Entre deux bains de sang, chrétiens et musulmans ont coexisté en paix à Jérusalem
Dans "Jerusalem Falls", le professeur John Hosler analyse ce qui est arrivé dans la Ville sainte entre les batailles du Moyen-Âge, découvrant une tolérance religieuse inattendue
Lorsque le diplomate musulman Usama ibn Munqidh s’était rendu à Jérusalem au début du XIIe siècle, l’histoire ne laissait guère présager un séjour pacifique. Quelques décennies auparavant, la capture de la ville par les chrétiens, lors de la Première croisade, avait été accompagnée par un massacre des résidents juifs et musulmans. Et pourtant, ibn Munqidh avait été accueilli avec chaleur par l’un des ordres militaires les plus puissants à avoir ancré sa présence dans la ville – les Templiers, qui l’avaient autorisé à prier à la mosquée Al-Aqsa.
Il y avait eu un faux pas dans cette visite, c’est vrai : Un chrétien récemment arrivé avait aperçu ibn Munqidh en train de prier vers la Mecque, au sud, et il avait essayé de le réorienter vers l’Est, ce qui était chose commune dans le culte chrétien de l’époque. Une gaffe qui avait outré ibn Munqidh – ainsi que ses hôtes, les Templiers, qui avaient présenté leurs excuses avant d’éjecter leurs coreligionnaires du lieu.
Cette histoire de tolérance que raconte ibn Munqidh dans ses mémoires semble incongrue dans la Jérusalem médiévale. Après tout, pendant le Moyen-Âge, la ville était passée des mains d’un conquérant à l’autre, souvent à l’occasion de guerres religieuses sanglantes qui avaient opposé musulmans et chrétiens, notamment pendant les Croisades. Il semble pourtant que l’histoire de chacune de ces conquêtes ait tendu vers la conciliation et non vers l’oppression. C’est le postulat, en tout cas, qu’a adopté John Hosler dans son nouveau livre Jerusalem Falls: Seven Centuries of War and Peace.
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« Après ces conflits, j’ai commencé à voir les choses différemment », déclare Hadler au Times of Israel.
L’auteur est professeur d’histoire militaire au Army Command and General Staff College de Ft. Leavenworth, dans le Kansas. L’idée du livre lui est venue après plusieurs années de discussion avec ses étudiants, dans les salles de classe, dans le cadre de l’un de ses cours, intitulé « Les racines profondes du conflit au Moyen-Orient » – un cours centré sur Jérusalem, depuis sa première conquête par l’islam, au VIIe siècle, jusqu’à l’ère ottomane qui s’est terminée un millénaire plus tard, accompagnée par une autre capture de la ville sainte, cette fois-ci de la part du général britannique Sir Edmund Allenby pendant la Première Guerre mondiale, en décembre 1917.
Les étudiants de Hosler sont des officiers et, dans le cours consacré à Jérusalem, ils ne s’intéressaient pas seulement au narratif de la guerre mais aussi à ce qui arrivait au lendemain des combats – un angle qui ouvrait la porte à une perspective différente.
« Un gouvernant musulman prenait le contrôle de la ville et il n’interdisait pas aux non-musulmans d’y venir, » explique Hosler. « Et les chrétiens ont finalement commencé à laisser entrer les fidèles des autres religions, même après la Première croisade. »
C’était ce qui était arrivé à ibn Munqidh.
« C’est tellement extraordinaire », raconte Hosler en évoquant l’accueil des Templiers. « Tout cela n’avait rien à voir avec la haine de l’islam, le soupçon face à l’islam, le soupçon ou la haine des musulmans qui vivaient là. Ce qui était important, c’était d’avoir un comportement approprié – se montrer respectueux à l’égard d’un gentilhomme, donner à ce dernier un endroit pour prier, ne pas le déranger. Et si c’est vrai – et les historiens ont tendance à être sceptiques lorsqu’ils lisent des sources médiévales pour toutes sortes de raisons – si c’est vrai, cela va totalement à l’encontre de ce qu’on imaginait de Jérusalem à l’époque médiévale. »
Hosler a écrit de multiples livres sur l’histoire militaire du Moyen-Âge, notamment une étude primée réalisée sur le siège d’Akko pendant la Troisième croisade.
Catholique romain, il fait remarquer l’importance de la religion dans son domaine de spécialisation. Il s’en est rendu compte de ses propres yeux lorsqu’il est allé à Jérusalem, dans le passé. Même si les politiques mises en place pendant la pandémie de COVID-19 ont empêché Holster d’y retourner depuis, il avait visité, dans le passé, les nombreux sites religieux avec beaucoup de plaisir. Certains d’entre eux ont également une signification militaire, comme le graffiti des croisés qui a été gravé dans le mur du sous-sol de l’église du Saint-Sépulcre.
« A Jérusalem, tout est militaire et tout est religieux », explique Holster. « On voit les deux partout où il est possible de se rendre ».
Pour son dernier livre, l’auteur a étudié les attaques contre Jérusalem à partir des combats, au VIIe siècle, entre Byzance, l’empire perse et l’islam, jusqu’aux Croisades ultérieures qui devaient se dérouler au 13e siècle. Les conquérants utilisaient pratiquement tous les moyens qui étaient à leur disposition : catapultes, tunnels, siège…
« J’ai compté toute les attaques commises dans la ville au Moyen-Âge », s’exclame Hosler. « J’en ai compté 19 batailles pour le livre. Et dès qu’il est sorti en librairie, j’ai trouvé une bataille supplémentaire. »
Ironie de l’histoire, Jérusalem avait une valeur stratégique douteuse. A l’écart de la côte méditerranéenne, la ville ne se trouvait pas sur les itinéraires empruntés par les commerçants et il fallait, pour y arriver, franchir des montagnes difficiles, qui en compliquaient l’accès. L’eau et l’alimentation étaient durs à trouver, un défi fréquent pour les envahisseurs comme pour les occupants.
Ce qui rendait la ville si désirable, c’était son importance pour les Juifs, les chrétiens et les musulmans, en raison de ses sites religieux, du mur Occidental à l’église du Saint Sépulcre et en passant par le mont du Temple. Les cartographes chrétiens plaçaient Jérusalem au centre du monde. La ville figurait également très largement dans les croyances apocalyptiques des trois religions abrahamiques, avec notamment la construction envisagée du Troisième temple dans le judaïsme et la parousie – soit le deuxième avènement du Christ dans le christianisme.
Un précédent pluraliste avait été établi lors de l’une des premières conquêtes – avec la capture de Jérusalem par le calife musulman Omar, qui avait pris la ville sainte qui se trouvait alors entre les mains de l’empire byzantin en 637. Cela avait été la première fois dans toute l’histoire que Jérusalem avait été placée sous contrôle musulman. Omar avait été un gouvernant tolérant. Il n’avait pas expulsé les chrétiens de la ville, leur donnant l’autorisation de continuer à pratiquer leur culte.
« C’est en quelque sorte devenu la norme à chaque conquête et à chaque fois que la ville est passée aux mains d’autres entités », explique Hosler. « Ce précédent constitue la base de référence aux accords dits de statu quo en vigueur aujourd’hui à Jérusalem », ajoute-t-il.
La violation la plus flagrante de ce principe a eu lieu près de 400 ans plus tard, lors de la première croisade. Hosler a qualifié la prise sanglante de Jérusalem en 1099 d’exception flagrante aux précédents historiques. Il ajoute qu’une fois établis dans la ville, les croisés ont assoupli les restrictions imposées aux non-chrétiens, pour permettre aux musulmans et aux juifs de revenir.
Le précédent lié au principe de tolérance a été rétabli de manière plus directe au cours des dizaines d’années qui ont suivi. Lorsque le sultan ayyoubide Saladin reconquiert Jérusalem pour l’islam en 1187, il choisit de ne pas se venger du massacre perpétré près d’un siècle auparavant. Saladin a épargné la vie de la population chrétienne de la ville, un acte qui a suscité l’admiration de tous, y compris celle des Européens qui ont lancé la troisième croisade après la chute de Jérusalem.
« Saladin prend la ville des centaines d’années après Omar », explique Hosler. « Et il procède de la même manière : ‘OK, les chrétiens peuvent se recueillir au Saint Sépulcre, comme ils aiment le faire. Pour les musulmans, OK, nous avons le mont du Temple ». Et d’ajouter : « Nous ne connaissons pas la date exacte, mais Saladin a réouvert la porte aux Juifs. »
Selon Hosler, le respect des accords préexistants peut être trouvé dans une certaine mesure dans le droit islamique contemporain. Ce respect s’applique même aux accords conclus plusieurs centaines d’années auparavant, autorisant des modifications en cas de nécessité.
Un autre exemple de tolérance a été donné par un souverain chrétien en 1229, lors de la sixième croisade. Frédéric autorisa les musulmans à pratiquer leur culte sur le mont du Temple et fut accusé par les chrétiens de l’époque de ne pas prêter suffisamment allégeance à sa propre religion, accusation renforcée par le fait que l’empereur avait été excommunié lors d’une croisade.
La politique de tolérance avait ses limites. Hosler note que si Saladin a épargné la vie des chrétiens de Jérusalem, le sultan ne les a épargnés d’aucune autre manière, comme le relate un chapitre difficile à lire de l’Histoire. Le respect du pluralisme dont ont fait preuve les conquérants de Jérusalem ne s’est pas étendu à d’autres régions du Levant. Les représailles sanglantes ont été beaucoup plus fréquentes dans des endroits tels que Césarée, Tyr et Akko. C’est dans cette dernière que les croisades ont pris fin, en 1291, lorsque les musulmans victorieux ont décimé la population chrétienne survivante. Hosler se demande ce que serait devenue Jérusalem au fil des siècles si elle n’avait pas conservé son importance œcuménique.
Il souligne par ailleurs l’attrait interconfessionnel considérable de la ville, un attrait que, selon lui, les dirigeants actuels feraient bien de garder à l’esprit. Citant un exemple plus récent, Hosler évoque la guerre des Six Jours : après la prise du mont du Temple par les parachutistes de Tsahal, rétablissant ainsi le contrôle juif après 1 900 ans, le ministre de la Défense, Moshe Dayan, a ordonné une politique de modération. À sa demande, le drapeau israélien installé sur le Dôme du Rocher a été enlevé, et la pratique du culte sur le mont du Temple a été restituée à la fondation islamique Waqf qui la supervisait auparavant.
« À ce moment-là », note Hosler, « Dayan et l’armée israélienne se sont retrouvés dans la même position que les croisés, Frédéric II, Saladin et même le calife Omar : Vous avez conquis la ville, vous avez chassé l’ennemi… ils sont en retraite militaire totale, ils n’ont aucune chance de sauver la ville. Vous avez tous les pouvoirs, et c’est alors que vous réalisez qu’il y a une limite, et qu’il y aura des répercussions ».
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