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La satire, arme des artistes juifs et afro-américains contre le KKK au Jewish Museum

Dans "Draw Them In, Paint Them Out : Trenton Doyle Hancock Confronts Philip Guston", les artistes détournent les symboles du racisme, du suprémacisme blanc et de l'antisémitisme

L'exposition « Draw Them In, Paint Them Out : Trenton Doyle Hancock Confronts Philip Guston », au Jewish Museum, présente des œuvres de Philip Guston, à gauche, et de Trenton Doyle Hancock, à droite. (JTA)
L'exposition « Draw Them In, Paint Them Out : Trenton Doyle Hancock Confronts Philip Guston », au Jewish Museum, présente des œuvres de Philip Guston, à gauche, et de Trenton Doyle Hancock, à droite. (JTA)

En se moquant d’Adolf Hitler dans sa comédie dramatique de 1967 « The Producers », Mel Brooks faisait l’apologie de la satire comme d’une arme contre la tyrannie.

« Il faut la ridiculiser », expliquait-il à « 60 Minutes » en 2001. « C’est mon obsession : faire en sorte que le monde entier se moquer d’Adolf Hitler. »

A l’évidence, Hitler était mort depuis longtemps et 6 millions de Juifs avaient péri au moment de la sortie de « The Producers ». Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, la satire s’était avérée de peu d’utilité contre le Führer : Charlie Chaplin avait bien réalisé « Le Dictateur » en 1940, en faisant lui aussi d’Hitler un bouffon. Mais lors de la Première du film, en octobre, près de 3 millions de soldats allemands envahissaient la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.

J’avais cette futilité de la satire à l’esprit lorsque, le jeudi suivant les élections, je suis allé voir la nouvelle exposition du Jewish Museum, dans l’Upper East Side à Manhattan. Visible jusqu’au 30 mars prochain, « Draw Them In, Paint Them Out : Trenton Doyle Hancock Confronts Philip Guston » met l’accent sur deux artistes – un juif et un afro-américain – attachés à la lutte contre le racisme, le suprémacisme blanc et l’antisémitisme.

Né Phillip Goldstein à Montréal en 1913, Philip Guston s’est inspiré de l’effervescence des années 1960 pour peindre des caricatures de membres du Ku Klux Klan encagoulés.

Dans ces tableaux presque joyeux, les figures effrayantes du suprémacisme blanc ressemblent à des enfants costumés tout droit sortis d’une bande dessinée de Charlie Brown (ou, plus précisément, de « Krazy Kat », célèbre bande dessinée du jeune Guston).

« Ces bouffons du Klan sont encore aujourd’hui de véritables épouvantails du sectarisme sous toutes ses formes », explique la conservatrice et organisatrice de l’exposition Rebecca Shaykin le jour de la présentation à la presse. « Ils sont toujours aussi incroyablement puissants. »

Le tableau « Cigare » (1969) de Philip Guston, exposé en ce moment au Jewish Museum, symbolise le Ku Klux Klan d’une manière que l’on retrouve dans plusieurs de ses oeuvres de l’époque. (JTA)

Un bon tiers de la galerie est consacré aux œuvres de Guston sur le Klan et à des œuvres plus anciennes. Le reste de l’espace est occupé par les œuvres exubérantes, dessins animés et autres films de Hancock, artiste né au Texas qui était un enfant au moment de la mort de Guston, en 1980 à Woodstock, dans l’Etat de New York.

Un grand nombre d’œuvres de Hancock font directement allusion aux membres du Klan peints par Guston : c’est le cas de « Torpedoboy », sorte de super-héros afro-américain et alter ego de Hancock, que les membres du Klan tentent de lyncher. Mais il se défend et, dans un des tableaux, semble enfoncer une pointe dans la tête d’un membre du Klan.

Dans le catalogue de l’exposition, Hancock explique ce qui l’a attiré dans les œuvres de Guston sur le Klan. « Je suis tombé amoureux de l’esthétique et de sa façon d’utiliser l’humour pour couper l’herbe sous le pied du KKK », poursuit Hancock. « Il m’a permis de comprendre ce que je pourrais faire de mes personnages. »

Le public réagit différemment à cette forme d’humour suivant sa propre sensibilité ; rappelons-nous qu’il a fallu des décennies pour que « The Producers » perde sa réputation « sulfureuse » et devienne une œuvre appréciée du plus grand nombre, du moins dans sa version comédie musicale à Broadway.

Il est possible que les œuvres des deux artistes consacrées au Klan aient, sur certains, un effet puissant. En 2020, à l’apogée du mouvement Black Lives Matter, quatre grands musées ont dû le penser en reportant à plus tard une rétrospective de l’œuvre de Guston, expliquant que « le puissant message de justice sociale et raciale au coeur de l’œuvre de Philip Guston pouvait être interprété plus clairement ».

Pour le vernissage de l’exposition au Museum of Fine Arts de Boston, en 2022, les visiteurs s’étaient vus remettre un dépliant rédigé par un spécialiste des traumatismes leur proposant d’éviter les œuvres traitant du Klan.

Le Jewish Museum semble ne pas s’émouvoir de cette controverse. Lorsque j’ai interrogé Shaykin à ce sujet, elle m’a répondu que l’exposition Guston-Hancock était déjà en cours d’organisation lorsque l’histoire de la controverse est arrivée à ses oreilles.

« Je crois que cela a rendu plus indispensable encore l’évocation du travail de Guston, avec une référence à un artiste contemporain », précise-t-elle.

Détail de « Step and Screw Part Too Soon Beneath the Bloody Red Moon » (2018), oeuvre de Trenton Doyle Hancock qui représente l’alter ego de l’artiste, Torpedoboy, à gauche, et un personnage emprunté à l’imagier de Philip Guston sur les membres du Klan. (Collection de Mandy et Cliff Einstein, Los Angeles via la JTA)

Un panneau, devant le musée, annonce que l’exposition contient des « mots crus » ainsi que des « scènes de violence et lynchages ».

James Snyder, directeur du Jewish Museum, est lui aussi de l’avis que l’exposition tombe à point nommé, politiquement parlant.

« Notre idée n’est pas de faire de la politique », expliquait-il le jour de la présentation de l’exposition à la presse, « mais si l’on repense à ce qui s’est passé le jour des élections, cette exposition ne pourrait pas mieux tomber et il est plus important que jamais de la voir. »

Ce qui s’est passé, à l’évidence, se réfère à l’élection de Donald Trump pour un second mandat non consécutif. Et si quelqu’un n’aime pas la satire, c’est bien Trump. Trump, qui a été la cible de la quasi-totalité des talk-shows de fin de soirée, qui le décrivaient comme un raciste, un despote, un escroc et un grossier personnage. Une semaine avant les élections, Jimmy Kimmel avait lancé un appel aux Républicains pour qu’ils se désolidarisent de Trump, qu’il a qualifié de « point commun entre QAnon et QVC [NDLT : chaine de télé-achat] ». Pendant des années, Stephen Colbert s’est refusé à l’appeler par son nom.

Méritées ou non, les plaisanteries sur Trump n’ont en rien entamé sa popularité – il est même possible qu’elles y aient contribué.

Dans un récent épisode de son podcast, « Revisionist History », Malcolm Gladwell parle du « paradoxe de la satire », c’est-à-dire l’idée que la satire, en rendant ses cibles amusantes, les rende en fait plus sympathiques. Il en veut pour preuve une citation de Jonathan Coe, écrivain britannique qui a soutenu dans un essai, en 2023 « Non seulement le rire est-il inefficace pour protester, mais il s’y substitue ».

« Le rire, d’une certaine manière, est une sorte de solution de tout dernier recours », dit Coe à Gladwell. « Face à un problème complètement insoluble, une situation pour laquelle il n’existe – et n’existera jamais – de solution humaine, alors OK, rions-en. »

Dans les années 1920, des membres du KKK défilent à Washington, DC (Domaine public)

Cela n’a rien à voir avec le fait que Guston et Hancock ne fassent pas preuve de suffisamment de sérieux dans leurs œuvres. L’art provoque et dérange, et ce, à juste titre.

L’exposition suggère que Guston, nom qu’il a substitué à « Goldstein » en 1935, s’est senti coupable d’avoir renié à cet aspect son identité et, quelque part, complice des membres du Klan qui voulaient à la fois se débarrasser des Juifs et des afro-américains.

« Ce sont des autoportraits », a dit un jour Guston au sujet de ses peintures du Klan. « C’est moi, derrière tout ça. »

Les œuvres apparemment humoristiques de Hancock abordent elles aussi des sujets des plus sombres.

Le Klan était bien présent à Paris, au Texas, sa ville natale, et en 2021, une branche du KKK a tenté d’y organiser une « Conférence de l’unité blanche », finalement interdite par le conseil municipal.

Né au milieu des années 1970, Hancock admet, dans les pages du catalogue de l’exposition, avoir bénéficié du « gros travail » de ses aînés du mouvement des droits civiques. Mais en sa qualité d’homme et d’artiste afro-américain, il lui était impossible de fermer les yeux sur la persistance du racisme.

« Ce n’est qu’une fois plus âgé que j’ai commencé à retirer ces couches, ou à demander qu’on les enlève », explique-t-il.

C’est la raison pour laquelle les œuvres les plus efficaces de cette exposition ne sont pas satiriques. Tout sauf ça. C’est notamment le cas des premières œuvres de Guston qui, adolescent, représentait le Klan et les lynchages dans le plus pur style réaliste social de l’époque. Rien dans ces images sombres et effrayantes n’est caricatural ou ambigu.

L’œuvre sans doute la plus impressionnante de cette exposition est une installation vidéo de Hancock donnant à voir des images du champ de foire de Paris, au Texas, juxtaposées avec les photographies du lynchage d’un adolescent afro-américain, Henry Smith, qui y ont eu lieu en 1893. On y voit des centaines de personnes massées autour de la potence de fortune pour assister à l’exécution. Et qui ont l’air de passer un très bon moment.

Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de la JTA ou de sa société mère, 70 Faces Media.

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