Comment l’alliance US-Israël fait désormais partie de la politique partisane américaine
Trois experts intervenant au Sommet national du Conseil israélo-américain s'expriment sur le soutien bipartisan autrefois sacro-saint à l'État juif à Washington et ce qui a changé
WASHINGTON – Lors de la plus grande conférence annuelle pro-Israël aux États-Unis, voire dans le monde entier, l’ancien envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, Dennis Ross, a déclaré que le soutien des États-Unis à Israël était confronté à des défis importants.
S’exprimant lors de l’une des 40 sessions les plus suivies du Sommet national 2024 du Conseil israélo-américain, qui s’est tenu pendant trois jours à Washington, Ross a exposé son point de vue sur les divergences actuelles entre Jérusalem et Washington. Il a souligné que depuis des dizaines d’années, malgré un fort consensus bipartisan, il y a de nombreux différends et écarts de politique entre les gouvernements américain et israélien, et ce, même avec les administrations américaines particulièrement proches d’Israël.
« Aujourd’hui, l’un des principaux défis est démographique », a déclaré Ross, qui enseigne dans des universités américaines et dont le livre Doomed to Succeed, paru en 2015, examine les relations entre les États-Unis et Israël depuis la création de ce dernier en 1948.
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« La jeune génération de ce pays n’a pas été formée sur la base de conceptions et de souvenirs d’Israël. Les Palestiniens ont eu pour stratégie de se poser en victimes et de mettre l’accent sur la victimisation… Le problème, quand on fait de la victimisation une stratégie, c’est qu’elle garantit que l’on sera toujours une victime. C’est cette imagerie de la victimisation palestinienne que l’on voit sur les campus », a affirmé Ross.
Ross, chercheur émérite à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, était l’un des trois panélistes de la session de l’IAC intitulée « L’alliance États-Unis-Israël : Aujourd’hui et demain », qui s’est tenue le 21 septembre sur fond d’inquiétude croissante concernant l’érosion du soutien accordé à Israël aux États-Unis. Michael Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, et Victoria Coates, experte en sécurité nationale et en politique étrangère à la Heritage Foundation, se sont joints à lui lors d’une discussion animée par Yuna Leibzon, correspondante en chef aux États-Unis pour la chaîne d’information israélienne N12.
Oren estime, lui, que le soutien bipartisan parmi les démocrates et les républicains est un intérêt stratégique national pour Israël.
« Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver ce caractère bipartisan », a affirmé Oren lors de la session. » Cela devient un défi particulièrement aigu, en pleine année électorale, avec des États pivots comme le Michigan, où une grande partie de la population est loin de raffoler de l’État juif et reproche à l’administration d’être trop pro-Israël, et même au New York Times. Il existe également des décideurs politiques au sein de l’administration actuelle qui sont déterminés, à tout prix, à ne pas laisser les États-Unis être entraînés dans un conflit régional. Cela a des incidences sur les relations américano-israéliennes en cette période très critique ».
Lors de son discours à l’événement d’ouverture de la conférence, où il a été accueilli avec enthousiasme par une foule de 3 000 personnes, principalement des Américano-Israéliens, l’ancien président américain Donald Trump a donné une description très partisane de l’implication des États-Unis avec Israël. Il a dénoncé sa rivale, la vice-présidente Kamala Harris, comme un danger mortel pour l’avenir d’Israël et a critiqué tout Juif qui aime Israël et vote démocrate comme un « idiot », disant « vous devriez faire examiner votre tête, » écho à des déclarations précédentes.
Coates, ancienne conseillère adjointe à la sécurité nationale de Trump, est une fervente défenseure du soutien des États-Unis à Israël en tant que question non partisane. « Cela devrait être bipartisan, » a-t-elle dit à l’audience, qui a fréquemment applaudi les trois panélistes. « Une partie de mon travail consiste à établir un cas factuel sur pourquoi la relation États-Unis-Israël est un énorme avantage que nous institutionnalisons… C’est vraiment mon objectif pour l’avenir. Je suis chrétienne. J’ai mes raisons d’aimer Israël mais ce n’est pas pour cela que je soutiens cette alliance. C’est dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis. »
Sa recommandation a été approuvée par Dennis Ross, qui a souligné « qu’il est facile pour les gens de se concentrer uniquement sur les frictions du moment » et de perdre de vue l’image globale.
« J’aime la notion d’institutionnalisation », a dit Ross. « Jusqu’à l’administration Reagan, le soutien apporté à Israël reposait sur des valeurs et non sur des intérêts. J’ai été l’un des auteurs de la coopération stratégique. Le principe de cette coopération était de dire que, oui, nous aurons toujours des valeurs communes qui constituent le pilier de nos relations. Cela ne doit en aucun cas être remis en cause. Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient. C’est un fait. C’est pour cette raison que nous nous engagerons toujours et que nous devrions toujours nous engager envers Israël. Mais il est aussi plus facile de rationaliser parfois, de rappeler aux gens, qu’Israël constitue également un intérêt de sécurité nationale pour les États-Unis ».
Avant la conférence de l’IAC, Oren a passé plusieurs jours à Washington avec une délégation de résidents du nord d’Israël déplacés de leurs maisons depuis octobre dernier en raison des bombardements du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah depuis le Liban. Le groupe a rencontré des membres démocrates et républicains du Congrès et a également eu une réunion à la Maison Blanche.
« L’un des messages que nous avons apportés, et que tout le monde ne veut pas entendre », a déclaré Oren à l’audience, « c’est qu’Israël est en guerre régionale depuis le 8 octobre ».
Jusqu’à l’administration Reagan, le soutien apporté à Israël reposait sur des valeurs et non sur des intérêts
Ayant grandi aux États-Unis et représenté plus tard Israël à Washington, Oren comprend le paysage politique américain et son impact sur les relations entre les deux alliés.
« L’une des transformations qui a été affectée par les élections est ce que j’appelle la politique du ‘mais’ au soutien américain à Israël », a expliqué Oren. « Nous soutenons le droit d’Israël à exister et à se défendre, mais cela dépend de la manière dont il le fait. Nous soutenons le droit d’Israël à exister et à se défendre, mais cela doit aller de pair avec la création d’un État palestinien. Nous soutenons le droit d’Israël à se défendre et à exister, mais il faut mettre fin à cette guerre et libérer les otages. »
« Tout ceci est déjà problématique en soi, et tous ces ‘mais‘ ne sont probablement pas réalisables, ce qui confère au soutien à Israël un caractère très troublant. Ce sera le grand défi pour ceux qui, comme moi, cherchent à maintenir le bipartisme », a indiqué Oren.
L’influence excessive des universités a été évoquée à plusieurs reprises au cours de la discussion.
« Cette année, j’interviendrai dans 20 universités à travers le pays », a indiqué Ross. » Je sais ce que je vois quand j’y suis. Il y a un réservoir de désinformation et, malheureusement, une grande partie de cette désinformation provient des facultés et requiert des efforts considérables pour défendre la cause [d’Israël]. Un combat doit être mené au sein des universités. Un petit pourcentage d’entre elles sont très activistes et leur opposition à l’existence d’Israël fait partie de leur identité. On ne peut pas les persuader. La grande majorité des étudiants sont ignorants et doivent être informés, et parce qu’ils ont une sorte de curiosité, ils peuvent être persuadés ».
Il a ajouté qu’Israël devait également jouer son rôle.
« Israël a la responsabilité de nous aider à défendre notre cause », a-t-il insisté. « Les Américains ne peuvent pas être les seuls à croire en cette relation. Israël a également la responsabilité de tendre la main et de raconter son histoire. Il doit s’adresser aux plus jeunes ici ».
Il existe un réservoir de désinformation et, malheureusement, une grande partie de celle-ci provient des facultés
Oren, ancien membre de la Knesset dont le livre de 2016, Ally, était sous-titré « My Journey Across the American-Israeli Divide » (Mon voyage à travers le fossé américano-israélien), a évoqué le rôle des universités et le défi que représente le changement d’opinion dans le monde universitaire.
« Nous n’avons pas créé le wokisme, l’intersectionnalité et la théorie critique de la race, mais nous sommes pourtant les destinataires d’un grand nombre de ces idées », a-t-il déclaré. « Nous devons faire preuve d’humilité quant à l’impact que nous pouvons avoir. Cela ne nous dispense pas de l’impératif de lutter, à la fois dans les universités et dans les médias. Même s’il y a une chance de changer l’esprit d’un petit groupe, il est impératif de le faire. Vous allez vous battre parce que cela impacte également la politique américaine car les personnes qui élaborent ces politiques regardent ces canaux. Les manifestations sur le campus ont, je pense, une attraction gravitationnelle exagérée sur la politique. Vous ne pouvez donc pas vous permettre de les ignorer ».
Lorsqu’on lui a demandé comment le monde arabe perçoit les liens actuels entre les États-Unis et Israël, Coates a souligné la frustration arabe.
« J’ai entendu de certains partenaires arabes dans la région qu’ils compatissaient réellement avec les Israéliens, que c’est ainsi lorsque l’Amérique n’est pas totalement avec vous, » a-t-elle déclaré. « Je pense que le monde arabe est quelque peu confus face à toutes ces manifestations anti-Israël à New York, Los Angeles et Londres alors que ce que l’on appelle la « rue arabe » est remarquablement calme. C’est une juxtaposition étonnante et ils sont quelque peu déconcertés, mais en même temps, ils sont toujours ouverts à l’élargissement des accords de paix et de la coopération.
Si nous sommes perçus comme l’emportant sur le Hamas et le Hezbollah, les chances de paix seront grandement accrues
Oren estime que le conflit actuel peut contribuer à déterminer les perspectives de paix.
« Les gens doivent comprendre que si nous gagnons cette guerre, quelle que soit votre définition de la victoire, si nous sommes perçus comme l’emportant sur le Hamas et le Hezbollah, les chances de paix seront considérablement accrues », a indiqué Oren. « C’est tout le contraire de ce qu’ils disent dans les universités, à savoir que nous nuisons à la paix. Et, John Lennon, quelque part au ciel, pardonne-moi, mais nous devons donner une chance à la guerre. »
Dans une interview accordée au Times of Israel à l’issue de la session, Ross a fait part de son inquiétude quant à l’avenir des relations entre les États-Unis et Israël.
« Personne ne devrait considérer cette relation comme acquise », a-t-il déclaré. « A une époque où les Etats-Unis soutiennent Israël et sont critiqués par une grande partie du monde pour cela, les Israéliens doivent garder cela à l’esprit. »
« Les Israéliens doivent comprendre tout ce que les États-Unis ont fait pour eux au cours de l’année écoulée. Ils devraient être plus démonstratifs [dans leur appréciation]. Parfois, lorsque j’entends certaines personnes critiquer les États-Unis en disant qu’ils devraient en faire plus pour Israël, elles devraient se souvenir de tout ce que les États-Unis ont fait », a affirmé Ross.
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