrir », confie Shotz en repensant à la présentation de ses lettres de créance au pape.

En hommage à l’implication de François dans les questions environnementales, il opte finalement pour des dattes Medjoul venues du désert d’Arava et cultivées grâce à de l’eau dessalée et des crampons de football bleus et blancs, les couleurs d’Israël mais aussi celles de l’Argentine, avec « paix » écrit en hébreu, en arabe et en espagnol.
« Il a apprécié ces deux cadeaux », poursuit Shotz.
Watson et Cunningham ont tous deux rencontré François lors de la conférence de Rome du Conseil international des chrétiens et des juifs en 2015, por le 50e anniversaire de Nostre Aetate, le document du Vatican qui a révolutionné les relations entre catholiques et juifs.

« Il arborait un grand sourire alors que j’étais l’un des derniers visiteurs de la file », se rappelle Watson. « J’ai été impressionné par sa chaleur et sa gentillesse, et par le soin qu’il apportait au fait de nous rencontrer un par un, alors qu’il avait tant de choses urgentes à faire ce jour-là. »
« Comme j’étais président [du Conseil international des chrétiens et des juifs] à l’époque », se souvient Cunningham, « j’ai eu la chance de parler un peu avec lui de façon plus personnelle, de lui faire un cadeau et de l’inviter à se rendre dans mon université, à Philadelphie, ce qu’il fera quelques mois plus tard. »
En septembre de cette même année, François se rend en effet à l’Université Saint-Joseph et bénit une sculpture commandée en hommage au 50e anniversaire de Nostra Aetate. Il s’agit de deux figures féminines, Synagoga et Ecclesia, assises et en train d’étudier ensemble, sur un pied d’égalité.
Une connaissance bien réelle de la communauté juive
À bien des égards, le pape François a poursuivi le travail des papes Jean-Paul II et Benoît XVI en établissant des liens avec les dirigeants juifs et en s’attaquant à l’antisémitisme au sein de l’Église. « Aucun pape ne s’était autant impliqué avec la communauté juive avant de devenir pape », explique Rosen.

Du temps où François était encore Bergoglio, il avait noué une forte amitié avec les dirigeants juifs de Buenos Aires et avec le rabbin Abraham Skorka, avec lequel il avait écrit un livre et maintenu le contact. Il avait ouvert la cathédrale de Buenos Aires aux commémorations de la Shoah et se rendait dans des synagogues à l’occasion des fêtes juives.
« Il avait une connaissance bien réelle de la communauté juive », explique Rosen. « On pourrait dire qu’aucun pape n’en avait eu autant depuis Pierre. »
En sa qualité de pape, il a pris des mesures importantes pour faire progresser le dialogue judéo-catholique.

« Dieu continue d’œuvrer parmi le peuple de l’Ancienne Alliance et de faire jaillir des trésors de sagesse qui découlent de sa rencontre avec sa parole », avait-il dit dans son Evangelii gaudium, en 2013. « C’est pourquoi l’Église s’enrichit aussi lorsqu’elle reçoit les valeurs du judaïsme ».
A d’autres moments, il s’est montré moins prudent – ou peut-être moins attentif – que ses deux prédécesseurs envers les Juifs et leur sensibilité.
En 2019, des experts conseillent au pontife de faire plus attention en faisant référence aux pharisiens « hypocrites », un stéréotype responsable de centaines d’années de mauvaises relations entre catholiques et juifs.
Deux ans plus tard, François déclarait que la loi de la Torah juive « ne donne pas la vie, n’offre pas l’accomplissement de la promesse parce qu’elle n’est pas capable de l’accomplir. Le Droit est un cheminement, un chemin qui mène à la rencontre… Que ceux qui cherchent la vie se tournent vers la promesse et son accomplissement en Christ. »
Ce décalage pourrait s’expliquer par le fait que, contrairement à ses prédécesseurs, François n’avait pas été un témoin direct de la Shoah, et que cela n’avait donc pas façonné sa vision du monde dans sa jeunesse.
Cela pourrait aussi venir de son histoire, personnelle et théologique.

« Il venait d’Amérique latine et était très influencé par la théologie de la libération : il avai un regard quelque peu négatif envers l’Amérique et l’Occident », poursuit Rosen, « et avait tendance à regarder de la même manière un traitre auteur de violences et la réaction de sa victime. »
Une réaction « désastreuse » au 7 octobre
À la suite du 7 octobre, le pire pogrom de Juifs depuis la Shoah, les déclarations et tweets du pape ont parfois laissé les Juifs sans voix, quand ils ne se sont pas sentis attaqués.
En novembre 2023, lors d’un entretien téléphonique avec le président israélien Isaac Herzog, François a déclaré qu’il était « interdit de répondre au terrorisme par le terrorisme ».
Peu de temps après les attentats, des centaines de dirigeants et universitaires juifs ont écrit une lettre ouverte à François pour demander à l’Église de condamner sans équivoque les attaques du Hamas et faire le distinguo entre le terrorisme et la guerre menée par Israël contre le Hamas.
Il faudra trois mois au pape pour y répondre, dans une lettre condamnant l’antisémitisme, réaffirmant le lien entre l’Église et les juifs et disant : « Mon cœur est déchiré à la vue de ce qui se passe en Terre Sainte, de toutes ces divisions, de toute cette haine » – mais sans jamais mentionner le Hamas.
Le théologien catholique allemand Gregor Maria Hoff a fustigé la réponse du pape : « Il ne suffit pas de condamner la violence tout en s’abstenant d’en identifier sans ambiguïté les auteurs. Il ne sert à rien d’invoquer le ‘chemin de l’amitié, de la solidarité et de la coopération’ alors que le partenaire juif doit lutter pour sa survie dans son propre pays et à ses frontières. »

Une autre lettre du pontife, celle-ci adressée aux catholiques du Moyen-Orient à l’occasion du premier anniversaire du 7 octobre, a déconcerté les personnes attachées aux relations entre catholiques et juifs.
François a dénoncé « la mèche de la haine » allumée l’année précédente (sans préciser qui avait frotté l’allumette) et déploré « l’esprit du mal qui fomente la guerre ». Puis, citant l’un des versets du Nouveau Testament les plus souvent utilisés pour justifier l’antisémitisme chrétien, il a écrit que cet esprit était « meurtrier dès l’origine », et « menteur et père de tout mensonge ».
« C’est absolument désastreux pour les relations judéo-catholiques », a réagi Ethan Schwartz, professeur à l’Université Villanova.
Selon des extraits d’un ouvrage à paraître avant l’année jubilaire du pontife, le pape François aurait demandé une enquête, en novembre 2024, pour déterminer si les actions d’Israël à Gaza constituaient un « génocide ».

Un mois plus tôt, une crèche temporaire installée au Vatican – devant laquelle François avait prié – avait été retirée suite à des réactions négatives à sa vue de l’enfant Jésus, allongé sur un keffieh, le foulard traditionnel des Palestiniens dont ils ont fait un symbole national.
La crèche s’était attirée de vives critiques car elle suggérait, comme nombre de tropes antisémites, que Jésus était palestinien et non juif.
« Ce n’était pas dans son ADN », explique Shotz, « et il est fort possible que cela l’ait rendu un peu moins sensible que ses prédécesseurs à l’importance de ces questions, pour nous, les Juifs israéliens. »
Il se pensait pro-juif
Le prochain pape poursuivra sans aucun doute les relations et le dialogue avec le monde juif, mais il se pourrait aussi qu’il manque de sensibilité envers les préoccupations juives.
Si c’est un cardinal du monde en développement qui est élu, il se pourrait que le prochain pape vienne d’une partie du globe dépourvue de communauté juive, auquel cas le dialogue judéo-catholique ne serait pas forcément pour lui une priorité.
Et dans la mesure où le prochain pape devra avoir moins de 80 ans, François aura été le dernier pape d’une génération née au moment de la Shoah.
« Il était à juste titre considéré comme un pape très pro-juif et je crois qu’il se voyait ainsi », conclut Rosen. « Mais il a terminé son pontificat sur une note plutôt amère avec le peuple juif, ce qui est dommage. »
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