Bereshit a peut-être peuplé la Lune d’oursons d’eau
La sonde lunaire transportait des milliers de tardigrades, des créatures microscopiques capables de survivre dans l'espace
Selon un article publié lundi dans le magazine américain Wired, la sonde lunaire Bereshit transportait des micro-archives de la taille d’un disque optique contenant des échantillons ADN, des millions de pages de données et des milliers de tardigrades déshydratés – des animaux microscopiques appelées oursons d’eau.
Les tardigrades sont des êtres virtuellement indestructibles capables de résister à des radiations extrêmes, à une chaleur étouffante, aux températures les plus froides de l’univers et à des décennies sans nourriture.
L’archive est une idée originale de l’Arch Mission Foundation, de l’investisseur américain Nova Spivack, dont la mission est de créer une « sauvegarde de la planète Terre ». Les tardigrades, qui ont été ajoutés à la dernière minute, sont des créatures particulièrement résistantes, connues pour survivre pendant des années. On les trouve sur toute la Terre, et ont déjà survécu dans l’espace.
Bereshit s’est écrasé sur la Lune en tentant de s’y poser il y a quelque mois, et avec elle, se sont écrasés les espoirs des ingénieurs qui avaient planché sur ce projet pendant des années.
« Nous pensons que les chances de survie des tardigrades sont extrêmement élevées », a déclaré à l’AFP Nova Spivack, co-fondateur de la Fondation Arch Mission responsable de leur voyage, après l’analyse de la trajectoire du vaisseau spatial et de la composition du dispositif dans lequel les micro-animaux étaient stockés.
L’association est consacrée à la diffusion du savoir humain et de la biologie de la Terre dans tout le système solaire, une sorte de « Encyclopedia Galactica », comme imaginée par l’auteur de science-fiction Isaac Asimov.
« Les tardigrades sont parfaits à stocker parce qu’ils sont microscopiques, multicellulaires et qu’ils constituent l’une des formes de vie les plus durables de la planète Terre », a expliqué Nova Spivack, précisant que les petites créatures de moins d’un millimètre avaient été déshydratées puis « enfermées dans de la colle époxy, et devraient pouvoir être réanimées à l’avenir ».
Les tardigrades ont été entreposés dans une « bibliothèque lunaire », un appareil de nanotechnologie semblable à un DVD et contenant des archives de 30 millions de pages de l’histoire humaine consultables au microscope, ainsi que de l’ADN humain.
Celui-ci aurait aussi sûrement résisté à l’accident selon M. Spivack, mais ne serait pas lui le premier code génétique ni la première forme de vie à se déposer sur le corps céleste, précédé par l’ADN et les microbes contenus dans la centaine de sacs d’excréments et d’urine laissés par les astronautes américains lors des alunissages des fusées Apollo de 1969 à 1972.
L’engin avait correctement entamé son alunissage, mais à quelques kilomètres de sa destination, le moteur principal a rencontré des problèmes techniques, et l’engin n’a pas pu ralentir à temps pour se poser en douceur.
« Pendant les premières 24 heures, nous étions sous le choc », raconte Nova Spivack à Wired. « D’une certaine manière, nous nous attendions à ce que ce soit une réussite. Nous savions qu’il y avait des risques, mais nous ne pensions pas qu’ils étaient significatifs. »
Cependant, il pensait que l’archive avait probablement survécu au crash, au moins partiellement, et que les tardigrades pouvaient potentiellement se réveiller de leur état végétatif.
La sonde a coûté 100 millions de dollars, soit bien moins que ce que les engins envoyés sur la Lune par les grandes puissances – Etats-Unis, Russie, Chine – ont coûté.
Le projet Bereshit relevait d’une initiative conjointe de l’entité à but non lucratif israélienne SpaceIL et d’Israel Aerospace Industries, financée presque entièrement par de célèbres philanthropes juifs, dont Morris Khan, Miriam et Sheldon Adelson, Lynn Schusterman et d’autres.
En 2017, la trame de la série de science-fiction « Star Trek : Discovery » portait sur un tardigrade géant utilisé pour naviguer dans l’espace. On ignore si les prochaines missions israéliennes seront réalisées par des tardigrades.
Pas de mission de sauvetage
Aussi connus sous le nom d’ourson d’eau, ces animaux à huit pattes qui ressemblent à des larves, peuvent vivre dans l’eau ou sur terre, survivre à des températures allant de 150 à -272 degrés Celsius, à des pressions quasi-nulles dans l’espace ou à l’écrasement de la fosse des Mariannes et revenir à la vie après avoir été asséchés pendant des décennies.
S’ils n’ont pas été décimés par une explosion, ils pourraient en théorie survivre aux conditions de vie de la surface lunaire, des températures extrêmes et une pression minuscule, a affirmé à l’AFP William Miller, un expert en tardigrades à l’université Baker, dans le Kansas.
« Mais pour devenir actifs, pour grandir, se nourrir et se reproduire, il leur faudrait de l’eau, de l’air et de la nourriture », ce qui rend la formation d’une colonie de ces bêtes impossible, a-t-il précisé.
L’astrobiologiste de la NASA Cassie Conley estime que leur temps de survie exact dépendra de l’état du site de l’impact et des températures auxquelles ils sont exposés.
« S’ils n’ont pas trop chaud, il est possible qu’ils puissent survivre assez longtemps (plusieurs années) », a-t-elle indiqué à l’AFP.
« Je craindrais davantage que les animaux soient affectés par les produits chimiques toxiques de l’époxy ou de la colle » utilisée pour les stocker, plutôt que par les conditions dans l’espace, a-t-elle ajouté.
Mais même si les créatures survivent pendant plusieurs années, aucune mission en équipage n’est prévue sur la Lune avant le programme Artémis de la NASA en 2024 au pôle sud – loin du site de l’accident de Bereshit dans la Mer de la Sérénité, les animaux ne rentreront donc probablement jamais à la maison.
« Il est peu probable qu’ils soient sauvés à temps, alors je pense que, même s’ils survivent, ils sont condamnés », a assuré à l’AFP Rafael Alves Batista, physicien de l’université de Sao Paulo, coauteur d’un article sur la résistance extrême des tardigrades, en 2017.
L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.