Des Israéliens rentrent chez eux par la mer, pour une odyssée entre guerre et sirènes
Les voyages en avion étant incertains, des personnes bloquées à Chypre ont opté pour un passage par la mer - mais ce long voyage a pu s'avérer périlleux

Sous le soleil brûlant de la méditerranée, la marina d’Herzliya semblait inhabituellement calme en cette journée de lundi – avec ses restaurants vides, ses magasins fermés et ses promenades silencieuses. Pourtant, au bord de l’eau, il y a beaucoup d’activité. Des bateaux arrivent au port ou le quittent, ramenant par la mer les Israéliens qui sont restés bloqués à l’étranger.
« Cette semaine, il y a eu davantage de bateaux qui ont quitté la marina que pendant une année normale », explique Kobi Koriat, qui est le gérant du Sailor Yacht Club, au port. « Nous travaillons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un aller, un retour… Ça ne s’arrête jamais. »
Au cours des douze derniers jours, alors que l’espace aérien israélien était fermé à tous les vols – sauf exception – dans un contexte de guerre entre Israël et l’Iran, un nombre croissant des 100 000 Israéliens environ qui se retrouvaient bloqués à l’étranger se sont tournés vers une traversée de la Méditerranée pour pouvoir retourner sur le sol israélien, au cours d’un voyage d’une durée de 24 à 30 heures à bord de voiliers privés ou de yachts pilotés par des skippers expérimentés.
Lundi après-midi, peu après 13 heures, l’un de ces bateaux est revenu de Chypre avec trois personnes à son bord. Après avoir passé la douane et le contrôle des passeports, les passagers remettent le pied sur le sol israélien, épuisés mais soulagés.
Parmi eux se trouve Meital Waiss, qui est coach personnel et qui fait des déplacements fréquents Israël et la Grèce, où elle anime des ateliers de travail. Lorsqu’un rapatriement en avion est devenu improbable, elle a préféré rentrer en bateau plutôt que de prendre un vol à destination de la Jordanie et de tenter de passer par voie terrestre.
« J’avais le choix entre voyager en avion, via Aqaba, ou voyager en yacht », explique Waiss. Elle-même étant skipper diplômée, la décision a été évidente. « Pour moi, la mer reste toujours préférable. »

Waiss raconte avoir dormi profondément pendant le voyage – non pas malgré la guerre, mais grâce à cette dernière.
« J’ai dormi parce que j’ai compris qu’ici, en Israël, les gens ne dorment pas », indique-t-elle, évoquant les tirs de missiles et les sirènes d’alerte qui ont retenti toutes les nuits.
Selon Waiss, les vagues sont devenues plus fortes vers la fin du voyage de 26 heures.
« J’ai eu un peu la nausée », dit-elle, « mais les membres de l’équipage sont des professionnels. Je me suis sentie très en sécurité. »
Elle ajoute que l’ambiance a été étonnamment agréable : séances de bronzage sur le pont, avec de la musique ; des boissons fraîches à volonté, comprises dans le prix de la traversée.
« C’était comme un voilier de luxe », explique-t-elle, ajoutant que plusieurs autres personnes qui avaient prévu de prendre le bateau avaient annulé à la dernière minute pour essayer de prendre l’avion, ignorant que de nombreux vols seraient bientôt annulés en raison de la fermeture de l’espace aérien israélien après la frappe lancée par les États-Unis à l’encontre des installations nucléaires iraniennes.
Une autre approche
Depuis le début de la guerre, le Sailor Yacht Club a été submergé de demandes visant à faire entrer ou sortir des Israéliens ou des étrangers de l’État juif.

« La situation, c’est qu’il y a eu un nombre énorme de demandes de personnes qui voulaient quitter Israël ou qui voulaient y retourner », explique Koriat. « Nous recevons des centaines de demandes par jour. » Certaines proviennent des réseaux sociaux, d’autres du bouche-à-oreille ou encore de groupes WhatsApp qui mettent en relation les voyageurs et les skippers.
Sailor a effectué jusqu’à présent une dizaine de voyages aller-retour. Chacun dure environ quatre jours, en comptant le ravitaillement et le temps passé au port. Le prix d’un billet aller simple varie entre 1 000 et 4 000 shekels en fonction du nombre de passagers et du coût des provisions et du carburant.
Si, au début, les passagers étaient autant ceux qui voulaient partir que ceux qui voulaient rentrer, Koriat fait remarquer que la demande a évolué depuis la mise en place des vols de rapatriement, à la fin de la semaine dernière.
« Aujourd’hui, les gens sont plus nombreux à vouloir partir qu’à désirer rentrer », précise-t-il.
Certains de ceux qui montent à bord des bateaux le font faute d’autre solution.
« Ce voyage ne convient pas à tout le monde », s’exclame-t-il. « S’il s’agit d’une première expérience en mer, il y a de fortes chances qu’ils ne veuillent pas la renouveler. » Les passagers inexpérimentés sont souvent victimes du mal de mer, de la peur et de la fatigue psychologique.

C’est la raison pour laquelle Sailor s’efforce de rendre cette expérience aussi agréable que possible.
« Jusqu’à présent, nous avons reçu d’excellents retours », fait savoir Koriat.
Il salue les services de contrôle aux frontières, les douanes et les autorités du port de plaisance d’Herzliya qui ont aidé à fluidifier le processus, et ce malgré les contraintes liées à la guerre.
« J’ai l’impression d’avoir survécu au Titanic »
Le bateau qui a ramené Waiss à bon port était piloté par la capitaine Katya, une navigatrice chevronnée qui compte cinq ans d’expérience au yacht club. Elle est membre du club de voile féminin Nashit (un jeu de mots en hébreu entre les mots « féminin » et « voile »).
Les femmes skippers sont rares dans un secteur largement dominé par les hommes tant il est physiquement exigeant. Mais Katya est devenue une figure de proue parmi les équipages du Sailor.
« Elle a plus de virilité que nos skippers masculins », s’amuse Koriat.

Malgré la guerre, le voyage de retour s’est majoritairement déroulé dans le calme, même s’il n’a pas été sans complications. En raison du brouillage des GPS par l’armée israélienne, les applications de navigation sont devenues peu fiables, localisant souvent les utilisateurs dans des pays voisins, qu’il s’agisse de Beyrouth ou du Caire. Ce brouillage vise à empêcher les attaques de drones iraniens guidés par GPS, notamment via la Méditerranée, mais il peut également rendre plus difficile la navigation pour les skippers qui tentent de trouver leur chemin à travers le grand bleu.
Plusieurs traversées se sont terminées par des appels au secours lancés aux services d’urgence.
Selon Ynet, les unités maritimes de la police ont été appelées dimanche pour porter assistance à un navire en détresse qui transportait neuf Israéliens, dont un enfant et une femme âgée, après que son mât s’est brisé alors qu’il tentait de traverser la Méditerranée, depuis Chypre. Le bateau, privé de puissance et hors de contact radio, dérivait au large des côtes lorsque les patrouilles de police ont localisé et évacué les personnes qui se trouvaient à son bord.
Un incident similaire s’était produit quelques jours plus tôt, lorsque la marine israélienne avait secouru 14 passagers, dont dix enfants, à bord d’un autre yacht qui était, lui aussi, tombé en panne.

Le commissaire principal Ran Vered, qui dirige la division maritime de la police israélienne pour l’ouest de la méditerranée, met en garde : Ces traversées improvisées comportent de graves risques.
« Naviguer de Chypre à Israël sur un voilier prend 24 heures, c’est un voyage long et éprouvant pour ceux qui ne sont pas habitués à la mer », dit-il. « Il y a un danger évident et immédiat pour la vie humaine. »
Gleb Smirnov, un photographe de 34 ans originaire de Holon, a fait partie des passagers qui ont été secourus dimanche. S’adressant à Ynet, il a raconté avoir pris la barre lui-même après que le skipper s’est endormi, entendant le mât se briser, quelques heures plus tard.
« Je ne remettrai plus jamais les pieds sur un yacht », dit-il. « Honnêtement, j’ai l’impression d’avoir survécu au Titanic. »

Retour au pays des sirènes
Alors que de nombreux Israéliens bloqués ont choisi de rentrer à bord de yachts ou de voiliers privés, d’autres solutions maritimes à plus grande échelle ont également été mises en place. Le 16 juin, Mano Maritime a affrété deux croisière spéciales, en coordination avec le ministère israélien des Transports, pour rapatrier les Israéliens au départ de Chypre.
Dimanche, une directive du Commandement du Front intérieur émise en réponse à une attaque de missiles iraniens a retardé l’arrivée au port d’Ashdod de l’un de ces navires, à bord duquel 1 800 passagers revenaient de Chypre.
De la même manière, le 17 juin, une croisière organisée par Mano a évacué d’Israël vers Chypre quelque 1 500 participants au programme Birthright Israel. Ce trajet était resté confidentiel, pour des raisons de sécurité.
Waiss explique avoir d’abord appris l’existence de ces rapatriements par voie maritime via un groupe WhatsApp destiné aux skippers.
« J’ai reçu quelques offres. Celle de Sailor m’a semblé être la plus reconnue et la plus sérieuse », a-t-elle déclaré.

Alors que son bateau s’approchait de la côte israélienne, les sirènes d’alerte se sont mises à hurler. Elle a senti une émotion l’envahir.
« J’étais très inquiète », rapporte celle qui suivait le déroulement des conflits depuis la Grèce. « Mes filles – j’ai des triplées de 24 ans -, mes parents, mes frères et sœurs, ils sont tous là. Nous sommes toujours restés en communication. »
Voir Israël se profiler à l’horizon est toujours quelque chose d’émouvant, viscéralement.
« Peu importe ce qui se passe – c’est chez moi », affirme-t-elle. « Ma vie est ici. »
Elle rejoint en courant l’un des autres passagers alors qu’il quittait le bord, et le serre dans ses bras. « Nous nous sommes rencontrés sur le yacht », dit-elle. « Nous ne nous connaissions pas avant. Mais nous resterons certainement en contact. »
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