Israël veut augmenter les livraisons de pétrole en mer Rouge malgré les risques environnementaux
Le gouvernement entend préserver l'économie malgré la guerre, contre l'avis d'Eilat et des instances environnementales, soucieuses du récif corallien et du risque de marée noire
Selon les autorités israéliennes et des documents officiels, Israël a l’intention de permettre à un plus grand nombre de pétroliers d’accoster dans un des ports de la mer Rouge, à Eilat, et ce en dépit des risques pour l’environnement, dans le but de préserver la sécurité énergétique du pays aux prises avec un conflit ouvert sur plusieurs fronts.
Les services du Premier ministre Benjamin Netanyahu entendent donc revenir sur les limitations imposées aux quantités de pétrole susceptibles d’être déchargées dans le port d’une ville située au beau milieu de stations balnéaires et de plages, et non loin d’un récif corallien fragile.
Imposées en 2021 par le ministère de la Protection de l’environnement, les limitations ont eu pour effet de suspendre l’application d’un accord d’approvisionnement en pétrole conclu avec les Émirats arabes unis. Elles ont déjà fait l’objet d’un assouplissement temporaire à la fin de l’an dernier, au début de la guerre de Gaza.
Le port en question est la propriété de la société publique Europe Asia Pipeline Co. (EAPC), exploitante d’un pipeline qui relie la mer Rouge à la mer Méditerranée en passant par Israël, une alternative au canal de Suez.
L’EAPC souhaite avoir davantage de pétrole, mais les instances de protection de l’environnement, tout comme le maire d’Eilat, s’y opposent.
Aux prises avec une guerre contre le Hamas qui a ouvert un front avec le Hezbollah, au Liban, et qui est confronté aux attaques d’autres mandataires iraniens au Yémen ou en Irak, comme de l’Iran lui-même, Israël souhaite préserver son économie.
Lorsque sa principale source d’énergie, à savoir le gisement gazier offshore de Tamar, a été temporairement fermé au début de la guerre contre le Hamas, le pays s’est rabattu sur du pétrole normalement destiné à l’exportation.
Les Houthis yéménites s’en prenant physiquement aux navires en mer Rouge, de nombreux navires ont privilégié la dessert de ports méditerranéens et les services publics se sont dotés de réseaux de secours.
Peu après la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis et dans le cadre de l’un des partenariats les plus importants issus des accords d’Abraham négociés par les États-Unis, l’EAPC a conclu un accord en 2020 de façon à faire passer par son oléoduc de grandes quantités de pétrole venues des Émirats arabes unis et à destination de l’Europe.
L’accord devait permettre le transport de dizaines de millions de tonnes de pétrole, soit l’équivalent de 50 pétroliers accostant chaque année sur le littoral surpeuplé d’Eilat, explique le ministère de la Protection de l’environnement. Auparavant, ils étaient deux en moyenne.
Le ministère de l’Environnement a adopté une politique stricte dite du « Zéro risque supplémentaire » et fixé la limite à deux millions de tonnes de pétrole, ce qui a eu pour effet de bloquer l’accord.
Le récif corallien d’Eilat est unique car il se révèle plus résistant au changement climatique que de nombreux récifs, ailleurs dans le monde, qui sont en train de disparaitre. C’est aussi un grand attrait touristique. Sa proximité avec le port le rend vulnérable à la moindre fuite de pétrole.
Selon un document interne consulté par Reuters, en dépit de ces risques, les services de Netanyahu ont recommandé ce mois-ci d’assouplir encore les limitations, dans le but d’y inclure les carburants destinés au commerce et aux usages domestiques, et même d’augmenter les capacités de déchargement de produits pétroliers à Eilat.
« L’approche du gouvernement israélien n’est pas celle d’un évitement complet des risques – que ce soit en matière de sécurité, de ressources énergétiques ou d’environnement », a conclu un comité ministériel formé par Yossi Shelley, directeur général du cabinet de Netanyahu, comme le rappelle ce document qui n’a pas été rendu public.
« Ne pas revenir sur les limitations imposées par la politique du ‘Zéro risque supplémentaire’, ne pas faire face au risque, ne pas permettre au port d’accueillir davantage de produits pétroliers pourrait conduire à la fermeture du terminal d’Eilat et à l’absence de la réponse requise en cas d’urgence. »
Le comité a chargé le ministère de l’Environnement d’élaborer un plan pour minimiser les risques liés à l’augmentation des livraisons de pétrole.
Le ministère de la Protection de l’environnement a, dans la foulée, écrit au cabinet de Netanyahu, le 16 avril dernier. Dans sa lettre, consultée par Reuters, il estime que ses mises en garde ont été ignorées, que les recommandations du rapport sont inacceptables et qu’il lui est impossible de réglementer le projet d’augmentation des livraisons.
Le ministère a rappelé de précédents incidents, comme celui de 2014, lorsque l’oléoduc de l’EAPC s’est rompu, déversant des millions de litres de pétrole dans une réserve naturelle.
On ignore à ce stade dans quelle mesure la suppression des limitations au niveau d’Eilat permettrait de relancer l’accord pétrolier avec les Émirats arabes unis.
Petromal, unité de National Holding basée à Abu Dhabi et co-propriétaire de la société signataire de l’accord avec EAPC, n’a pas souhaité s’exprimer auprès de Reuters.
Faire en sorte que le pétrole continue de circuler
Dans une déclaration, le président de l’EAPC, Erez Halfon, a salué la volte-face du gouvernement et indiqué que la guerre avait clairement montré « l’importance stratégique, sécuritaire et énergétique des installations de l’EAPC à Eilat ».
À défaut de livraisons régulières de pétrole, les installations d’Eilat risquent de se dégrader et de devenir peu fiables, a expliqué l’EAPC.
La quasi-totalité du commerce avec Israël, y compris les livraisons de matières premières énergétiques, s’effectue par voie maritime, le long de la côte méditerranéenne, dans les ports de Haïfa, Ashdod et Ashkelon.
Selon les chiffres de la société d’analyse maritime Kpler, en 2023, Israël a importé 267 000 barils/jour de pétrole brut, pour l’essentiel originaires du Kazakhstan, d’Azerbaïdjan ou du Kurdistan.
Selon le rapport interne précité, l’accord pétrolier émirati pourrait rapporter jusqu’à 50 millions de dollars par an à l’EAPC.
Le ministère israélien de l’Énergie a déclaré à Reuters que les livraisons de pétrole devaient être suffisantes pour permettre au terminal d’être correctement exploité, avec une attention envers l’environnement.
Un membre des autorités réfute l’argument du directeur général du ministère de la Protection de l’environnement selon lequel il y aurait d’autres moyens de garder le port en bon état de marche.
« Il a été établi avec le plus grand soin que tout autre moyen qu’une véritable activité opérationnelle ne suffirait pas à maintenir le port en bon état de fonctionnement », a-t-il indiqué à Reuters.
Le comité, rappelle-t-il, n’a pas dit au ministère de la Protection de l’environnement quelle quantité de pétrole devait être autorisée ni même comment mener l’enquête, juste d’enquêter. Et il lui a donné trois mois pour le faire.