En pleine guerre, une ola américaine reprend l’atelier de vélos d’une ville arabe chrétienne
Cette grand-mère de 56 ans, fille d'un rabbin orthodoxe de Chicago, apprend sur le tas alors que les propriétaires de l'atelier ont été mobilisés
MAILIYA, Galilée occidentale — La mécanicienne Zippy Schrager examine le vélo d’un client avec la gravité d’un médecin, pointant du doigt la chaîne desserrée, la jante tordue, le pneu crevé.
En cette matinée pluvieuse, Schrager, les cheveux bruns mi-longs sur un pantalon noir et des bottes de travail, s’affaire sur un vélo, entre deux autres choses, pour aider les clients arabes et juifs qui viennent à Ran O’Fan. Cet atelier pour vélos se trouve à l’entrée de Mailiya, village arabe chrétien situé dans les collines de Galilée occidentale.
Schrager – grand-mère de 56 ans et fille d’un rabbin orthodoxe – a immigré en Israël depuis Chicago en 2012. Même si on entend en arrière-plan une chanson gaie de Fleetwood Mac, l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre dernier contre Israël et la guerre qui s’est ensuivie sont toujours présents à l’esprit.
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Dans les deux semaines qui ont suivi le 7 octobre, Schrager était trop effrayée pour se rendre à l’atelier, situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière nord d’Israël avec le Liban et l’armée terroriste du Hezbollah, où les escarmouches sont quasi quotidiennes et où un deuxième front est susceptible de s’ouvrir à tout moment.
Les communautés du nord d’Israël et de Galilée occidentale sont constamment sous le feu des attaques menées par le Hezbollah. Sept soldats et quatre civils ont été tués. Schrager dit se sentir désormais en sécurité : elle s’est habituée aux détonations de l’artillerie israélienne et elle est prête à se réfugier à tout moment dans la pièce sécurisée de la boutique. Jusqu’à présent, elle n’a pas eu à y aller.
Du haut de son mètre cinquante-deux – « Je mesurais 1m57 avant », dit-elle avec nostalgie – Schrager arpente l’atelier de réparation de vélos avec l’énergie de la triathlète et marathonienne qu’elle a été. (Meilleur temps au marathon, 3 :13.) Elle s’arrête un instant pour dire à un client que son vélo sera réparé dans deux jours.
Après le départ du client, elle se confie : « J’aurais pu réparer son vélo sur place, mais parfois les clients restent avec moi. Parfois, ils crient. Ils me donnent les outils à utiliser. Ils pensent que je ne sais pas ce que je fais. »
Mais elle sait très bien ce qu’elle fait.
Selon Ron Boutillier, propriétaire du magasin avec son partenaire, Ran Gefen, « Zippy sait faire toutes les réparations mécaniques de base – et même au-delà ».
Schrager affirme qu’elle ne savait pas comment changer un pneu crevé avant de commencer à travailler là-bas, et Boutillier lui a appris « tout sauf réparer des vélos électriques » au cours des trois dernières années. Alors que Boutillier est maintenant en service de réserve pendant la guerre contre le Hamas qui a commencé le 7 octobre, Schrager est seule dans l’atelier.
Tout en serrant des boulons de vélo, Schrager regarde ses doigts, incroyablement robustes. Ils sont comme des outils.
« J’ai des mains d’homme », dit-elle. « Non, j’ai des mains de garagiste. Mes ongles sont beaux et limés, mais je les salis. »
Certaines personnes disent que ce n’est pas bien pour une grand-mère d’avoir des mains comme les siennes. Ou elles lui demandent si son mari est d’accord.
« Ça ne le dérange pas », leur dit-elle. « Je peux encore lui gratter le dos. »
Schrager a toujours été rebelle. Elle a grandi à Chicago où son père, Joseph Deitcher, était le rabbin d’Anshe Sholom Bnei Israel, une synagogue orthodoxe moderne. Son père était un « tsadik et un enseignant, une âme douce et gentille qui a marché avec Martin Luther King, Jr. ».
Schrager a fréquenté une école juive privée jusqu’en sixième. Elle aimait jouer dehors et excellait en natation : son père a accepté de la laisser fréquenter une école secondaire publique afin qu’elle fasse partie de l’équipe de natation. Elle s’est préparée aux championnats de l’État, mais n’a pas pu concourir parce qu’ils ont eu lieu le vendredi soir, au début du shabbat.
Schrager, qui a maintenant trois filles et deux petites-filles, respecte toujours le shabbat, mais estime que « la religion s’adresse à tout le monde – il faut simplement suivre les règles. Mais il faut aussi du cœur. »
Lorsqu’elle et son mari, Robert Schrager, qui travaille dans une entreprise de haute technologie à Haïfa, se sont installés en Israël en 2012, ils ont choisi de vivre dans la ville voisine arabo-juive de Maalot-Tarshiha, parce qu’elle se trouve dans les collines, à 10 minutes en voiture de la mer. Lorsque le couple est arrivé, ils ont suivi les cours d’un oulpan en hébreu.
« La chose la plus étonnante que j’ai apprise, c’est que je pouvais rester assise sans bouger cinq heures par jour pendant cinq mois », dit Schrager. Elle peut se débrouiller en hébreu mais préfère parler anglais, que « tout le monde comprend, de toute façon ».
Après l’oulpan, elle a travaillé comme entraîneur sportif, puis chez Curves, une salle de sport entièrement féminine. Les femmes religieuses arabes et juives se sentent plus détendues lorsqu’elles ne s’entraînent qu’avec d’autres femmes, dit Schrager. Lorsque Curves a fermé ses portes, son mari, qui est aussi cycliste, lui a dit que Boutillier cherchait un employé.
Selon Schrager, ce sont surtout des hommes qui viennent à l’atelier. Elle est heureuse quand une femme vient acheter un vélo ou des accessoires. La plupart des clients sont de « bonnes personnes », dit-elle, mais il est difficile de faire face à ce qu’elle appelle la mentalité du Moyen-Orient, lorsque les clients essaient de « me faire baisser le prix » ou de rendre des vélos qu’ils ont déjà utilisés.
« Si vous mangez la moitié d’un hamburger, pouvez-vous le rendre ? », interroge-t-elle.
Schrager dit n’avoir jamais été confrontée à l’antisémitisme à Chicago. Elle dit ne pas vraiment savoir pourquoi elle est venue s’installer en Israël avec les siens. Enfin, jusqu’au 7 octobre, lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont franchi la frontière avec Israël et tué avec une extrême brutalité près de 1 200 personnes – pour la plupart des civils – et fait 240 otages aujourd’hui séquestrés dans la bande de Gaza.
« Cela a tout changé », dit-elle. « Je ne peux toujours pas en parler sans pleurer. Maintenant, je comprends. Je comprends pourquoi nous sommes venus ici. »
« J’ai une amie institutrice », dit Schrager en regardant cet atelier de réparation de vélos très coloré. « Elle voudrait être à ma place, mais c’est impossible parce que j’y suis. J’ai beaucoup de chance. »
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