Les Juifs de Washington expriment leur tristesse, leur peur et leur colère

WASHINGTON — Jeudi, des citoyens en deuil se sont rassemblés devant le Musée juif de Washington, au lendemain de l’assassinat par balle de deux membres du personnel de l’ambassade d’Israël devant le bâtiment, la nuit précédente. Certains se sont assis sur les lieux avec des bouquets de fleurs, ils ont écrit des mots en hébreu et en anglais pour les victimes, et une poignée d’entre eux ont agité des drapeaux israéliens lors d’un rassemblement improvisé de l’autre côté de la rue.

Les personnes rassemblées là étaient des Juifs et des chrétiens de la ville et des environs. Plusieurs avaient fait jusqu’à une heure de route pour être présents et rendre hommage aux défunts. Certains étaient venus cherchant un lieu de rassemblement et un exutoire à leur sentiment d’impuissance.

Jim Rose, originaire de la banlieue proche de Great Falls, en Virginie, a déclaré qu’il s’était senti obligé de se rendre sur place en raison de son appartenance à la communauté juive locale.

« Ce fut un choc, mais pas une surprise », a-t-il déclaré lorsqu’il a appris la nouvelle des assassinats.

Il a confié que ses amis et sa famille étaient submergés par la tristesse, un sentiment qu’il partage, « mais mon émotion première est la colère » – une émotion, a-t-il dit, « fondée sur la peur ».

« Pour moi, ce n’était qu’une question de temps avant qu’une telle chose ne se produise dans notre communauté », a-t-il déclaré. « Je suis simplement frustré que rien n’ait été fait pour empêcher cela. »

« On voyait la situation s’aggraver, rien qu’avec la rhétorique et les manifestations », a-t-il déclaré. « Notre colère et notre frustration sont dirigées contre les personnes au pouvoir qui ignorent la situation, la rationalisent ou la compartimentent. J’aimerais que chacun d’entre eux fasse davantage, ou qu’ils démissionnent et qu’ils laissent d’autres faire le boulot. »

Yaron Lischinsky et Sarah Milgrim. (Autorisation)

Les victimes de la fusillade, Yaron Lischinsky et Sarah Milgrim, ont été abattues mercredi soir devant le Musée juif de la capitale, après un événement destiné aux jeunes diplomates juifs, consacré cette année à la résolution des crises humanitaires au Moyen-Orient. Lischinsky et Milgrim étaient en couple, et Lischinsky prévoyait de faire sa demande en mariage à Jérusalem la semaine prochaine.

Le suspect, Elias Rodriguez, est accusé de leur avoir tiré dans le dos, puis de les avoir achevés à bout portant, tirant sur Milgrim alors qu’elle tentait de s’enfuir en rampant. Après les meurtres, il a déclaré aux enquêteurs : « Je l’ai fait pour la Palestine, je l’ai fait pour Gaza », selon des documents judiciaires. Les enquêteurs ont retrouvé 21 douilles vides sur place.

Sharon Separ, originaire d’Arlington, en Virginie, a déclaré que la violence et le climat politique lui rappelaient l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et l’avaient encouragée à s’installer en Israël pour se sentir en sécurité.

« Ca m’a vraiment perturbée. J’ai le sentiment, plus que jamais, qu’il est temps de partir. C’est le moment de le réaliser », a-t-elle déclaré.

« Je vois beaucoup de peur et d’anxiété dans ma communauté, mais les gens ne disent pas : ‘Allons en Israël’, et ça me met en colère », a-t-elle confié.

Des messages laissés aux victimes de la fusillade à Washington, le 22 mai 2025. (Crédit : Luke Tress / Times of Israel)

Des fleurs, détrempées par des pluies intermittentes, étaient disposées près de l’entrée du musée. D’autres bouquets étaient disposés au coin de la rue, là précisément où la fusillade a eu lieu. Sur une jardinière voisine se trouvaient des messages manuscrits adressés aux victimes, maintenus en place contre le vent par de petites pierres et des bougies, l’encre floutée par la pluie.

« Yaron et Sarah, nous travaillerons plus dur en votre nom », disait l’un des messages. « L’AMOUR, PAS LA HAINE », disait un autre papier, gardé en place par une couronne de roses blanches. Des lambeaux de ruban jaune de police, datant de la veille, étaient encore enroulés autour des grilles de l’entrée du musée et du coin de la rue.

Les responsables gouvernementaux présents sur place ont également exprimé leur chagrin et leur frustration. L’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Yechiel Leiter, a raconté le moment où il avait appris que son fils avait été tué au combat à Gaza au début de la guerre. Mercredi, a-t-il déclaré, c’est lui qui a informé les parents que leurs enfants avaient été tués.

« Au lieu de se rassembler sous la houppa, leurs proches se rassembleront sur leurs tombes », a déclaré Brad Schneider, représentant de l’Illinois, qui est Juif.

Debbie Wasserman Schultz, représentante de Floride, a elle déclaré qu’en tant que mère juive, sa première pensée en apprenant la nouvelle des meurtres avait été que les victimes auraient pu être ses enfants ou des membres de son équipe.

« Nous sommes une communauté qui a toujours soutenu d’autres communautés lorsqu’elles ont été visées par la haine, et nous n’avons pas été soutenus aussi souvent que nous l’aurions souhaité par les autres communautés. J’espère donc de tout cœur que les communautés pourront s’unir », a-t-elle déclaré.

Des manifestants juifs et chrétiens pro-Israël à Washington, le 22 mai 2025. (Crédit : Luke Tress / Times of Israel)

Outre les Juifs, un groupe de chrétiens pro-Israël, membres d’une organisation appelée « Philos Project », s’est manifesté pour soutenir la communauté juive.

Simone Rizkallah, catholique issue d’une famille égypto-arménienne, a déclaré que sa communauté était « dévastée » par les meurtres.

« Notre expérience au Moyen-Orient nous montre qu’il existe un ennemi commun qui n’aime ni les Juifs ni les chrétiens. C’est pourquoi, quand je suis arrivée dans ce pays, enthousiasmée par la liberté religieuse et le pluralisme, et que j’ai constaté que les mêmes personnes, les mêmes acteurs, sont opposés à nous ici aussi, sur le sol américain, ça a été douloureux », a-t-elle déclaré.

« Je n’arrive pas à croire que nous soyons là pour ça. Je n’arrive pas à croire que cela soit arrivé. Que faut-il pour que le monde se réveille ? », a-t-elle dit.

Yale Williams a entendu parler de la fusillade à la radio mercredi soir, mais n’a réalisé le caractère antisémite de l’attaque que le matin même, en consultant les réseaux sociaux. Il était présent sur le lieu des crimes, portant une étoile de David en pendentif et un drapeau israélien sur les épaules.

« Je suis bouleversé, frustré, en colère. C’est un nouvel exemple de ce que les mots peuvent causer. Ca ne date pas d’hier, ni même du 7 octobre. Ca a commencé bien avant, à cause de toute cette rhétorique contre Israël », a-t-il déclaré.

Rassemblement devant la Maison Blanche, à Washington, le 22 mai 2025. (Crédit : Luke Tress / Times of Israel)

« Je ne sais même pas exactement ce contre quoi je suis en colère. C’est de la colère contre ceux qui ont permis à ces discours de haine de perdurer sous couvert de liberté d’expression. De la colère contre le Hamas qui nous a mis dans cette situation. De la colère contre presque tout le monde », a-t-il déclaré. « Nous sommes une telle minorité dans le monde que, sans personne pour nous défendre, c’est difficile. »

Williams s’est rendu en ville après avoir vu des messages sur WhatsApp annonçant que des personnes se rassemblaient sur place. Il a été poussé par un sentiment d’impuissance et par la recherche d’un sentiment de communauté.

D’autres Juifs présents sur les lieux cherchaient également à nouer des liens. Ils ont échangé leurs numéros de téléphone et discuté des messages circulant concernant des rassemblements communautaires. Le nombre de personnes rassemblées au musée est resté relativement faible, le choc et le chaos de la journée ayant rendu toute organisation difficile.

La communauté s’est toutefois rassemblée plus tard, lors d’une veillée devant la Maison Blanche, à la tombée de la nuit.

Les organisateurs ont installé deux panneaux représentant Lischinsky et Milgrim ensemble, affichant des sourires radieux. Des bougies scintillaient sur l’asphalte devant leurs photos avec, en arrière-plan, la Maison Blanche, sa façade blanche illuminée et ses drapeaux en berne. Un groupe de touristes, qui ne partageait pas la tristesse ambiante, prenait des photos près de la clôture de la Maison Blanche, tandis qu’un artiste de rue jouait du saxophone à distance.

Un organisateur a encouragé les participants à s’enlacer et a lu le Psaume 23.

« Même lorsque je marche dans la vallée des ténèbres, je ne crains aucun mal », a-t-il déclaré.

Dans la foule de plusieurs centaines de personnes, certains se sont réconfortés, blottis sous des parapluies, les larmes aux yeux et des drapeaux israéliens sur les épaules.

La foule a chanté ensemble des chants hébreux, dont « Oseh Shalom », « Acheinou » et l’hymne israélien « Hatikvah ».

« Le monde entier est un pont étroit, et l’essentiel est de n’avoir peur de rien », ont-ils chanté.