« Endphase », ou l’histoire d’un massacre dans une petite ville autrichienne en 1945
Le cinéaste Hans Hochstöger a grandi à Hofamt Priel sans savoir que les SS y avaient abattu 200 Juifs hongrois. Aujourd'hui, il veut faire connaitre l'histoire tragique du village
Hans Hochstöger se souvient du village autrichien de Hofamt Priel comme d’un endroit idyllique dans lequel il a grandi, à une heure de Vienne, avec ses fermes qui offrent un paisible contraste avec la capitale autrichienne.
Mais Hochstöger a changé de regard sur la ville qui l’a vu naître depuis qu’il sait ce qui s’y est passé durant la Seconde Guerre mondiale.
En mai 1945, dans les derniers jours de la guerre en Europe, plus de 200 Juifs ont été assassinés à Hofamt Priel. Hochstöger en a fait un film, « Endphase », qui accuse les SS de ce massacre, le plus ignoble peut-être et sans doute le dernier de cette nature dans les environs.
Projeté en Autriche il y a deux ans, le film l’a plus récemment été au Royaume-Uni.
« Nous savions que quelque chose de grave s’était passé dans notre village », explique Hochstöger, 40 ans, qui a travaillé sur ce film avec son frère Tobias Hochstöger, âgé de 30 ans. « Je n’avais aucune idée de l’ampleur du massacre… Et j’étais loin de me douter que cela avait eu lieu si peu de temps avant la fin de la guerre. »
Il parle du manque de sensibilisation sur le massacre à Hofamt Priel, essentiellement en raison d’une certaine forme d’omerta.
« Rares sont les gens qui sont prêts à faire face, à savoir, à parler », confie Hochstöger. Cependant, « Un grand nombre de personnes font en sorte de donner des informations vérifiées sur le massacre. Il y a même des commémorations tous les cinq ans. »
La fin du film fait place à des images d’une cérémonie émouvante, en 2017. Les victimes du massacre ont été inhumées dans le cimetière juif de Sankt Pölten, où leurs restes ont été rapatriés en 1964. Un mémorial donne le nom et honore la mémoire de toutes les victimes – 228 hommes, femmes et enfants -. Il est entretenu par des bénévoles qui allument des bougies et déposent des pierres du souvenir.
Hochstöger parle de sa ville natale comme d’un « un endroit très sympa, avec un sombre passé ».
Ce sombre passé est emblématique de l’histoire des Juifs hongrois lors de la Shoah. Comme l’explique le film, plus de 400 000 Juifs hongrois ont été déportés en 1944, et 80 % d’entre eux, soit 320 000, ont péri peu de temps après leur arrivée à Auschwitz. En Autriche, 15 000 déportés effectuaient des travaux forcés, affectés à la réparation des toits de la ville de Vienne suite aux raids alliés. La position allemande devint intenable à l’approche de l’Armée rouge.
« Ils ont essayé de déporter tous les Juifs affectés au travail forcé à Mauthausen pour les tuer », précise Hochstöger à propos de ce camp de concentration distant de 160 kilomètres, « avant que les Russes ou les Américains ne découvrent ce qu’ils leur avaient fait. En mars et avril 1945, un grand nombre de personnes, des Juifs, ont dû marcher jusqu’à Mauthausen. Fin avril 1945, ils ne pouvaient pas aller plus loin. Mauthausen serait libéré par l’armée américaine quelques jours plus tard. »
Le film explique que les Juifs ont été temporairement logés dans une caserne pour travailleurs d’une centrale électrique sur le Danube, dans la ville voisine de Persenbeug. Selon Hochstöger, une unité SS est arrivée le soir du 2 mai 1945 et a conduit la plupart des Juifs à Hofamt Priel où elle les a abattus, avec l’aide de plusieurs Autrichiens du coin.
« Certaines personnes – des habitants de Persenbeug, pas d’Hofamt Priel – ont pris part à ce massacre », assure Hochstöger. « Nous n’avons pas pu savoir quel était le lien entre ces personnes et l’unité SS, et quelle unité SS avait fait le coup. »
Les derniers témoins
Ce documentaire a pris près de six ans pour émerger. Retrouver des personnes ayant eu une connaissance directe des faits s’est avéré particulièrement difficile, mais les cinéastes sont parvenus à retrouver la trace de Yakov Tibor Schwarz, qui a survécu au massacre à l’âge de 11 ans et vit maintenant avec sa grande famille à Bnei Brak, dans le centre d’Israël.
Ils ont également parlé avec deux Autrichiennes – Barbara Weber et Rosa Forsthofer – qui étaient des enfants à l’époque, et avec Fritz Wiehaim, un Autrichien qui a partagé ses souvenirs après sa captivité dans la Belgique occupée par les Allemands.
Triste ironie du sort, quelques mois après leur témoignage, Marton Kardos, de Hongrie, et Zev Vilmos Klein, d’Israël, deux frères juifs dont la famille a péri dans le massacre sont décédés.
« En tant que cinéaste, cela a été une lourde responsabilité de travailler avec les témoignages des personnes qui apparaissent dans le film », confie Hochstöger.
Le témoignage de Schwarz est particulièrement poignant : il se souvient que sa mère et ses sœurs l’ont laissé seul dans la caserne après avoir été réquisitionnées pour du travail obligatoire qui allait se transformer en aller simple pour Hofamt Priel et la mort.
« Yakov Schwarz m’a dit que sa famille, tout comme lui, savaient la fin de la guerre très proche », précise Hochstöger. « Ils se préparaient à rentrer chez eux en Hongrie. »
Après le massacre, les SS se sont rendus à la caserne et ont ouvert le feu sur les Juifs qui restaient. Schwarz dit avoir été protégé par le corps d’un enfant mort. Cet enfant était Imre Klein, le propre frère de Marton et Zev.
Il explique avoir dit le Kaddish et la prière El Malei Rachamim pour les morts avant de marcher, en compagnie de deux autres survivants, un homme de 60 ans et un jeune homme, jusqu’à la maison de Rosa Forsthofer. Cette dernière l’a accueilli mais a envoyé les hommes chez les Stadler. Schwarz raconte ensuite son improbable odyssée ferroviaire vers la Hongrie, où il a retrouvé son père et son frère, ainsi qu’une autre famille de survivants, les Ungar.
Aujourd’hui, Schwarz et son ami Yona Ungar vivent en Israël – Schwarz à Bnei Brak et Ungar à Haïfa. Les réalisateurs ont interviewé les deux hommes en Israël et tourné les images d’une fête de famille chez les Schwarz, à l’occasion de laquelle un de ses 18 petits-enfants a rendu un hommage émouvant à son grand-père.
Qui a appuyé sur la gâchette ?
De retour en Autriche, les cinéastes ont eu beaucoup de mal à identifier les auteurs du massacre. Les preuves sont rares, si ce n’est cette interview vidéo du 28 octobre 2000 avec le défunt György Roth, qui avait immigré en Israël après avoir survécu à la Shoah.
En Roumanie dans l’immédiat après-guerre, Roth avait convaincu les autorités de lui confier la garde de deux prisonniers SS qui se trouvaient à Persenbeug, là où sa propre famille avait été tuée. Si l’on en croit son témoignage, Roth aurait lui-même exécuté les SS, même si le film laisse entendre que les auteurs du massacre de Hofamt Priel se sont enfuis en Roumanie.
Lorsque les réalisateurs se sont intéressés aux Autrichiens qui auraient pu encourager le massacre, ils ont trouvé peu de bonnes volontés. Weber, Forsthofer et Wiehaim ont dit ce dont ils se souvenaient, et notamment cette demande faite à un homme dénommé « Fritzl » d’allumer la lumière, peut-être des phares de voiture, pour éclairer ceux qui allaient être tués.
« Fritzl », suppose le réalisateur, pourrait avoir été un médecin de la ville, membre de la SS bien avant la guerre.
Sur la question des liens entre cet individu et les événements des 2 et 3 mai 1945, Hochstöger concède : « C’est impossible à prouver. Mais ill est fort possible qu’il ait pris part au massacre. »
Après-guerre, le médecin est devenu un membre très apprécié de la ville voisine de Petzenkirchen, qui a donné son nom à l’une de ses places. Hochstöger s’est entretenu avec le maire de la ville à ce sujet, qui a décidé de débaptiser cette place en 2022.
« Ils n’avaient jamais vu le besoin de débaptiser cette place », dit Hochstöger. « Ils l’ont fait suite à la diffusion de notre film à la télévision autrichienne. Nous avons reçu énormément de courrier à ce sujet. »
Mais dans le village et ses environs, « beaucoup de gens voulaient voir le film et ils ont pu le voir… Nous avons réussi à faire parler de ce massacre. »
« Ce massacre n’est pas très connu des historiens américains », explique Hochstöger. « Il est assez méconnu. Sans doute parce qu’il a eu lieu à la fin de la guerre. Le film aura peut-être contribué à changer cet état de fait. Et si le film est vu, en Allemagne et aux États-Unis, alors l’information va se diffuser. J’espère que ces gens ne diront plus qu’ils n’ont jamais entendu parler de Hofamt Priel et de son massacre. »
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