La mort du dernier rescapé de Sobibor ravive le conflit sur le chantier du site
Après le décès lundi de Semion Rosenfeld, participant à la révolte de Sobibor, aucun survivants n'assistera à la fin des travaux de l'ancien camp de la mort nazi l'année prochaine

Au centre de l’ancien camp de la mort nazi de Sobibor, sur un terrain où les victimes juives se déshabillent avant d’aller aux « douches », un musée et un centre touristique apparaissent lentement. Avec le décès cette semaine du dernier survivant de Sobibor, Semion Rosenfeld, aucun participant de la révolte de 1943 ne sera présent pour assister à l’achèvement de la transformation du site au printemps prochain.
Niché dans les bois près des frontières de la Pologne avec l’Ukraine et la Biélorussie, Sobibor était l’un des trois camps de la mort « Opération Reinhard » construits par l’Allemagne en 1942 dans le plus grand secret. Près de deux millions de Juifs furent assassinés dans ces camps, et Auschwitz-Birkenau devint l’épicentre de la « Solution finale » des nazis.
En octobre 1943, Sobibor fut le théâtre d’une grande révolte de prisonniers et d’une évasion. Au début du soulèvement, les chefs rebelles ont attiré les officiers SS du camp dans plusieurs ateliers afin de les tuer en secret. Les « cerveaux » de Sobibor étant hors d’action, des centaines de prisonniers ont évité les coups de feu et les mines terrestres pour atteindre la forêt. Cependant, seuls quelques dizaines d’évadés – dont Rosenfeld – ont survécu à la défaite de l’Allemagne en 1945.
Après l’évasion, les nazis ont détruit les bâtiments de Sobibor et ont planté des arbres sur le terrain. Dans les décennies qui ont suivi, la zone de la fosse commune de Sobibor a été la cible de voleurs de tombes et d’“archéologues” non autorisés à de nombreuses reprises, et le site a été utilisé aussi bien pour y promener des chiens qu’y faire du vélo.
Sobibor est le dernier camp de la mort nazi à être fouillé et « pavé » par des constructions, un processus en cours qui continue de mobiliser les archéologues de longue date du site, Yoram Haimi (Israël) et Wojtek Mazurek (Pologne).
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Posted by Benjamin Netanyahu – בנימין נתניהו on Monday, June 3, 2019
Du point de vue de Haimi, la structure qui s’élève au centre du camp ressemble à « un centre commercial ou à un country club », et non à un édifice digne de l’endroit où deux de ses oncles ont été assassinés pendant la Shoah.
En particulier, Haimi avait imploré les intendants du site d’adopter une approche préservationniste similaire à celle choisie par Auschwitz-Birkenau, où près d’un million de Juifs ont été assassinés dans des chambres à gaz pendant la Shoah. Les champs de Birkenau sont presque entièrement dépourvus de constructions d’après-guerre, ce qui permet aux ruines des crématoires et aux fondations des baraquements de parler d’elles-mêmes.
Comme Sobibor a été détruit et rasé en 1943, peu de vestiges du camp subsistent encore. Alors que les travaux de construction d’envergure sont sur le point d’être achevés, Haimi pense qu’un autre type d’effacement est en train de s’opérer.
« Ce n’est pas la bonne chose à faire »
« Je ne comprends pas pourquoi il y a une fosse d’égout de cinq mètres à l’endroit même où les victimes se déshabillaient », dit Haimi, faisant référence aux canalisations installées à proximité du nouveau musée. « Tout ce qu’ils font, détruit quelque chose », dit Haimi. « Nous ne savons pas comment arrêter ça. Je me suis battu pour rien », a-t-il ajouté.
Lors d’une interview téléphonique avec le Times of Israel plus tôt cette année, Haimi a exprimé sa frustration face aux travaux à Sobibor. Plus précisément, il estime que l’ajout de fossés et de canalisations pour le centre d’accueil du musée a non seulement endommagé les vestiges du camp, mais qu’il empêchera aussi des fouilles archéologiques futures de se faire.

« Je comprends que les Polonais veulent un centre d’accueil agréable, mais ce n’est pas la bonne chose à faire. Tout devrait être minimaliste », déclare Haimi. « Nous continuons à penser qu’ils devraient laisser les vestiges en place. Nous avons fouillé, donc ne détruisez pas. Laissez quelque chose pour la prochaine génération. »
La critique de Haimi à l’égard des projets de Sobibor ne se limite pas au musée et centre d’accueil des visiteurs. Le chercheur s’est également opposé à ce que l’on recouvre le champ des fosses communes d’une couche de géotextile perméable et de marbre blanc concassé, un projet achevé en 2017. Selon Haimi, les mauvaises herbes traversent déjà le revêtement et les fragments de marbre sont grisâtres.

Ayant perdu sa bataille pour empêcher toute nouvelle construction sur le terrain de Sobibor, Haimi appelle maintenant à la « disparition » d’un « mur commémoratif » semi-circulaire d’un kilomètre de long qui s’élève autour des fosses communes. Selon l’archéologue, le charnier de la Shoah se poursuit au-delà de cette limite, dans la forêt, et les fondations profondes de l’édifice pourraient perturber les restes des victimes de Sobibor.
« Il n’a signalé aucune irrégularité »
Depuis de nombreuses années, le Musée d’Etat de Majdanek surveille le domaine de Sobibor. L’institution a approuvé chaque série de fouilles de sauvetage entreprises par Haimi et Mazurek, et ses dirigeants se réunissent au sein du comité directeur international chargé de la transformation de Sobibor.
Selon une porte-parole du Musée d’Etat de Majdanek, tous les aspects de la construction en cours à Sobibor ont été conformes aux plans approuvés par le comité. Cela comprend l’emplacement du centre d’accueil du musée, une décision prise par le président de Yad Vashem, Avner Shalev, a déclaré la porte-parole.

« Tous les travaux de construction ont été réalisés sous surveillance archéologique et dans des zones déjà explorées par les archéologues », a déclaré Agnieszka Kowalczyk-Nowak dans un échange avec le Times of Israel. Elle a également noté que le musée est en « contact permanent » avec Mazurek.
« S’il y avait des irrégularités liées à la construction des bâtiments du musée, [Wojtek Mazurek] nous en aurait informés », a déclaré Kowalczyk-Nowak. « Jusqu’à présent [Mazurek] n’a signalé aucune irrégularité, nous ne connaissons donc pas la source des informations qui vous ont été fournies par Yoram Haimi. L’infrastructure technique – comme les réseaux d’égouts, d’électricité ou de chauffage – a été construite conformément au projet, réalisé il y a quelques années », a déclaré Kowalczyk-Nowak.
Lorsqu’on lui a demandé si Haimi et Mazurek seront invités à fouiller à nouveau à Sobibor, Kowalczyk-Nowak a déclaré que le musée « a coopéré en permanence avec M. Mazurek, il n’est donc pas vrai qu’il a été exclu de la réalisation du projet, alors que M. Haimi a effectué des recherches archéologiques sur commande de la Fondation pour la réconciliation entre la Pologne et l’Allemagne, pas du Musée national de Majdanek ».

Kowalczyk-Nowak a confirmé que « des recherches archéologiques seront menées dans la zone où aucune fouille n’a été effectuée jusqu’à présent, c’est-à-dire le long de l’emplacement du mur qui sera construit pour marquer la « Route du Ciel » menant aux chambres à gaz ». La porte-parole n’a pas désigné Haimi ou Mazurek comme étant chargés de la recherche, bien que les deux hommes ont fouillé et cartographié la « Route du Ciel » il y a plusieurs années.
A quelques mètres de la maison d’un particulier.
Lorsque les fouilles ont commencé à Sobibor en 2007, il n’y avait aucune tension entre l’équipe d’archéologues israélo-polonais et le Musée d’Etat de Majdanek. Le seul terrain en friche était celui des grands carrés de fouilles, car les plans de construction n’en étaient encore qu’aux débuts.

Saison après saison, Haimi et Mazurek ont mis au jour un ensemble époustouflant d’artefacts appartenant aux victimes de Sobibor, dont les plaques signalétiques métalliques de plusieurs enfants juifs des Pays-Bas. Les archéologues ont déterminé l’emplacement des clôtures de barbelés démolies en 1943 et ont localisé les fondations des chambres à gaz de Sobibor, longtemps cachées sous une couche de béton de l’époque soviétique.
Bien que Haimi a régulièrement exprimé de vives critiques à l’égard de la construction à Sobibor, le Musée d’Etat de Majdanek a continué d’inviter son collègue, Mazurek, à revenir sur les lieux pour y faire des fouilles. En partie à cause de la relation de Haimi avec Yad Vashem, il s’est toujours joint à Mazurek pour codiriger les fouilles. En cours de route, l’archéologue israélien a continué à déplorer la décision du comité directeur de construire à Sobibor.

« Pourquoi le centre d’accueil est [situé] à quelques mètres de la maison d’un particulier ? », a déclaré Haimi au Times of Israel. « Je ne vois pas pourquoi ces trois petites maisons n’ont pas été achetées et transformées en [centre d’accueil du musée] », a-t-il dit, faisant référence à plusieurs petits bâtiments – dont une maison familiale – qui sont situés à l’intérieur du camp depuis des décennies.
« Nous restons toujours optimistes »
L’archéologue Wojtek Mazurek vient de Wlodawa, la charmante ville polonaise qui jouxte Sobibor. Alors que Yoram Haimi est lié à Sobibor parce que ses proches y ont été assassinés, les liens de Mazurek avec Sobibor ont commencé par la proximité du camp avec la maison de son enfance.

En 2014, le Times of Israel a rendu visite à Mazurek à Wlodawa. Sur un banc à côté de la maison d’avant-guerre de l’archéologue, Mazurek a montré certains des artefacts sortis de la terre cette année-là. Les trouvailles comprenaient un fragment de céramique de Mickey Mouse, une bague de mariage en or et un pendentif de 1927 portant l’acronyme hébreu « Terre d’Israël ». Il y avait beaucoup de peignes, de boutons, de boucles d’oreilles et de pièces de monnaie de plusieurs pays parmi les centaines d’artefacts.
Mazurek n’est pas connu pour être aussi franc que Haimi, son ami et collègue depuis 2007. Il a cependant dit au Times of Israel que lui et Haimi « n’ont pas eu de bonnes expériences de coopération avec [le Musée d’Etat de] Majdanek ».
Malgré les tensions dans les relations entre le musée et les archéologues, Mazurek croit que lui et Haimi devraient « poursuivre nos fouilles » à Sobibor.

« A notre avis, faire notre travail [avec d’autres archéologues] est inacceptable car nous avons effectué des fouilles au cours des 10 dernières années. Mais nous restons toujours optimistes », a déclaré Mazurek.
Parmi les tâches qui restent à accomplir à Sobibor, les archéologues espèrent continuer à déblayer un « tunnel d’évasion » qu’ils ont découvert il y a plusieurs saisons. Relativement intacte depuis la Shoah, la zone dite « rampe » où les Juifs descendaient des trains de déportation, ainsi que le « camp forestier » ajouté tard dans l’existence de Sobibor.
Pour sa part, Haimi n’est pas sûr d’être invité à assister à l’ouverture du musée au printemps prochain, et encore moins à y retourner pour des fouilles. Et avec le décès cette semaine du dernier survivant de Sobibor, Semion Rosenfeld, aucun des hommes et des femmes courageux qui se sont évadés du camp, il y a 76 ans, ne verra la dernière transformation de Sobibor, cimetière pour plus de 200 000 victimes juives.
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