Les agriculteurs du Sud se pressent avant l’année sabbatique
Un viticulteur du sud d’Israël, après avoir subi la guerre, rencontre des bénévoles de Tel Aviv pour un coup de main avant Rosh Hashana
Il y a un avantage à avoir une batterie de défense aérienne Dôme de fer située juste à côté de sa vigne : le « whoosh » du lancement de l’antimissile intercepteur vous donne quelques secondes de répit avant que la sirène ne commence à retentir.
Pour Boaz Boyman, qui possède un vignoble de 60 dunams (15 hectares) à Tekuma, un moshav religieux situé à sept kilomètres de la frontière avec Gaza, c’était un peu la routine de cet été : entendre les lancements des intercepteurs, se réfugier dans les abris, entendre la sirène en espérant que la roquette ne frappera pas votre propriété [les fameuses « zones ouvertes », inhabitées, comprennent parfois des champs].
Le feu des roquettes a cessé mais Boaz Boyman fait maintenant face à un autre défi. Un défi « d’En haut » : la shemita ou encore le Shabbat de la terre. Le décret biblique qui consiste à laisser la terre en friche, une fois tous les sept ans, qui entrera en vigueur au début de l’année civile juive le 24 septembre prochain.
Avec Rosh Hashana, le Nouvel an juif, qui se profile, pour Boyman et d’autres agriculteurs du Sud qui observent la shemita de manière stricte, le calendrier a été quelque peu bousculé.
« Toute la nuit, il y avait des explosions parce que les tanks israéliens étaient près de la zone, et même à l’intérieur du moshav, 150 soldats séjournaient ici, donc il y avait vraiment une atmosphère de guerre » se souvient Boyman. « C’était un moment vraiment difficile, beaucoup d’anxiété et de tension, et cela a créé encore plus de pression sur le calendrier d’après- guerre ».
Boyman a pu continuer à travailler une partie de l’été, mais pas à pleine puissance. Il a bien eu du mal à obtenir des équipes complètes de travailleurs, beaucoup ayant refusé de se présenter, et a dû payer des salaires plus élevés à ceux venus en dépit du danger pendant les combats.
« Les travailleurs, certains d’entre eux avaient vraiment peur, vous le voyez dans leurs yeux » assure-t-il. Les jours où les salves de roquettes étaient particulièrement fortes, tout était annulé.
Les agriculteurs continuent d’évaluer leurs dommages dans le Sud. Il est donc difficile de connaître l’ampleur des pertes, déclare Amnon Liebermann, porte-parole du ministre de l’Agriculture Yair Shamir (Israël Beitenu).
Les agriculteurs sont soumis à des demandes pour dommages de guerre jusqu’à début septembre, et le ministère est en train d’examiner ces mêmes demandes. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déjà alloué 200 millions de shekels pour le secteur de l’agriculture dans la périphérie de Gaza, dans le cadre du milliard de shekels d’aides pour le Sud.
« Les exploitations agricoles qui étaient vraiment à la frontière avec Gaza, ont cessé de travailler » explique Boyman.
Tekuma, n’étant pas sur cette première ligne de fermes adjacentes à Gaza, a continué à travailler tout au long de l’été. Boyman n’a pas encore calculé ses pertes, mais il est évident qu’il s’agit d’une somme importante.
Mais le viticulteur a eu de la chance car ni lui ni ses travailleurs n’ont subi de blessures physiques pendant le conflit. Une roquette s’est écrasée à travers une serre, 20 minutes après le départ des travailleurs.
Le calendrier de la shemita, cependant, sera moins fortuit pour lui.
Selon la tradition et la Torah, les agriculteurs doivent laisser leur terre en jachère pendant un an. Certains agriculteurs continuent de travailler leurs cultures pendant l’année sabbatique, en s’appuyant sur un « allègement de la loi » – un transfert complexe mais temporaire de propriété approuvé par certains rabbins [le Heter mekhira].
Boyman observe les lois les plus strictes pour un certain nombre de raisons [il cultive donc mais ne plante pas] avec notamment le fait que les raisins cultivés « dans la sainteté » au cours d’une année sabbatique ont un statut supérieur.
Au cours de cette année de shemita, les agriculteurs doivent faire le minimum possible par rapport à leurs cultures. Exemple des vignes : on les arrosera au minimum, avec juste ce qu’il faut d’eau, mais on ne pourra pas les tailler.
Les vignes ont besoin d’être beaucoup taillées en hiver, afin de produire des raisins l’année suivante. Normalement, Boyman taille sa vigne sur une période de trois mois de janvier à mars. La vendange se fait en juillet-août. Mais cette année, Boyman doit terminer la taille d’hiver avant Rosh Hashana.
Outre les fonds perdus avec la guerre, l’été précédant une année sabbatique, il perd toujours de l’argent, parce qu’il commence à récolter les raisins avant qu’ils ne soient tout à fait prêts, pour tailler ensuite les vignes avant Rosh Hashana. Ce que va gagner Boyman est basé sur la qualité des raisins ; mais les raisins récoltés avant leur pleine maturité sont moins sucrés, et sont donc considérés comme de moindre qualité, explique-t-il.
C’était donc une course contre la montre pour que sa vigne soit prête pour l’année sabbatique après le choc des événements de l’été.
Mais chose surprenante : des jeunes – venant d’une nouvelle organisation – ont contacté Boyman, et lui ont fait une offre étrange. 40 jeunes Tel-aviviens prêts à descendre et travailler pour quelques heures gratuitement, armés de cisailles et d’écran solaire, pour tailler ses vignes avant la « deadline ».
One Day Social Volunteering [Bénévolat social d’un jour] est l’organisation qui s’est lancée en février de cette année. C’est une communauté de jeunes qui peut susciter une grande quantité de main-d’œuvre pour des projets de service d’une journée.
La branche de Tel Aviv de ce groupe a entre autres repeint des abris [miklatim], créé des abris pour animaux, embelli un centre communautaire du sud de Tel Aviv, emballé 1 500 caisses de fournitures pour les soldats pendant la guerre, énumère son cofondateur Guy Seemann, 29 ans et originaire du New Jersey. Il y a actuellement des succursales à Beer Sheva, Haïfa, Tel Aviv, mais aussi à Sydney, en Australie.
« Elad [Blumental, l’autre cofondateur] était à New York pour un an, et quand il est arrivé là-bas, il cherchait un moyen de se faire des amis, mais aussi d’en savoir plus sur la communauté » explique Seemann.
« Il a donc construit son propre petit groupe de bénévoles. Et quand il est arrivé en Israël, il savait que ce serait vraiment efficace ici ». Blumental a contacté Seemann, qui avait, lui, organisé un mouvement éducatif. Et les deux ont commencé à travailler dans l’organisation One Day.
Maintenant, l’équipe de bénévoles compte plus de 25 personnes avec 600 participants en Israël. De nouvelles branches sont actuellement en cours de création à Jérusalem et à San Francisco.
L’organisation répond à un vrai besoin. Alors que la guerre a fait rage à Gaza cet été, des dons ont été versés au Fonds national juif : nourriture, vêtements, articles de toilette, tout ce que les soldats pourraient utiliser. Le Fonds avait des camions de fournitures mais aucun moyen de les organiser.
C’est alors que le groupe One Day s’est présenté. 50 bénévoles dans un hôtel de Tel Aviv. En trois heures, les marchandises ont été emballées dans des caisses et 1 500 d’entre elles sont parties cap sur le Sud. One Day organise environ trois événements par mois, et doit mettre en place le premier qui lui servira à collecter des fonds : le 19 septembre prochain au « Rosa Parks », un bar dans le nord de Tel Aviv.
Généralement One Day est partenaire avec des organisations bien établies, qui fournissent l’équipement et le transport. One Day apporte la main-d’œuvre. L’objectif est double : répondre à un besoin concret tout en créant une communauté, en particulier de jeunes olim [immigrants en Israël] qui souhaitent accéder à un vaste réseau de connaissances et de futurs amis.
Vendredi matin, alors que les premiers rayons du soleil pointent sur la gare Arlozoroff, 40 bénévoles entrent dans le bus pour Tekuma pour une grande journée de bénévolat avec la coopération de Nefesh B’Nefesh [l’organisation d’aide aux olim anglo-saxons]. Dans le vignoble de Boyman, on passe les sécateurs, on montre aux bénévoles où couper et où travailler…
Boyman a confié au début qu’il hésitait à remettre sa récolte dans les mains d’un groupe de personnes aussi grand qui n’avaient jamais travaillé dans un vignoble auparavant : « J’étais vraiment inquiet, je tenais à ce que ce soit un petit groupe. J’étais inquiet aussi de n’avoir pas assez de sécateurs, et que tout soit difficile à contrôler. Mais les gens se sont montrés vraiment sérieux ».
Pendant deux heures, ils se sont attaqués aux vignes, bavardant en hébreu et en anglais sur la vie à Tel Aviv, sur les livres et les jeux vidéo et la vie… un peu comme une rangée de vignes foisonnantes.
Pour beaucoup, c’était une chance d’exprimer leur soutien pour le sud d’Israël. « J’ai été dans le Sud pendant les tirs de roquettes, donc je sais un petit peu ce qu’y est la vie [avec les sirènes] » dit Or Golan, 29 ans, un bénévole régulier de One Day. « J’étais dans le centre [du pays] au moment de la guerre ; nous avons eu quelques sirènes, mais pas comme dans le Sud où c’était sans arrêt ».
« Même s’il faisait vraiment chaud et que c’était un travail très physique, ce voyage avait un objectif important » ajoute-t-il. « C’est comme une sorte de thérapie. Ma copine et moi, on était en concurrence avec les autres lignes ; on voulait faire le plus vite possible ! ».
Dans l’ensemble, le groupe a taillé environ 5 dunams (sur 60) en deux heures.
Boyman n’est pas sûr de pouvoir terminer la taille de la totalité du vignoble avant Rosh Hashana, bien que d’autres groupes de bénévoles l’aient également contacté après avoir entendu parler de la journée organisée par One Day. « C’est vraiment un coup de pouce dans la bonne direction » estime-t-il.
Malgré les difficultés de l’été, les incertitudes financières et le stress de la préparation pour l’année sabbatique, Boyman, qui est aussi enseignant en Torah dans une école secondaire à Netivot, n’échangerait pour rien au monde son travail de viticulteur.
« Nous avons une année sabbatique afin que la terre puisse se reposer, mais aussi pour que les agriculteurs puissent se reposer, comme le Shabbat » déclare-t-il devant le groupe de jeunes. « Je suis un enseignant, mais c’est aussi pour mon âme que je possède un vignoble ».
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