Après plusieurs visites à Ouman, je suis enfin allé sur la tombe du rabbin Nahman
Occupé depuis des années à couvrir les événements liés au pèlerinage en Ukraine, j'ai enfin visité le but principal de ce voyage : la tombe du Rabbin Nahman
Ouman, Ukraine – Comme beaucoup de juifs qui se rendent régulièrement dans cette ville, j’ai perdu le compte du nombre de fois où je m’y suis rendu.
En tant que journaliste qui couvre les affaires juives en Europe depuis plus de dix ans, j’ai dû venir à Ouman au moins une bonne dizaine de fois.
Durant ces années il m’est arrivé à plusieurs occasions de couvrir la visite des quelque 30 000 Juifs qui viennent tous les ans, à l’occasion de Rosh HaShana, se recueillir sur la tombe de Rabbi Nahman, une sommité du XVIIIe siècle dont les écrits ont inspiré le mouvement hassidique de Breslev.
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Ma première visite en Ukraine, en 2012, avait pour objectif d’enquêter sur les rumeurs selon lesquelles des prostituées se seraient rendues à Ouman en prévision du pèlerinage – le plus grand pèlerinage de juifs en dehors d’Israël, et qui attire principalement des Israéliens exerçant des professions ouvrières (mes conclusions : oui, il y avait bien quelques prostituées, mais elles n’étaient pas très nombreuses).
J’y suis retourné à des moments plus calmes pour étudier différents aspects de cet événement inter-culturel fascinant et parfois tendu, comme le rôle de la mafia ukrainienne ou le point de vue de la petite population juive autochtone d’Ouman à l’égard du pèlerinage.
Cependant, avant ce Rosh HaShana, je n’avais jamais visité l’objectif du pèlerinage : le sanctuaire construit autour de la tombe de Rabbin Nahman, connu sous le nom de Tziun, qui signifie « la marque » en hébreu.
Je l’ai avoué à un compagnon de voyage, un pèlerin nommé Uriel Kaizerman, alors que nous faisions route de la Moldavie vers Ouman, un voyage long et ardu, résultat de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, laquelle a interrompu les vols commerciaux vers ce pays (mais qui a peu affecté l’affluence au pèlerinage, qui comptait près de 32 000 participants).
En entendant cela, il a écarquillé les yeux de surprise. « Tu es allé à Ouman une bonne dizaine de fois pour couvrir un pèlerinage, mais tu n’as jamais pris la peine d’aller voir le but de ce pèlerinage », demande Kaizerman, qui est à la fois le boute-en-train et le leader du groupe d’amis avec lequel il se rend régulièrement à Ouman.
Pour justifier mes choix, je lui ai expliqué que j’étais toujours occupé par la couverture d’une histoire tangible, comme la clinique d’Ouman ou les nouvelles coutumes inventées par les pèlerins au cours de leur voyage. Kaizerman a tiré sur la paupière inférieure de son œil gauche, un geste méditerranéen d’incrédulité dédaigneuse, et a dit : « C’est ça, mon frère ».
Il n’avait pas tort.
Depuis que je me suis fait une opinion sur Dieu (ou plutôt que je me suis abstenu de m’en faire une), je suis agnostique. Et j’avais mieux à faire que de me frayer un chemin à travers une masse de gens pour toucher la tombe d’un rabbin décédé ; peu importe la sagesse de ses écrits ou la façon dont ils ont inspiré à des milliers de personnes une dévotion rare.
Pour un journaliste qui couvre le monde juif, Ouman ne manque pas d’événements intéressants. L’endroit ressemble à un mélange improbable entre Bnei Brak, Burning Man et la vision hallucinatoire d’un réalisateur hollywoodien d’un shtetl du XXIe siècle, ces villages juifs qui parsemaient l’Europe de l’Est avant que les nazis et leurs collaborateurs ne les anéantissent.
Le simple fait d’observer la foule est déjà une activité fascinante et révélatrice. Il y a des Shasniks – des Juifs séfarades dévots -, des Juifs francophones, des Juifs ashkénazes américains, des ex-détenus, des ravers, des Juifs éthiopiens et le genre d’Israéliens laïques que l’on rencontre souvent en Inde. Il n’est pas rare de sentir des effluves de cannabis, de même que de la viande grillée au barbecue.
Des dizaines de restaurants casher bordent la rue principale de Pushkina, le nom du quartier autour du sanctuaire. Pendant le pèlerinage, des vendeurs de jouets, des opticiens et des marchands de fruits et légumes israéliens exercent leur activité aux côtés des représentants de plusieurs compagnies de téléphone ukrainiennes, qui vendent des cartes SIM à cette économie en bulle, qui fonctionne avec des shekels et des dollars et dont les prix sont plusieurs fois supérieurs à ceux des boutiques ukrainiennes.
Les plans de données coûteux et les interdits religieux empêchent la plupart des enfants d’accéder aux écrans, et ils courent partout, tantôt sur les toits, tantôt dans la rue. L’un d’entre eux, un garçon qui s’est présenté sous le nom de Yoseleh, a réussi à mettre quelques shekels de côté avant les fêtes grâce à sa clarinette, sur laquelle il a joué des airs hassidiques, une manière discrète mais efficace de faire revivre la nostalgie du shtetl.
S’il a été conseillé à de nombreux pèlerins de rester chez eux plutôt que de risquer d’être tués dans un bombardement russe, le fait est que les décès pendant le pèlerinage ne sont pas rares ; chaque année, il y a des centaines d’urgences médicales. Cette année, un homme de 55 ans originaire du sud d’Israël est mort d’un arrêt cardiaque à Ouman.
Les pèlerins sont restés très indifférents aux discussions dont ils ont fait l’objet sur la plateforme X (ancien Twitter) pendant les fêtes, tant en Israël qu’en Ukraine, où des vidéos montrant des bus et de rues pleines de détritus laissés par les visiteurs ont entraîné un déferlement de condamnations. « Le problème avec les déchets à Ouman, c’est qu’ils reviennent en Israël après le pèlerinage », raillait un internaute en hébreu.
Leonid Nevzlin, ancien président du Congrès juif russe, a écrit en russe sur X qu’il avait « honte » de la conduite de ses coreligionnaires.
Certains habitants non juifs d’Ouman ont une approche émotionnelle de la question. « Ils contribuent à l’économie alors que personne d’autre ne le fait », m’a dit Volodymyr Savela, 36 ans, « Certains se comportent comme des porcs. D’autres sont bien éduqués et ont de bonnes manières. Tout comme les habitants d’Ouman. »
Yohai Elharar, un pèlerin de 37 ans originaire de Dimona, faisait un barbecue avec ses amis israéliens lorsque je suis entré dans la cour de leur appartement loué pour poser des questions sur le problème des déchets. Il m’a montré du doigt une femme de ménage que lui et ses neuf amis avaient engagée pour 200 dollars afin de nettoyer les lieux. « Nous faisons attention à ce que tout soit toujours propre ici, dans le bus et partout ailleurs », m’a dit Elharar, qui a un fils.
Il a ensuite exposé ses bras et sa poitrine. « J’ai aussi fait nettoyer mon corps grâce au rabbin. J’étais couvert de tatouages. Puis je suis venu ici, j’ai trouvé le rabbin et je me suis purifié. Et vous pensez vraiment qu’après cela, je me comporterais comme un animal sale et que je jetterais mes saletés dans la rue ? »
Yair Weitzmann, un autre pèlerin de Dimona, a renchéri. « Les Israéliens sont sales chez eux, et ils ne sont pas plus propres ici. Mais les Ukrainiens sont loin d’être des Suisses. L’infrastructure est médiocre et lorsque vous avez 30 000 personnes dans un petit endroit, il y a forcément des déchets. »
Cette année, les pèlerins ont payé une taxe municipale de 50 dollars, destinée à couvrir les frais de nettoyage et autres dépenses.
Elharar m’a demandé ce que j’avais ressenti en visitant le sanctuaire cette fois-ci. Quand je lui ai dit que je ne l’avais jamais fait, il m’a répondu : « C’est l’occasion de le faire alors, les fêtes touchent à leur fin ».
J’ai décidé de suivre son conseil. Non seulement pour cocher la case, mais aussi parce que, depuis quelques années, certaines fissures étaient apparues dans mon armure agnostique. Je me suis dit que je pouvais tout aussi bien essayer de me laisser convaincre par le rabbin Nahman, dont j’avais croisé les disciples marchant dans la rue, les larmes aux yeux, après une visite au Tziun d’Ouman.
Muni de mon exemplaire du Tikun Klali – une compilation de versets des Psaumes que le rabbin Nahman a rassemblés pour les prières de ses disciples, je me suis dirigé à travers les ruelles vers sa tombe, en empruntant un raccourci que j’avais découvert il y a deux ans en traversant un ruisseau qui traverse la Pushkina.
Les feuilles étaient encore vertes après un été pluvieux, et leur luxuriance uniforme amplifiait l’impression que les forêts autour d’Ouman et au-delà semblaient s’étendre à l’infini à travers ce vaste pays. Mais les châtaignes jaunissaient déjà, rappelant que bientôt le rude hiver ukrainien dépouillerait et gèlerait ces étendues. Bon nombre de Juifs ashkénazes n’ont aucun mal à l’imaginer. Nous avons entendu de nombreuses histoires de survie et de mort lors de la Shoah, avec pour toile de fond ce décor impitoyable.
Le lieu de sépulture du rabbin Nahman, choisi par lui parce que c’était l’endroit où se trouvait un charnier de victimes de pogroms, n’était pas aussi encombré que je le croyais. Mais il semblait vibrer des prières récitées sans relâche par les quelque 500 personnes présentes sur les lieux. Remarquant que je portais le Tikun Klali sur la tête au lieu d’une kippa, un fidèle, un juif hassidique coiffé d’un shtreimel, un chapeau traditionnel doublé de fourrure, m’a prêté le sien sans interrompre sa prière.
J’ai marché autour de la tombe, qui se trouve à l’intérieur de la salle de prière. Tous les fidèles étaient tournés vers elle, comme il est d’usage pour l’arche de la Torah et Jérusalem. Je n’ai toutefois pas ressenti l’exaltation qui a saisi Keizerman à sa première visite (il m’a dit qu’il avait fondu en larmes). En revanche, j’ai ressenti un sentiment général d’affinité avec mes frères et j’ai apprécié leur diversité. J’ai également humé un mélange aromatique d’après-rasage et de flatulences. J’ai récité le Tikun et je suis parti.
Lorsque je lui ai raconté mon expérience, Raphaël, un autre compagnon de voyage, qui était laïc avant de revenir à la religion il y a 17 ans, m’a dit : « Peu importe. Pour certains, c’est un mécanisme à retardement. Moi non plus, je n’avais rien ressenti la première fois. Mais j’ai continué à venir jusqu’à ce que je sente quelque chose », a-t-il ajouté.
« Je suppose que toi aussi, tu reviendras. »
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