Dans le corridor de Netzarim, Tsahal établit des bases temporaires, mais pour quelle durée ?
L'armée a considérablement étendu la zone qu'elle contrôle et qui coupe en deux la bande de Gaza, d'où elle lance des attaques contre le Hamas ; Tout ceci est réversible, mais pour l'heure peu probable
Tout ce que l’armée israélienne a établi dans le corridor de Netzarim est temporaire, assurent les autorités militaires. Mais, sur le terrain, dans cette zone qui coupe la bande de Gaza en deux, tout porte à croire que l’armée israélienne est là pour un certain temps.
L’armée elle-même ignore à quel moment elle quittera un corridor, qui, de l’aveu de certains membres des autorités, pourrait servir de monnaie d’échange avec le Hamas pour un accord sur les otages qu’il détient.
Les mois passent et, face au flux et reflux des perspectives d’accord avec le groupe terroriste pour libérer les 100 derniers otages qu’il détient encore, l’armée n’a eu de cesse d’affirmer sa présence dans ce corridor.
Désormais dénommé par les militaires « corridor de Beeri », du nom de la communauté frontalière israélienne attaquée le 7 octobre, un nom jugé préférable à celui de l’ancienne implantation de Netzarim, dans la bande de Gaza – l’endroit est actuellement sous contrôle de la 99e division de la brigade blindée de réserve Harel et de la 551e brigade parachutiste de réserve.
La brigade Harel est responsable de la route et de la partie sud du corridor, et la 551e brigade de la partie nord.
Cette semaine, le Times of Israel a bénéficié d’un accès exclusif au corridor dans le cadre d’une visite escortée par l’armée.
Au début de l’offensive terrestre d’Israël contre le Hamas, fin octobre 2023, le corridor n’était guère plus que les traces laissées par les chars et véhicules blindés de transport de troupes de Tsahal. A l’époque, la 36e division de l’armée avançait dans Gaza par l’Est et atteignait la côte, au sud de la ville de Gaza.
Dans les mois qui ont suivi, l’armée israélienne a établi une route longue d’un peu plus de 6 kilomètres le long du corridor, dans le but d’empêcher les Palestiniens de retourner dans le nord de Gaza après avoir fui au sud.
Au moment où elle concentrait son offensive contre le Hamas sur la moitié supérieure de la bande de Gaza, Tsahal avait donné ordre aux habitants du nord de Gaza – dont le nombre est estimé à un million – d’évacuer les lieux et de se rendre dans le sud de la bande de Gaza.
Tous n’avaient pas tenu compte de cet ordre – certains étaient eux-mêmes des hommes armés du Hamas, d’autres avaient été menacés par le Hamas pour les dissuader d’obtempérer, d’autres encore craignaient les conditions de vie apocalyptiques dans la zone humanitaire côtière ou avaient, disaient-ils, essuyé des tirs de Tsahal au moment d’évacuer.
La route qui serpente le long du corridor a finalement été pavée – elle porte désormais le nom de Route 749 en hommage au 749e bataillon de génie de combat qui l’a construite – et les environs constituent une sorte de zone tampon destinée à protéger la route des attaques du Hamas.
L’armée autorise de temps à autres des organisations humanitaires à l’emprunter pour acheminer de l’aide de première nécessité au nord de Gaza durement touché par la guerre.
Au fil du temps, l’armée israélienne a étendu les limites de la zone tampon, passant de quelques dizaines de mètres de chaque côté de la route jusqu’à atteindre la périphérie du quartier Zeitoun de la ville de Gaza, au nord, et le cours d’eau Wadi Gaza, au sud, ce qui représente quelque 47 kilomètres carrés, soit près 13% du territoire de la bande.
Tout ceci s’est fait en détruisant des centaines de bâtiments ainsi que des villages palestiniens. L’armée israélienne a fait valoir que cela était absolument nécessaire à la sécurisation du corridor, le Hamas utilisant ces infrastructures pour attaquer les soldats israéliens.
Au sein de ce qui est désormais un secteur de grande taille, l’armée israélienne a établi plus d’une dizaine de petits avant-postes militaires, au sein desquels les soldats effectuent des gardes, et quatre bases d’opérations avancées, centres logistiques et quartiers généraux des unités déployées à Gaza.
Depuis ces bases, l’armée israélienne lance des opérations contre le Hamas dans la ville et le centre de Gaza, à l’instar de celle ayant conduit au sauvatage de quatre otages du Hamas, l’été dernier.
Les opérations de cette ampleur se font rares au moment en ce 15e mois de guerre, mais des interventions plus modestes sont menées presque chaque jour, assure l’armée.
Elles sont « adossées à des renseignements faisant état de rassemblements de terroristes ou de l’existence d’infrastructures terroristes », explique au Times of Israel le lieutenant-colonel Omri, l’un des commandants adjoints de la brigade Harel – dont le nom de famille est tenu secret par l’armée israélienne pour des raisons de sécurité – lors d’une interview réalisée depuis le corridor.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles les limites du corridor ont été étendues ces tout derniers mois, Omri souligne que, selon la doctrine de Tsahal, « il faut établir des zones sécurisées ».
« On ne peut pas se contenter de vivre dans son coin en se disant que tout va bien. Non, il importe de protéger les soldats. Il faut donc établir une zone permettant de disposer de suffisamment de temps pour réagir en cas d’attaque ennemie », ajoute le commandant adjoint de la brigade.
Cette explication, satisfaisante pour ce qui est de l’établissement d’une zone tampon autour du corridor, laisse planer la question sur son extension à une superficie de 47 kilomètres carrés pour des considérations opérationnelles.
« L’alerte précoce est la raison de tout cela. Personne ne fait ça pour une autre raison », assure-t-il en parlant des accusations de démolitions abusives de la part des soldats. Ces derniers mois, les moindres faits et gestes de l’armée ont fait l’objet d’une grande attention, quelques soldats indisciplinés s’étant filmés en train de se réjouir de la démolition de maisons dans des vidéos publiées sur les réseaux sociaux.
« Nous faisons cela pour établir une zone sécurisée permettant à nos soldats de faire ce qu’ils ont à faire », poursuit-il.
« L’idé n’est pas de se venger ou de semer le chaos. Absolument pas. Tout ce que nous faisons a une raison précise. Nous exécutons des ordres qui eux-mêmes répondent à une logique », ajoute Omri.
Infrastructures temporaires, présence permanente ?
Pour rallier le corridor, ce reporter a dû passer par trois points de contrôle militaires – un près de Beeri, un autre situé au niveau d’une position militaire près de la frontière et un troisième, enfin, au niveau de la barrière frontalière –, qui sont autant de gages de la difficulté pour toute personne non autorisée de se frayer un chemin dans cette partie de Gaza.
Au niveau de l’accès au corridor, le principal point de contrôle de Tsahal, précédemment dénommé porte 96, a été rebaptisé Point de contrôle 3 et aujourd’hui, Terminal 3.
A bord d’un petit convoi de véhicules militaires décapotables, nous avons circulé entre le Terminal 3 et la bande de Gaza. L’officier en charge du convoi nous a mis en garde contre des risques de tirs de mortier de la part d’agents du Hamas.
Au bout de trois kilomètres, le convoi a atteint une base d’opérations avancée située le long de la route Salah a-Din, la principale autoroute nord-sud de la bande de Gaza.
L’armée israélienne estime que cette base fait partie de ses positions arrières, à suffisamment grande distance de l’ennemi – voire à l’opposé de la ligne de front – tout en restant à l’intérieur de la bande de Gaza.
La base comporte tout ce que l’on peut attendre d’une position bien retranchée et adaptée à un long séjour, mais rien n’est installé de manière pérenne dans le sol.
Tous les bâtiments de la base sont des éléments mobiles – il y a même une sorte de conteneur renforcé pour se protéger des impacts d’éclats d’obus. Deux antennes relais ont été fixées à des blocs de béton posés à même le sol. Le dépôt de carburant de la base, utile aux chars et autres véhicules de Tsahal, n’est autre qu’un grand conteneur posé au sol.
Les bureaux et quartiers d’habitation sont tous équipés de climatiseurs.
Une nouvelle conduite d’eau reliant Israël aux bases de Tsahal permet aux soldats de Netzarim de disposer d’installations sanitaires de bonne qualité et de douches chaudes. Des lignes électriques, ainsi que des générateurs de secours, permettent à la base de fonctionner quelles que soient les circonstances.
« Nous devons fournir aux soldats un minimum d’installations. Nous sommes l’armée israélienne, pas une guérilla. Je ne veux pas utiliser d’équipements ou de maisons appartenant aux Palestiniens », ajoute le commandant adjoint de la brigade. Ailleurs dans la bande de Gaza, en revanche, il n’est pas rare que les maisons des Palestiniens soient utilisées pour loger des soldats lors d’opérations militaires.
La base visitée par le Times of Israel sert également de point de contrôle aux civils palestiniens du nord de Gaza en route vers le sud, mais ils sont fort peu nombreux à avoir pris la route ces derniers temps.
Les Palestiniens ont reçu l’ordre d’emprunter la route Salah a-Din, ce qui permet à l’armée israélienne d’identifier les membres présumés de groupes terroristes, de les isoler des civils et de les interroger à l’intérieur de la base.
Selon des membres des autorités militaires, l’ensemble des infrastructures temporaires mises en place par Tsahal à Netzarim pourraient être rapidement retirées. Il existe d’ailleurs un plan d’action en cas d’ordre donné de quitter la zone, mais nombre de militaires doutent que cela se produise à court ou moyen terme.
« Il ne se passe rien ici »
Au début de la guerre, les soldats n’étaient pas autorisés à avoir un téléphone à Gaza, mais nombre d’entre eux le faisaient malgré tout. L’installation de relais de téléphonie cellulaire à Netzarim est la preuve que les règles ont changé.
Les soldats au sol impliqués dans les interventions contre le Hamas ne sont toujours pas autorisés, pour des raisons de sécurité, à avoir un téléphone sur eux lors des opérations, mais ceux qui sont stationnés sur la base de Netzarim n’ont aucun problème.
Sans avoir besoin de chercher le signal au sommet d’une colline, ce journaliste a pu envoyer des messages, jeudi, sur le liveblog du Times of Israel après avoir pris un café dans le salon confortable et bien approvisionné de la base.
Dans la mesure où l’essentiel des bâtiments du corridor ont été rasés et que l’armée israélienne a mis en place des équipements de surveillance perfectionnés, il est très rare que des membres du Hamas mènent des attaques contre les positions de l’armée à Netzarim, expliquent les soldats.
Le commandant adjoint de la brigade parle d’« alertes constantes » concernant de potentielles attaques du Hamas contre les postes de l’armée à Netzarim, mais il est rare qu’elles soient suivies d’effets.
Faute d’attaques directes contre les bases d’opérations avancées du corridor depuis des mois, les soldats qui y sont stationnés – y compris ceux qui sont de garde – ne portent plus ni casques ni gilets pare-balles.
Il y a eu des semaines entières sans la moindre action : « Il ne se passe vraiment rien ici », confie un soldat stationné aux confins de la base.
« Au niveau des postes-frontières, il se passe un peu plus de choses », poursuit-il en évoquant les petites positions de l’armée situées aux abords du corridor – plus loin de la route et des grandes bases – que des membres du Hamas tentent parfois d’attaquer.
Les petits postes situés plus loin dans le corridor « servent de ligne de contact », ajoute Omri pour parler de la sorte de ligne de démarcation entre l’armée israélienne et le reste de Gaza.
« Plus on se rapproche de la ligne de contact, plus il y a des incidents – tirs de snipers ou de lance-grenades – », poursuit le commandant adjoint de la brigade.
Il arrive que des civils palestiniens se rapprochent de la « ligne de contact » de Netzarim et la franchissent. Selon des sources militaires au sein de la 99e division, il n’est pas rare que le Hamas envoie des civils pour « tester les réactions de l’armée ».
« Ils veulent voir comment nous réagissons, d’où nous répondons, à quel moment et à quelle vitesse on les identifie », explique une source.
Ce mois-ci, Haaretz a publié les témoignages de soldats d’une autre division précédemment affectée dans le corridor faisant état de règles d’ouverture de feu arbitraires – voire désinvoltes – et de la comptabilisation des victimes civiles comme relevant d’organisations terroristes.
L’armée israélienne s’est inscrite en faux par rapport à ces informations et selon des sources militaires de la division actuellement déployée dans le corridor, les soldats font preuve de beaucoup plus de discernement que ce qui est avancé par Haaretz.
Selon ces mêmes sources, dès que cela est possible, les soldats israéliens interpellent les civils palestiniens tentant de pénétrer dans le corridor et des mesures sont prises avant toute frappe aérienne ou tirs létaux.
Les attaques du Hamas contre les soldats de Tsahal stationnés dans le corridor se font rares et le groupe terroriste a surtout recours à des tirs de mortiers ou de roquettes à courte portée sur les bases de Tsahal de Netzarim, que ce soit depuis le sud ou le nord du corridor.
Mais de l’aveu-même des soldats stationnés dans le corridor, même ces attaques se font rares ces derniers temps.
Des désirs d’implantations
Certains députés de la majorité israélienne se sont fait entendre, ces dernières semaines, au sujet de leur désir de rétablir des implantations juives à l’intérieur de la bande de Gaza, et notamment à l’intérieur du corridor de Netzarim, pour la première fois depuis plus de vingt ans.
Israël s’est retiré de la bande de Gaza en 2005 en application du plan de désengagement, ce qui a forcé au départ pas moins de 9 000 personnes et entrainé la démolition de 21 implantations, dont celle de Netzarim.
Maintenant que les maisons palestiniennes ont été détruites et que les infrastructures militaires sont là (officiellement à titre temporaire), des militants d’extrême droite attendent le moment d’entrer et de relancer les implantations juives.
« La politique ne m’intéresse pas. J’ai dans mes rangs des soldats ultra-orthodoxes, des gens de gauche, des gens de droite. Ni la politique ni les opinions politiques n’ont leur place ici », affirme Omri, interrogé sur le possible rétablissement des implantations à Netzarim.
« Nous avons une mission. J’ai confiance en mes frères ultra-orthodoxes, en mes frères de gauche et en mes frères de droite. Ils seront là pour moi, et je serai là pour eux, parce que nous sommes ici ensemble. Les désirs personnels restent personnels. Chacun a son opinion. C’est notre droit. Mais cela n’a pas sa place sur le champ de bataille. »
« Les politiques décident, les militaires commandent et nous, nous faisons ce qui doit être fait », conclut-il.
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