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Comment Frances Perkins a discrètement aidé les réfugiés juifs fuyant les nazis

Un nouveau livre révèle, 60 ans après sa mort, le rôle méconnu de la secrétaire d’État au Travail dans la défense des réfugiés de la Shoah aux États-Unis

La ministre du Travail Frances Perkins coud la première étiquette Blue Eagle sur une robe lors d'une cérémonie marquant l'inauguration de l'étiquette de code de la National Recovery Administration (NRA) pour les robes de femmes à New York City, le 22 janvier 1934. (Crédit : AP)
La ministre du Travail Frances Perkins coud la première étiquette Blue Eagle sur une robe lors d'une cérémonie marquant l'inauguration de l'étiquette de code de la National Recovery Administration (NRA) pour les robes de femmes à New York City, le 22 janvier 1934. (Crédit : AP)

BOSTON, Massachusetts – Les cinéphiles des années 1980 se souviendront peut-être que Frances « Baby » Houseman, héroïne du film Dirty Dancing, tenait son prénom de Frances Perkins, secrétaire américaine au Travail sous le président Franklin Delano Roosevelt. Un livre récemment publié révèle que Frances Perkins, qui est décédée un 14 mai, il y a 60 ans, était une véritable pionnière.

Première femme nommée membre du cabinet d’un président des États-Unis, elle a marqué l’histoire par sa longévité à la tête du département du Travail et par son rôle-clé dans les grandes réformes sociales de l’époque, notamment la mise en place de la sécurité sociale. Un aspect de son parcours reste pourtant largement méconnu : son engagement en faveur des réfugiés d’Hitler.

Selon l’historienne Rebecca Brenner Graham, le lobbying silencieux de Perkins aurait permis de sauver des dizaines de milliers de vies, et notamment des réfugiés juifs. À partir de 1938, après la Nuit de Cristal, de nombreuses personnes désespérées de quitter l’Allemagne lui écrivaient des lettres poignantes. Beaucoup débutaient par les mêmes mots : « Dear Miss Perkins » — des mots qui donnent aujourd’hui leur titre à l’ouvrage de Graham : Dear Miss Perkins: A Story of Frances Perkins’s Efforts to Aid Refugees from Nazi Germany, (Chère Miss Perkins : histoire des efforts de Frances Perkins pour aider les réfugiés de l’Allemagne nazie) publié cette année chez Citadel.

« Avant la parution de mon livre, ce chapitre de son engagement était largement ignoré », a déclaré Graham au Times of Israel. « Et de manière générale, cette histoire n’est pas très joyeuse. La plupart de ces gens n’ayant, bien sûr, pas obtenu l’asile. »

Les efforts de Perkins étaient pourtant très variés, allant de projets d’accueil d’enfants réfugiés à une tentative avortée de réinstallation d’émigrés juifs en Alaska. Parmi ses initiatives majeures figure aussi la réforme administrative qui, à sa demande, a conduit à la fusion des bureaux de l’immigration et de la naturalisation : le 10 juin 1933 naissait ainsi le Service de l’immigration et de la naturalisation (INS). L’agence sera transférée au Département de la Justice en 1940, avant d’être démantelée après le 11 septembre 2001, ses fonctions étant alors réparties entre trois nouvelles entités placées sous l’autorité du tout nouveau Department of Homeland Security.

Rebecca Brenner Graham est actuellement en tournée pour promouvoir son livre. Le 20 mars, elle est intervenue au Temple Israel de Boston, l’une des plus anciennes congrégations réformées du pays. La conférence était animée par James Roosevelt, petit-fils de Franklin D. Roosevelt, qui a occupé des postes de direction au sein du Parti démocrate et dans le secteur des soins de santé.

Assis autour d’une table sur une scène d’auditorium, sur de simples chaises en bois, ils ont échangé sur le sens du titre Dear Miss Perkins et les lettres que la secrétaire d’État recevait de la part des réfugiés. Mais la discussion a aussi évoqué un autre type de courrier : celui, haineux, envoyé par des Américains outrés par son plaidoyer en faveur des étrangers.

Frances Perkins, secrétaire au Travail (Secretary of Labor), est assise au premier rang, à droite, lors d’une réunion de cabinet préside par le président Franklin D. Roosevelt, à la Maison Blanche, le 27 septembre 1938. (Crédit : AP)

« Il existait alors de nombreuses forces sociales fanatiques… toutes sortes de courants haineux et extrémistes qui se recoupaient », a déclaré Rebecca Graham lors de la conférence.

Et d’ajouter : « Les messages de haine qu’elle recevait ressemblent à s’y méprendre à des messages sur Twitter (aujourd’hui X). »

Chercheuse post-doc à l’université Brown, à Providence, Rebecca Graham consacre ses recherches à Frances Perkins depuis ses études de premier cycle. Toutes deux sont diplômées du Mount Holyoke College, un établissement réservé aux femmes dans l’ouest du Massachusetts. C’est là que Graham a obtenu un stage en lien avec Perkins, qui a servi de point de départ à son mémoire de licence.

Rebecca Brenner Graham, auteure de « Dear Miss Perkins » (Crédit : Andrew Lehto)

« L’argument central de mon mémoire, c’était l’histoire d’une femme progressiste confrontée aux forces les plus sombres de la société américaine : le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, mais aussi la misogynie et la résistance au New Deal », explique Graham. « Tous ces éléments étaient autant d’obstacles à ses efforts pour aider les réfugiés. »

Graham s’est prise de passion pour l’engagement de Perkins en faveur des réfugiés, une fascination qui ne l’a jamais quittée. Même après avoir obtenu son diplôme à Mount Holyoke et soutenu une thèse de doctorat consacrée à l’histoire postale des États-Unis, centrée sur la distribution du courrier le dimanche, elle est finalement revenue à son sujet d’origine.

Frances Perkins à travers le regard d’une historienne milléniale

Dans Dear Miss Perkins, Graham retrace la vie de la secrétaire au Travail à travers une lecture contemporaine, en intégrant des questions de race, de classe, de religion et d’identité ethnique. Elle s’interroge sur le parcours d’une jeune fille de la haute société épiscopalienne de la Nouvelle-Angleterre devenue l’une des principales avocates des droits des travailleurs et des immigrants.

Diplômée de Mount Holyoke en 1902, Perkins s’est d’abord portée volontaire à Hull House, l’initiative sociale fondée par Jane Addams pour aider les populations pauvres de Chicago. En 1911, elle s’installe à New York et assiste, impuissante, à l’incendie meurtrier de l’usine Triangle Shirtwaist, dans lequel périssent des ouvrières immigrées en raison de conditions de travail désastreuses. Cet événement marquant renforcera sa détermination. Elle finira par occuper le poste de secrétaire au Travail de l’État de New York sous les gouverneurs Al Smith et Franklin D. Roosevelt, avant d’être nommée au niveau fédéral.

Frances Perkins (au centre), secrétaire au Travail, portant un casque lors d’une visite d’inspection de la tour du Golden Gate Bridge à San Francisco, le 25 mars 1935. (Crédit : AP)

« Elle s’inscrivait dans un mouvement social féminin plus vaste », explique Graham, « marqué notamment par son bénévolat à Hull House et par le traumatisme de l’incendie de l’usine Triangle Shirtwaist, dont elle fut témoin. »

« Le mouvement ouvrier féminin différait du mouvement ouvrier masculin, qui avait souvent des tendances anti-immigrés », poursuit-elle. « [Perkins] avait un parcours marqué par la réforme sociale et le travail social, des domaines dans lesquels elle était en contact direct avec de nombreux immigrés » — parmi lesquels des Juifs, dont l’activiste Cecilia Razovsky, qui devint l’une de ses alliées.

Au sein de l’administration Roosevelt, après avoir convaincu FDR de fusionner les bureaux de l’immigration et de la naturalisation, Perkins « voulait aller plus loin et réformer l’INS », explique Graham. Elle souhaitait notamment « aider les gens à immigrer aux Etats-Unis, tant les Juifs que les non-Juifs. Dans les faits, il y a eu, au printemps 1933, lorsque Hitler est arrivé au pouvoir en Allemagne, un véritable afflux de demandes émanant d’immigrés juifs. Ce sont eux qui étaient en danger à ce moment-là. ».

Décrivant les persécutions en Europe, un homme juif explique à un employé de la Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS) à New York qu’il souhaite faire venir sa fille de Pologne aux États-Unis, le 24 novembre 1933. (Crédit : AP)

À cette époque, la politique migratoire américaine avait basculé dans un repli fortement restrictionniste, culminant avec la loi Johnson-Reed de 1924, qui introduisait des quotas stricts limitant l’immigration. Ce cadre législatif ne sera véritablement modifié qu’en 1965, l’année même de la mort de Frances Perkins, avec l’adoption de l’Immigration Act.

Depuis la Maison Blanche, Perkins a dû affronter une opposition farouche, notamment de la part du Département d’État, hostile à toute ouverture migratoire. Elle a également été la cible d’accusations d’indulgence envers le communisme, qui ont conduit à une procédure de destitution. Bien qu’elle n’ait pas abouti, cette procédure a gravement entravé son plaidoyer en faveur des réfugiés.

Deux immigrants, parmi les passagers en provenance d’Europe. L’homme n’est pas identifié, tandis que la femme, Margaret Lubac, originaire de Prague, en Tchécoslovaquie, débarque avec un gros paquet du paquebot Queen Mary à New York le 17 novembre 1938. (Crédit : AP)

Sauver les von Trapp

Graham nous apprend dans les pages de son ouvrage combien les efforts de Perkins en faveur des réfugiés étaient résolus et systématiques. Elle allégea les restrictions d’entrée aux États-Unis et prolongea les visas temporaires de nombreux immigrés déjà présents sur le sol américain, estimé à plus de 10 000 personnes.

Consciente que l’opinion publique américaine était particulièrement hostile à l’accueil d’adultes réfugiés, Perkins tenta d’émouvoir davantage en insistant sur le sort des enfants. Une initiative ultérieure à laquelle l’INS participa aurait ainsi permis de sauver plusieurs centaines d’enfants réfugiés.

Des Juifs ayant fui l’Allemagne dans un camp de réfugiés à Diepoldsau, en Suisse, le 15 septembre 1938. (Crédit : AP)

« La philosophie du programme, c’était que cela valait la peine, même pour un seul bateau, un seul enfant. Sauver une vie, c’était déjà une victoire », explique Graham.

Parmi les familles aidées par Perkins figure une famille non juive, rendue célèbre par la comédie musicale The Sound of Music : les von Trapp, fuyant l’Autriche nazie. Graham consacre un chapitre à leur histoire, démêlant les faits de la fiction et confie avoir été surprise d’apprendre que contrairement à ce qu’elle pensait, les von Trapp n’étaient pas Juifs.

Le livre revient aussi sur une tentative avortée de réinstallation de réfugiés juifs en Alaska. Si le romancier Michael Chabon a imaginé ce que cela aurait pu donner dans The Yiddish Policemen’s Union, le projet réel ne franchira jamais le cap du Congrès. Graham souligne que ce plan aurait introduit des Juifs européens dans un contexte social déjà complexe, mêlant colons anglo-américains et populations autochtones d’Alaska, sur un territoire isolé et difficile d’accès.

Dear Miss Perkins de Rebecca Brenner Graham. (Crédit : Autorisation)

Le livre consacre un chapitre entier aux lettres Dear Miss Perkins que Perkins a reçues, et à l’histoire plus large de celles et ceux qui ont sollicité de l’aide. Les récits qu’on y trouve vont du plus heureux au plus tragique. Il y a par exemple, Felix Weinheber, un Autrichien qui se trouvait aux États-Unis avec un visa temporaire, et dont les chances de prolonger son séjour étaient faibles. Il a fini par trouver un autre moyen de rester horsd’Europe, par le biais du Mexique. Il épousa une immigrante, et fit carrière à Hollywood sous le nom de Felix Wayne.

La famille Langer, en revanche, n’a pas eu cette chance. En 1939, les trois membres de cette famille tchèque, une mère et ses deux enfants, se sont suicidés, terrassés par l’angoisse d’une expulsion imminente. Titulaires de visas temporaires, ils redoutaient d’être renvoyés en Tchécoslovaquie, tombée aux mains d’Hitler plus tôt dans l’année.

Pour mesurer la force du rejet de l’immigration dans l’opinion américaine, il suffit de lire les passages du livre consacrés au courrier de haine reçu par Perkins, souvent rempli d’invectives antisémites.

« Les auteurs de ces lettres se présentaient comme de bons contribuables — une façon pour eux de revendiquer leur légitimité à s’opposer publiquement à la politique migratoire », explique Graham.

« Ils se considéraient comme de ‘véritables’ Américains et s’organisaient en groupes d’intérêts, à l’image des mouvements progressistes. Mais leur but était de défendre une certaine vision de l’Amérique : blanche, chrétienne, enracinée dans l’histoire nationale depuis la Révolution américaine, voire depuis l’époque coloniale. »

Des réfugiés d’Europe saluent le drapeau américain alors qu’ils étudient pour les examens de citoyenneté à New York, le 22 novembre 1938. (Crédit : John Lindsay/AP)

En 1940, Perkins est écartée de la gestion des affaires migratoires. Le contrôle de l’INS passe du ministère du Travail à celui de la Justice, et cette même année, les lettres Dear Miss Perkins cessent d’affluer.

« En fin de compte, c’est une histoire triste », reconnaît Graham. « Mais il est important de rappeler le rôle qu’elle a joué en trouvant des solutions créatives à l’intérieur du système pour tenter d’aider. »

Dear Miss Perkins: A Story of Frances Perkins’s Efforts to Aid Refugees from Nazi Germany, par Rebecca Brenner Graham

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