Un manuscrit biblique de 1 000 ans retrouvé dans une synagogue du Caire
Alors qu'il tentait de collecter des informations sur les lieux de culte égyptiens, un historien israélien a découvert cette Bible bien préservée et datant de 1028
- Photo d'Illustration : La présidente de la communauté juive égyptienne, Magda Shehata Haroun, durant un entretien avec l'AFP à la synagogue Shaar Hashamayim du Caire, également connue sous le nom de Temple Ismailia ou synagogue Adly, dans le centre du Caire, le 3 octobre 2016 (Crédit : Khaled Desouki/AFP)
- L'intérieur de la synagogue Shaar Hashamayim du Caire, connue également sous le nom de synagogue de la rue Adly - le plus grand lieu de culte juif d'Egypte (Crédit : Larry Luxner/ Times of Israel)
- Cette illustration détaillée donne le nom du scribe, Zechariah Ben ‘Anan, ainsi que des propriétaires du manuscrit qui a été redécouvert en 2017 par l'expert israélien Yoram Meital dans une synagogue du Caire (Crédit : Yoram Meital)
- Le Psaume 1 du manuscrit Zechariah Ben ‘Anan redécouvert en 2017 par le spécialiste israélien Yoram Meital dans une synagogue du Caire (Crédit : Yoram Meital)
- L'intérieur de la synagogue des Maimonides au Caire (Autorisation : Sammy Ari)
Au mois de juillet 2017, l’historien israélien Yoram Meital a découvert par hasard un manuscrit biblique de 616 pages, datant de l’an 1028 de l’ère commune et qui se trouvait là, abandonné, sur une étagère poussiéreuse d’une synagogue du Caire.
Enveloppé dans un simple papier blanc – ce même papier qui sert de nappe sur les tables des restaurants bas-de-gamme – ce « manuscrit Zechariah Ben Anan est l’un des plus complets de l’époque et l’un des exemplaires les mieux préservés des ‘Ecrits' », soit la troisième section de la Bible hébraïque. Cela faisait quarante ans que les spécialistes avaient perdu sa trace.
Découvert par Yoram Meital dans la synagogue Moussa Deri karaite, le manuscrit Zechariah Ben Anan (ZBAM) avait été précédemment cité dans des publications variées de spécialistes modernes de la Bible – depuis un article écrit en 1905 dans le Jewish Quarterly Review par l’éminent Richard Gottheil jusqu’à des micro-films du manuscrit qui avaient été réalisés par une équipe israélienne de l’Institut des manuscrits hébraïques microfilmés en juin 1981.
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Les experts avaient laissé des notes dans les textes et avaient même publié leurs conclusions. Par la suite, alors que la communauté juive se faisait de plus en plus rare en Égypte, ce manuscrit inestimable a, lui aussi, disparu.
Après des décennies de voyages au pays des pharaons pour ses publications universitaires en tant que professeur à l’université Ben Gurion, Yoram Meital s’était trouvé, au mois de juillet 2017, au Caire en tant que spécialiste venu à titre privé participer à un projet communautaire juif dirigé par l’organisation Goutte de lait pour collecter des informations sur les nombreuses synagogues de la ville – ainsi que des éléments manquants pour un prochain livre.

Son déplacement au sein de la synagogue Moussa Deri, construite en 1933, avait pour objectif de collecter des informations sur son architecture impressionnante – elle avait été construite à l’apogée de la communauté juive, de sa richesse et de sa force – et sur ses nombreux vitraux et autres ornements remarquables.
Ce projet de documentation encore en cours est une opportunité de revenir sur la richesse du patrimoine juif égyptien – une occasion permise par l’arrivée au pouvoir en 2014 du président Abdel Fattah el-Sissi et permise aussi grâce à l’élection en 2013 de la responsable actuelle de la communauté juive du Caire, Magda Haroun, qui est également à la tête de l’association Goutte de lait. La communauté ne compte dorénavant qu’une poignée de Juifs, mais selon la loi égyptienne, c’est elle qui contrôle les biens et les artefacts relevant de son patrimoine, explique Yoram Meital.
Ces dernières années, les initiatives se sont multipliées pour documenter, préserver et mettre en valeur le patrimoine juif égyptien, comme l’ont montré la ré-inauguration de la synagogue rénovée d’Alexandrie qui a eu lieu le 14 février ainsi que les travaux importants entrepris dans des cimetières juifs laissés à l’abandon pendant longtemps.
« En Égypte, rien ne peut se faire sans le feu vert clair émanant du sommet de la pyramide, et nous saluons vivement le soutien qui nous a été apporté par le gouvernement », commente l’historien.
A l’intérieur du manuscrit Zechariah Ben Anan

Comme Yoram Meital le raconte dans un article du Jewish Quarterly Review récemment publié et intitulé « Un manuscrit biblique vieux de mille ans redécouvert au Caire : l’avenir du passé juif égyptien », la découverte a « bouleversé » l’historien.
« Cela aurait été difficile de rester indifférent devant la beauté de ce manuscrit », écrit-il.
Coup de chance : le colophon – ou note finale du livre – comprend le nom du scribe, Zechariah Ben ‘Anan, et celui de la personne ayant commandité l’ouvrage, ainsi que la date à laquelle celui-ci a été terminé. Ce sont des détails rares et importants, souligne l’historien, et ils indiquent la provenance du manuscrit ainsi que la richesse et l’esprit de philanthropie de la famille qui, on peut le présumer, avait offert le texte à la synagogue locale pour l’étude communautaire.

Sur la base des notes laissées par le scribe, on sait qu’il a été terminé au cours de l’année juive 4788, qui correspond à l’année grégorienne 1028. (De manière intéressante, lorsque le manuscrit a été examiné près de 900 ans plus tard, un spécialiste écrivant au stylo avait fait le calcul de son ancienneté par rapport au calendrier juif en 1927).
Selon les notes de Zechariah Ben ‘Anan, on peut également voir le calcul du nombre de versets qu’il a été amené à écrire et qui faisaient partie autrefois d’une Bible hébraïque intégrale – dont les deux autres sections ont disparu sans laisser de trace.
Le manuscrit retrouvé par Yoram Meital ne comporte pas seulement les Écrits complets mais également douze autres pages de mesorah – ou commentaires sur les textes bibliques, avec notamment des notes sur les tropes ou les mélodies à utiliser lors de la lecture – et de nikud, qui correspond à la vocalisation de voyelles et de consonnes dans les mots. Ce système de petits points et de lignes superposés au texte biblique indique la résonance exacte des mots en hébreu antique (l’hébreu s’écrit sans voyelle).
Ce système a été établi par un groupe de spécialistes juifs vivant à Tibériade, près du lac éponyme, aux alentours de l’an 750 à 950 de l’ère commune.
« Tout ce qui a à voir avec la grammaire et la ponctuation de l’hébreu ancien est basé sur cette école », précise Yoram Meital. « Quand ce système d’écriture a été développé et qu’ils ont créé une école consacrée à l’apprentissage de la lecture correcte de la Bible, cela a été un changement spectaculaire parce que c’est à partir de ce moment-là que notre Bible est réellement née et qu’elle a pu se développer », ajoute-t-il.
Le manuscrit du Caire, qui a été écrit juste après la codification du système d’écriture, est l’un des premiers exemples connus de l’école de Tibériade, qui a formé des scribes devenus célèbres du 9e au 11e siècle – et notamment Zechariah Ben ‘Anan.

Le texte biblique en lui-même est écrit en lettres majuscules et à l’encre rouge-marron, tandis que les mesorah sont imprimés en noir. Chaque page, qui fait 36 centimètres sur 30, comprend la vocalisation du texte biblique, les tropes et les mesorah – qui sont majoritairement arrangés sous la forme de trois colonnes de 18 lignes.
Dans les psaumes et les autres poésies, cette disposition est réduite à deux colonnes. Il y a, ici et là, des corrections apportées au texte, qui sont faites par un autre scribe, soit en enlevant les lignes originales du parchemin et en les refaisant, ou à travers des parchemins comportant la bonne formulation.
Il y a des divergences dans les Écrits du ZBAM par rapport à ce qui est devenu la norme dans les Bibles hébraïques d’aujourd’hui. Le Livre des chroniques est présenté sous la forme d’un livre continu plutôt que sous celle de deux sections séparées, et l’ouvrage mène aux Écrits au lieu de les conclure.
Vers la conservation future du passé juif
Le ZBAM a été vénéré par la communauté karaïte, autrefois florissante, pendant des centaines d’années. Les Karaïtes rejetaient les couches d’interprétation de la Torah orale qui, estimaient-ils, supprimait le culte du texte biblique.
Malgré des conditions de conservation misérables tout au long de l’histoire, seules quelques dizaines de pages sont endommagées. Avant de se retrouver sur l’étagère poussiéreuse de la synagogue Moussa Deri, le ZBAM avait été préservé aux côtés d’autres manuscrits précieux (qui ont aujourd’hui disparu) et de rouleaux de Torah à la synagogue Dar Simcha, jusqu’en 1967. Dans les deux synagogues, le manuscrit avait été considéré comme sacré et utilisé comme une sorte d’amulette par les congrégations.
Les congrégations, d’après Yoram Meital, « ont placé dans ce texte des croyances qui l’ont rendu sacré. Ils l’utilisaient pour l’étude, mais aussi pour demander des bénédictions ».
Le spécialiste Richard Gottheil, indigné, a décrit pour sa part les conditions de conservation dont il a été témoin en 1905 : « Les manuscrits conservés dans l’arche et les placards de la synagogue karaïte au Caire sont dans le pire état possible. Le seul qui soit préservé avec un minimum de soin est le manuscrit de Moses ben Asher. Une boîte en bois avec un couvercle en verre ont été fournis ; avec, à l’intérieur, les pages du manuscrit qui ont été entassées : et ce n’est pas une exagération, la boîte n’est pas suffisamment grande et les pages ont dû être entassées pour s’adapter à sa taille ! ».

Depuis sa découverte, le manuscrit a été conservé dans un « lieu sûr » qui n’a pas été révélé.
Prochaine étape pour Yoram Meital, transformer le bâtiment de deux étages de la synagogue Shaar Hashamayim, située au centre du Caire, en bibliothèque pour le patrimoine juif. Il espère que Goutte de lait sera en mesure de trouver davantage de financements pour terminer des travaux de rénovation et de climatisation nécessaires pour que la bibliothèque puisse ouvrir ses portes à l’été 2020.
« Nous avons l’intention de prendre cet espace, de le rénover et d’ouvrir une bibliothèque qui comprendra deux collections dont l’une constituée d’environ 1 000 à 12 000 volumes a d’ores et déjà été collectée au Caire. Le second étage sera consacré aux documents et aux manuscrits rares », indique l’historien.
« Et le joyau de la couronne est le manuscrit de Ben ‘Anan », ajoute-t-il.
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