Israël en guerre - Jour 425

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Au checkpoint le plus célèbre d’Israël, même une bonne journée peut être mauvaise

Le checkpoint de Qalandiya, où des milliers de Palestiniens entrent quotidiennement à Jérusalem, est une toile bureaucratique où personne ne sait qui est responsable

Il est tout juste 5h00 du matin, et des centaines de travailleurs palestiniens sont déjà entrés en Israël. Beaucoup sont assis le long du rebord en béton de la barrière de sécurité, écoutant le pépiement des oiseaux en attendant qu’une camionnette les emmène sur un chantier.

C’est une journée calme au checkpoint de Qalandiya – le plus grand et le plus fréquenté par les travailleurs palestiniens de la région de Ramallah qui vont vers Jérusalem, avec des files d’attente avançant de manière relativement ordonnée.

Mais ce n’est pas toujours comme ça.

Un reportage de la Deuxième chaîne, intitulé « Comme des animaux », avait montré des scènes chaotiques de files interminables dans des cages métalliques, des émeutes et le désespoir d’un dimanche matin, quelques semaines avant le début de Pessah.

Capture d'écran d'un reportage de la Deuxième chaîne au checkpoint de Qalandiya, le 15 avril 2016, qui montre les difficultés des travailleurs palestiniens pour passer de Cisjordanie en Israël. (Crédit : capture d'écran de la Deuxième chaîne)
Capture d’écran d’un reportage de la Deuxième chaîne au checkpoint de Qalandiya, le 15 avril 2016, qui montre les difficultés des travailleurs palestiniens pour passer de Cisjordanie en Israël. (Crédit : capture d’écran de la Deuxième chaîne)

Cependant, le 3 mai, les travailleurs au checkpoint ont dit au Times of Israel que cela se passait généralement bien. L’heure de pointe matinale se déroulait en douceur, avec des vagues de centaines d’hommes, et quelques femmes, entrant en Israël en attendant entre 5 et 15 minutes.

Et pourtant les travailleurs palestiniens se sont plaints qu’en général, ils se sentaient piégés dans un processus capricieux. Que ce soit ce calme mardi matin, ou un dimanche matin agité avant Pessah, ils doivent toujours prévoir de longs retards.

Samir Hassan, ouvrier de 40 ans venu du village de Kusra, a dit qu’il travaillait en Israël depuis huit ans. Chaque matin, il se lève à 4h00 pour être à l’heure au travail.

« La longueur des files dépend du moral des soldats. Avant les vacances de Pessah, les files étaient beaucoup plus longues », a dit Hassan.

« J’essaie de ne pas faire attention aux cages métalliques. Il est plus important pour moi de simplement passer », a-t-il dit.

Un travailleur palestinien entrant dans la "manche" en métal avant que son identité ne soit vérifiée au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).
Un travailleur palestinien entrant dans la « manche » en métal avant que son identité ne soit vérifiée au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).

Quelque soit la vitesse des files d’attentes, beaucoup se plaignent des conditions inhumaines.

Il n’y a qu’un seul WC – un trou dans le sol – qui est actuellement ouvert au checkpoint, où des milliers de personnes peuvent parfois attendre pendant des heures. L’état de l’installation est sinistre, putride, et la porte elle-même pend sur ses charnières. Des hommes et des femmes utilisent ces toilettes. La pièce conçue pour les hommes est fermée.

Les seules toilettes en service au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).
Les seules toilettes en service au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).

Les fontaines à eau sur le lieu d’attente ne fonctionnaient pas non plus au moment de notre visite.

Mahmud Abu Eid, 61 ans, de la région de Ramallah, est gérant d’un supermarché Rami Levy dans le quartier Ramot de Jérusalem, et est père de 10 enfants. Il a affirmé que plutôt que de protéger les Israéliens, le checkpoint était un désavantage pour la sécurité israélienne.

« Je ne pense pas que cela aide la sécurité d’Israël. Quelqu’un qui veut faire quelque chose le peut. Il y a beaucoup de moyens », a-t-il dit.

Mahmud Abu Eid, 61 ans, gérant d’un supermarché Rami Levy à Jérusalem, au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).
Mahmud Abu Eid, 61 ans, gérant d’un supermarché Rami Levy à Jérusalem, au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel).

« Quand je suis retenu ici par un soldat, je sens dans mon cœur que cela n’est pas bon, a ajouté Abu Eid. Je n’ai rien fait. Pourquoi devrais-je attendre ? »

Micky Rosenfeld, porte-parole de la police israélienne, a déclaré que la longueur des files n’était pas liée aux accrocs du processus de traversée, mais simplement au nombre de travailleurs qui passent à un moment donné.

« La police israélienne est chargée de la sécurité, de maintenir le lieu ouvert et de s’assurer que des milliers de personnes peuvent passer, a continué le porte-parole. Le checkpoint est ouvert quotidiennement, et il n’y a pas de limite d’âge. Il n’y a pas de problème ici. Au contraire, cela fonctionne efficacement. »

Rosenfeld a déclaré qu’il ne savait qui était responsable de la maintenance des toilettes et des fontaines d’eau. « Il est possible que ce soit une compagnie privée », a-t-il dit.

Passer un délire bureaucratique

Le checkpoint de Qalandiya, le plus grand d’Israël, est géré par quatre groupes différents.

Comme le checkpoint est situé dans les limites de Jérusalem, il est sous l’autorité de la police, qui garde le site. Mais une fois que quelqu’un entre dans la zone des bureaux où les cartes d’identité et les permis sont vérifiés, il voit un soldat de la police militaire.

Un membre de n’importe lequel de ces groupes peut interrompre le processus d’entrée en Israël. La police ouvre et ferme le tourniquet de l’étroit passage de métal qui est alimenté par une zone type salle d’attente. La police militaire ouvre et ferme les tourniquets qui permettent de sortir du checkpoint après une inspection.

Travailleurs palestiniens attendant d'entrer dans le passage en cage métallique qui mène à la pièce d'examen des papiers d'identité, au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel)
Travailleurs palestiniens attendant d’entrer dans le passage en cage métallique qui mène à la pièce d’examen des papiers d’identité, au checkpoint de Qalandiya, le 3 mai 2016. (Crédit : Luke Tress/Times of Israel)

Il y a ensuite l’administration civile de l’armée israélienne, l’institution en partie militaire et en partie civile qui supervise les activités civiles palestiniennes en Cisjordanie.

L’administration civile est responsable des permis délivrés aux Palestiniens pour entrer en Israël, ainsi que du « passage humanitaire », un passage séparé du checkpoint réservé aux femmes, aux personnes âgées, handicapées, ou au personnel médical. La porte est ouverte si besoin, mais uniquement par un officier de l’administration civile.

Finalement, il y a des gardes de sécurité privés engagés par le ministère de la Défense, qui ajoutent une couche de protection supplémentaire.

Neta Efroni, militante de l’association israélienne de défense des droits de l’Homme Machsom Watch, qui envoie des volontaires trois à quatre jours par semaine pour surveiller et écrire des rapports quotidiens sur les activités des points de passage, décrit dans un post de blog les conséquences d’avoir de multiples institutions qui gèrent Qalandiya.

« Le résultat de cette séparation de l’autorité est que chaque entité individuelle peut éviter de prendre la responsabilité globale, ce qui augmente le fardeau des Palestiniens qui doivent passer tous les jours. »

Des agents de la police des frontières au checkpoint de Qalandiya, près de Ramallah en Cisjordanie, le 30 juin 2015. (Crédit : STR / Flash90)
Des agents de la police des frontières au checkpoint de Qalandiya, près de Ramallah en Cisjordanie, le 30 juin 2015. (Crédit : STR / Flash90)

Le 27 avril, Maram Hassan Abu Ismail, 23 ans, mère de deux enfants, et son frère Ibrahim Saleh Taha, 16 ans, ont été abattus au checkpoint de Qalandiya.

La police israélienne avait déclaré qu’ils s’étaient lentement rapprochés des policiers, avaient continué à avancer après les tirs de sommation, puis « soudainement », Maram avait jeté de près un couteau sur un officier, sans entraîner de blessure.

Deux couteaux et un outil multi-usage type Leatherman qu'un couple palestinien aurait prévu d'utiliser pour attaquer des des gardes-frontières au checkpoint de Qalandiya, le 27 avril 2016. (Crédit : police israélienne)
Deux couteaux et un outil multi-usage type Leatherman qu’un couple palestinien aurait prévu d’utiliser pour attaquer des des gardes-frontières au checkpoint de Qalandiya, le 27 avril 2016. (Crédit : police israélienne)

Ensuite, « les officiers et les gardes de sécurité ont agi rapidement et tiré sur les terroristes, les neutralisant », a déclaré un porte-parole de la police.

Quatre jours après l’incident, l’unité d’enquête de la police militaire avait annoncé que l’establishment militaire abandonnait l’enquête. Ce n’était pas un de leurs hommes, mais un garde de sécurité privé, qui avait tiré les coups mortels, avait-elle déclaré.

Malgré les demandes de députés israéliens, de médias et de la famille des tués de publier la vidéo de l’incident – ce que la police a fait dans le passé pour s’exonérer – aucune vidéo n’a été diffusée.

Les enquêteurs de la police du district de Jérusalem enquêtent à présent sur l’incident du 27 avril. Le tribunal a imposé un ordre de silence sur les détails de l’enquête ainsi que sur les noms des suspects.

Une récente demande du Times of Israël pour savoir qui est responsable du financement du checkpoint de Qalandiya a fini dans une impasse quand des porte-paroles de la police israélienne, de l’administration civile ainsi que du ministère de la Défense, qui est directement responsable de la gestion de la plupart des checkpoints, ont démenti que leurs organisations respectives contrôlent le financement.

Chaque organisation pense que l’une des trois autres contrôle le financement.

Diminuer les embouteillages

Les conditions difficiles qui sont devenues le statu quo du checkpoint depuis son ouverture en 2002, selon des membres de Machsom Watch et des travailleurs interrogés sur place, semblent être sur le point de changer alors que les réalités économiques et sécuritaires forcent les autorités israéliennes à agir.

La police israélienne a annoncé moins d’une semaine après les tirs mortels du 27 avril, qu’un nouveau passage pour les piétons et les véhicules pour le nord de Jérusalem depuis A-Ram allait ouvrir. Le nouveau checkpoint, qui sera situé à Dahiat el-Barid, va largement soulager la congestion de Qalandiya, a déclaré la police.

Le passage de Dahiat el-Barid sera ouvert tous les jours entre 15h00 et 17h00, de Jérusalem vers Qalandiya uniquement, a annoncé la police. L’armée a déclaré qu’elle envisageait d’augmenter ces horaires dans le futur.

Quand il a été demandé pourquoi la police n’avait pas décidé d’ouvrir le nouveau checkpoint pendant l’heure de pointe matinale, le porte-parole a répondu que « [les nouveaux horaires ont été choisis] pour permettre à ceux qui viennent le matin par le checkpoint de Qalandiya de rentrer plus rapidement chez eux dans l’après-midi. »

Le checkpoint de Qalandiya, le 23 octobre 2012. (Crédit : Oren Nahshhon/Flash90)
Le checkpoint de Qalandiya, le 23 octobre 2012. (Crédit : Oren Nahshhon/Flash90)

L’annonce de la police notait également que le checkpoint ouvrait alors qu’un nouveau centre commercial ouvrait à A-Ram, ce qui devrait accroître le trafic mais aussi fournir des milliers d’emplois.

De plus, dans le cadre d’un effort plus large pour améliorer les relations économiques israélo-palestiniennes, le ministère des Finances a récemment appelé à ce que de nouveaux permis de travail soient accordés à 7 800 travailleurs palestiniens supplémentaires.

Pour faciliter l’accroissement attendu du passage des travailleurs en Israël, le plan attribue immédiatement 10 millions de shekels (2,4 millions d’euros) pour améliorer les points de passage, et appelle à les « moderniser et agrandir » à un niveau « convenable pour les travailleurs réguliers ».

Le ministère des Finances alloue un financement total de 100 millions de shekels pour la mise en place de tout le projet d’amélioration économique, qui comprend aussi la hausse des transports en commun en Cisjordanie et un programme de formation professionnelle pour les travailleurs palestiniens employés dans le secteur de la construction en Israël.

Cependant, des représentants de l’administration civile ont dit ne pas pouvoir préciser si de l’argent avait été transféré à leur organisation pour améliorer les checkpoints.

Le checkpoint de Qalandiya à l'aube. (Crédit : Elhanan Miller/The Times of Israel)
Le checkpoint de Qalandiya à l’aube. (Crédit : Elhanan Miller/The Times of Israel)

Dans le secteur de la sécurité, le cycle d’attaques de sept mois contre Israël qui a commencé en octobre a poussé le cabinet de sécurité à voter une motion appelant à attribuer des permis de travail supplémentaires à 30 000 Palestiniens.

La théorie est que ceux qui travaillent en Israël mènent moins d’attaques. Sur les centaines de Palestiniens qui ont tenté des attaques depuis début octobre, seuls quelques un détenaient des permis de travail légaux.

En ce moment, 58 000 Palestiniens ont des permis de travail israéliens, bien que les experts estiment qu’environ 120 000 Palestiniens de Cisjordanie sont actuellement employés, légalement ou illégalement, par des résidents de l’Etat juif.

Les dizaines de milliers de travailleurs palestiniens sans permis passent illégalement en Israël tous les jours, au lieu de passer par un checkpoint.

Abu Eid, l’employé de Rami Levy, a dit qu’autoriser les Palestiniens à travailler en Israël était bénéfique pour la sécurité du pays, mais a espéré que les fonctionnaires adouciraient les restrictions sur les personnes autorisées à entrer.

« Ils ne laissent [entrer] que les hommes d’un certain âge, ou les hommes mariés avec des enfants. Mais une personne qui vit en Palestine, il ne peut pas acheter de maison, il ne peut pas se marier, il ne peut rien faire. Alors il commence à avoir toutes sortes de pensées. Il dit que ce n’est pas une vie, alors il fait une attaque terroriste. S’ils autorisaient les jeunes hommes à entrer, je pense que la situation sécuritaire serait bien meilleure pour les Israéliens », a dit Abu Eid.

L’équipe du Times of Israël et des agences ont contribué à cet article.

Dov Lieber est sur Twitter : @DovLieber

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