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Analyse

Alors que le gouvernement d’unité est presque achevé, Yamina se rebelle

Le Likud et Kakhol lavan pourraient être sortis de l'impasse concernant l'annexion de la Cisjordanie en s'accordant sur la nécessité de laisser Trump avoir le dernier mot

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à droite), avec le ministre de l'Éducation Naftali Bennett à la Knesset, le 17 juin 2015. (Miriam Alster/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à droite), avec le ministre de l'Éducation Naftali Bennett à la Knesset, le 17 juin 2015. (Miriam Alster/Flash90)

Les négociations de coalition entre le Likud et Kakhol lavan ont atteint la « dernière ligne droite », ont indiqué jeudi les responsables des deux formations alors que les deux partis cherchent à conclure un accord avant la fête de Pessah, la semaine prochaine.

Un accord d’unité a été « presque conclu », a confirmé la députée Hili Trooper de Kakhol lavan.

Les pourparlers doivent reprendre vendredi, les deux parties en lice cherchant, selon des informations, à finaliser le gouvernement d’ici ce week-end avec une prestation de serment du nouveau cabinet qui serait alors prévue avant le début de la fête de Pessah, qui commence mercredi soir.

Le problème posé par le principal point de désaccord dans ces négociations – l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie – semble avoir été résolu, même si des informations sur la manière dont les dissensions auraient été réglées restent contradictoires.

Le Likud avait demandé l’annexion de secteurs de la Cisjordanie dans les six prochains mois, tenant ainsi une promesse de campagne faite par le parti. Mais Kakhol lavan, pour sa part, avait insisté sur la nécessité du report de toute initiative géopolitique d’ampleur pendant six mois au moins alors qu’Israël fait face, aujourd’hui, à la crise du COVID-19.

Une vue de l’implantation de Maale Efraim en Cisjordanie sur les collines de la vallée du Jourdain, le 18 février 2020. (Crédit : AP/Ariel Schalit)

Les deux parties citent la pandémie de coronavirus pour justifier leur positionnement.

Ainsi, pour Kakhol lavan, toute initiative sensible de type géopolitique détournerait l’attention de la gestion de la crise immédiate entraînée par le coronavirus ainsi que de l’effondrement économique qui devrait suivre.

Les officiels du Likud, pour leur part, clament que la réponse très critiquée de l’administration Trump face au virus pourrait coûter au président américain Donald Trump sa réélection au mois de novembre – et fermer la « fenêtre d’opportunité » offerte par l’appui diplomatique américain à l’annexion.

Mais les négociations entre les deux formations auraient donné lieu à un « développement » significatif ouvrant la porte à un possible compromis, ont expliqué des officiels de Kakhol lavan aux journalistes.

Une version de ce compromis est la suivante : le nouveau gouvernement d’unité ne procédera à l’annexion que si l’administration Trump offre son soutien absolu à cette initiative.

L’appui sans réserve des Etats-Unis à cette démarche reste encore indéterminé – ce qui fait du compromis une concession possible au désir de Gantz de reporter toute initiative unilatérale en Cisjordanie.

Le compromis neutraliserait l’argument du Likud, selon lequel si l’annexion est urgente parce que le soutien américain pourrait disparaître après le mois de novembre, toute décision d’annexion anticipée doit pouvoir s’assurer de ce que cet appui est réel aujourd’hui.

L’administration Trump a tergiversé sur le sujet. Après avoir initialement signalé qu’elle approuvait la mise en œuvre par l’Etat juif d’une annexion limitée après la publication de son plan de paix, l’année dernière, l’administration a depuis retiré son soutien à toute initiative immédiate et demande à Israël d’attendre que Washington puisse renforcer les appuis accordés à son plan de la part de pays arabes amis.

Le président américain Donald Trump (à droite) lors d’une réunion bilatérale élargie avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le 27 janvier 2020, dans le bureau ovale de la Maison Blanche. (Photo officielle de la Maison Blanche par D. Myles Cullen)

Si cette partie du compromis intègre les nouvelles directives de la politique gouvernementale, cela suggère que Gantz et Netanyahu semblent croire tous deux être en mesure de convaincre l’administration américaine de se mettre de leur côté – ou que malgré des déclarations publiques clamant le contraire, aucun des deux hommes n’est finalement désireux de mettre en œuvre l’annexion à court terme.

C’est une question qui est politiquement vitale pour Netanyahu, qui doit affronter la colère et un soulèvement croissants parmi ses alliés de droite suite aux concessions massives faites à Gantz en termes de postes ministériels mais aussi au niveau politique – en accordant notamment à Kakhol lavan la moitié des 34 sièges attendus dans le cabinet du prochain gouvernement.

Le Premier ministre a tenu bon, avec une détermination extrême, dans les négociations portant sur la politique d’annexion, cette semaine – en particulier pour conserver un soutien parmi ses partenaires de droite, mécontents, alors que les pourparlers entraient dans la dernière ligne droite.

Une autre version du compromis – rapportée cette fois par des sources du Likud – reporterait le projet d’annexion, mais pendant moins que les six mois réclamés par Gantz. Ce compromis neutraliserait le principal argument avancé par Kakhol lavan : celui que si le problème le plus déterminant n’est pas le principe de l’annexion mais bien le danger de détourner l’attention du gouvernement de la lutte contre l’épidémie, alors l’annexion deviendrait un choix politique légitime à la fin de la crise.

Kakhol lavan a réclamé et obtenu une « liberté de vote » sur la question, à savoir le droit pour chaque député de voter conformément à ses convictions lorsque toute proposition portant sur l’annexion sera présentée au vote à la Knesset ou au cabinet et sans que ce vote ne soit considéré comme une violation de l’accord de coalition.

Aucune de ces idées ne semble encore avoir été finalisée à l’écrit et les pourparlers sont encore en cours sur cette question épineuse. Mais les deux parties auraient donné leur accord de principe à trouver un compromis autour de ces grandes lignes.

Le président Reuven Rivlin (au centre), le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche), et le leader de Kakhol lavan, Benny Gantz, lors d’une cérémonie de commémoration de feu le président Shimon Peres au mont Herzl de Jérusalem, le 19 septembre 2019. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Ce n’est pas un hasard que l’annexion se soit révélée être le point de désaccord central des négociations. Si la lutte entre les deux points de vue ne concerne pas finalement la politique en elle-même, elle concerne davantage le narratif et l’identité générale du nouveau gouvernement.

Gantz a besoin de montrer que sa décision spectaculaire de rejoindre un gouvernement placé sous l’autorité de Netanyahu – après s’être présenté au cours de trois scrutins avec comme principale promesse de campagne le départ du leader du Likud, empêtré dans des scandales de corruption – est parvenue, de manière notable, à faire glisser la politique israélienne vers le centre.

Et il semble avoir gagné son pari – au moins pour le moment. Un sondage paru jeudi, dont les résultats ont été diffusés par la Douzième chaîne, révèle que 47 % des électeurs ayant choisi Kakhol lavan, le 2 mars, voteraient aujourd’hui pour Hossen LeYisrael, la formation de Gantz. Ses autres partenaires de l’alliance Kakhol lavan, Yesh Atid de Yair Lapid et Telem de Moshe Yaalon, ne remporteraient que 22 % des voix au sein de cet électorat. Le sondage accorde également 20 sièges au parti de Gantz – ce qui montre, grâce à une arithmétique simple, qu’au moins un-quart de ses soutiens actuels vient de l’extérieur du cercle des électeurs de Kakhol lavan.

Netanyahu, pour sa part, doit montrer qu’il peut mettre en place l’unité sans compromettre les principes et les nécessités de la droite de l’échiquier politique israélien – en particulier alors même qu’il se bat actuellement pour tenter de contenir la fureur, au sein du Likud et de Yamina, causée par le nombre dérisoire de portefeuilles ministériels qu’il est en mesure d’offrir à ses alliés.

Les victoires apparentes de Gantz à la table des négociations – avec le leader et ex-syndicaliste plutôt à gauche, Avi Nissenkorn, qui s’emparera du poste de ministre de la Santé ; l’annexion dans l’impasse, voire gelée ; Yuli Edelstein, ex-président de la Knesset, interdit de reprendre sa fonction – ont entraîné une tempête de condamnations presque unanimes à droite.

Le chef du parti Kakhol lavan, Benny Gantz, photographié dans sa voiture au siège du parti, à Tel Aviv, en septembre 2019. (Crédit : AP Photo/Oded Balilty)

« Le Likud est en train de redéfinir le concept même des négociations : répondre à tous les souhaits de l’autre et lui offrir tout ce qu’il veut », a ironisé Yehudah Yifrach, éditeur respecté du journal de droite Makor Rishon.

« Malgré la loyauté que nous avons affichée depuis un an et demi », notamment en refusant d’aider Gantz à former une coalition lors des deux précédentes élections, « le Likud semble, une nouvelle fois, nous écarter », a accusé Ayelet Shaked de Yamina dans une interview accordée au site d’information de droite Arutz Sheva.

Elle a qualifié les pourparlers de « rupture avec toutes les valeurs de droite ».

La frustration entraînée par Netanyahu est compréhensible. Dans sa hâte de conclure un accord avec Gantz, il n’aura même pas commencé à mettre en place des pourparlers avec ses partenaires de droite les plus loyaux.

Le pire coup porté à Yamina est survenu jeudi, lorsque la formation a appris (via les médias, c’est sûr) que Netanyahu avait trouvé une solution respectable au problème posé par Edelstein : Kakhol lavan accorderait au Likud le prestigieux – mais dénué d’influence – ministère des Affaires étrangères et Edelstein en prendrait la tête ; le ministre actuel du Tourisme, Yariv Levin, occuperait dorénavant le siège du président de la Knesset et Kakhol lavan obtiendrait une compensation en s’emparant du ministère de l’Education, qui gère le système éducatif national et s’enorgueillit du plus gros budget touché par une agence gouvernementale israélienne.

Il y a toutefois un problème. Une telle répartition ne pourra se concrétiser que si le ministère de l’Education échappe aux mains de Rafi Peretz, de Yamina.

Ayelet Shaked, ancienne ministre de la Justice et députée de Yamina, lors de la conférence de « Maariv » à Herzliya, le 26 février 2020. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Dans une réponse furieuse calculée pour prendre personnellement pour cible Netanyahu, Yamina a émis un communiqué comportant une menace à peine voilée de soutenir les législations anti-corruption – à savoir les projets de loi proposés par Kakhol lavan qui visent à empêcher un député mis en examen, comme c’est le cas de Netanyahu, d’occuper le poste de Premier ministre – si la faction devait être reléguée dans l’opposition.

« Nous ne participons pas au jeu des chaises musicales entre Netanyahu et Gantz », clame le communiqué. « Nous n’avons aucunement l’intention d’être un artifice dans un gouvernement de gauche qui a marchandé le portefeuille de la Justice, qui tue la souveraineté [comprendre l’annexion de la Cisjordanie]… et plus encore. Yamina prônera ses valeurs depuis l’intérieur du gouvernement ou à la Knesset », a juré la faction, faisant la liste de ces mêmes valeurs : « la terre d’Israël, la réforme du système judiciaire, l’identité juive du pays, le libre-échange, *la guerre contre la corruption*, et plus. »

Les astérisques figuraient dans le communiqué original.

Le Likud a répondu rapidement et de manière toute aussi véhémente, dénonçant le « communiqué scandaleux » de Yamina qui « prouve que pour obtenir des postes au cabinet, certains uniraient leurs forces avec la Liste arabe unie [à majorité arabe] et avec la gauche radicale pour renverser le Premier ministre Netanyahu ».

Ignorons l’ironie du moment – Netanyahu accusant Yamina de volonté « scandaleuse » de « s’unir » aux partis arabes tout en négociant un accord d’unité avec Gantz qui, explicitement et ouvertement, s’était appuyé sur les votes de la Liste arabe unie. Revenons plutôt sur ce qui est important ici, à savoir la rapidité avec laquelle le Likud a recouru, pour évoquer Yamina, au langage que le parti réserve habituellement à ses adversaires – en les accusant de se liguer avec les partis arabes et la « gauche radicale ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une conférence de presse sur le coronavirus, au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 11 mars 2020. (Crédit : Flash90)

Le mouvement Yamina a commencé à se préparer à la possibilité de plus en plus réaliste d’être mis à l’écart par Netanyahu, passant ce faisant dans l’opposition. Il y a un signal de ces préparations : les parlementaires de Yamina ont rédigé au moins huit projets de loi distincts sur des questions de droite, qu’ils prévoient de présenter depuis l’opposition dans le seul objectif d’amener le Likud à s’y opposer publiquement. Parmi ces textes, entre autres, l’annexion de certains secteurs de la Cisjordanie, la réduction du réexamen judiciaire des législations et une réforme des nominations judiciaires.

Gantz, dès le début, a calculé ses demandes dans le but de creuser le fossé entre Netanyahu et son bloc d’alliés de droite, jusqu’ici loyal. Et avec Yamina qui menace de soutenir une législation contre Netanyahu et avec Netanyahu qui, de son côté, accuse le chef de Yamina, Naftali Bennett, de sympathies « gauchistes », l’ex-chef d’Etat-major semble avoir atteint son objectif.

Ironiquement, pour Yamina, cette stratégie pourrait s’avérer moins judicieuse que le parti semble le croire. Sa mise en garde – en avertissant que le mouvement pourrait soutenir un projet de loi anti-Netanyahu – ne fait qu’augmenter l’influence de Gantz sur le Premier ministre en donnant de la crédibilité à cette menace législative, ce qui rend d’autant plus difficile pour Netanyahu d’obtenir de la part de Kakhol lavan les compromis que Yamina recherche.

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