La scientifique qui veut sauver le monde des astéroïdes. Qu’en dit le Midrash ?
À la Vilna Shul de Boston, dans le cadre de ses conférences Lifesavers, la Dre Nancy Chabot explique que la collaboration en matière de défense planétaire apporte la preuve d'un adage rabbinique

BOSTON – Les exemples abondent de catastrophes planétaires dues à l’impact d’un astéroïde, qu’elles soient réelles (comme pour l’extinction des dinosaures) ou fictives (les récents « Don’t Look Up » ou « Armageddon »). Mais bien peu de personnes peuvent dire qu’ils font quelque chose pour empêcher de tels désastres.
La Dre Nancy Chabot fait partie de ces quelques privilégiés.
Planétologue au Johns Hopkins Applied Physics Laboratory, Chabot a été en charge de la coordination d’un projet fort novateur de la NASA – le Double Asteroid Redirection Test ou DART -.
Le 26 septembre 2022, au moment où plus d’un million de personnes regardaient la télévision de la NASA, Dart déviait la trajectoire d’un astéroïde, et ce pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.
Cet astéroïde s’appelle Dimorphos, et il se trouve à 7 millions de kilomètres de la Terre dans le système d’astéroïdes Didymos, en orbite autour du soleil.
Ce mois-ci, dans le cadre d’une autre initiative, tout aussi unique en son genre, l’Agence spatiale européenne va lancer une sonde depuis la Floride pour se rendre dans Didymos et voir l’état de l’astéroïde après l’impact. Les résultats devraient être disponibles en 2027.
Hera – c’est le nom du le vaisseau spatial en question – sera lancé le 7 octobre – date terrible pour nombre d’Israéliens et Juifs un peu partout dans le monde. Selon la NASA, Hera a notamment pour objectif l’étude de l’impact laissé par DART sur Dimorphos et l’analyse de certains paramètres de l’astéroïde dont sa composition interne.
« Il est probable que 95% de la planète ignore que quelqu’un cherche à la sauver des astéroïdes. Cela n’entame en rien l’importance du projet », explique Chabot.
Dimorphos, rappelons-le, ne présentait aucun danger : il était l’occasion de faire un essai sur une cible lointaine. Le test a non seulement confirmé l’efficacité de DART, en cas de besoin, mais aussi l’importance de la défense planétaire, un sujet émergent. Qui a une dimension juive : si, comme le dit le Midrash, sauver une vie revient à sauver le monde entier, alors quel est l’équivalent spirituel de sauver le monde entier ? Cette question a servi d’argumentaire à la promotion d’une conférence donnée au printemps dernier par Chabot à la Vilna Shul, synagogue fondée lors de la grande vague d’immigration à Boston et depuis transformée en centre culturel juif.
L’une des choses à retenir de l’allocution de Mme Chabot est qu’il faut sauver le monde et susciter la coopération et la coordination internationales.
« Il s’agit d’un événement de portée mondiale pour la défense planétaire », a-t-elle affirmé devant un public très divers. « Il a rassemblé tout le monde – une soixantaine de télescopes répartis sur tous les continents, Antarctique y compris. »
D’une durée de huit ans, le projet DART a impliqué plus de 300 scientifiques de 29 pays et une centaine d’institutions, parmi lesquelles l’Institut Weizmann des sciences d’Israël.
DART, explique Chabot, « me donne le privilège de travailler chaque jour à quelque chose qui me dépasse ». Elle assure qu’il s’agit « d’un début, de la toute première étape d’une technologie destinée à protéger notre planète des astéroïdes ».

Elle revient sur la question du travail pour le bien commun lors de la séance de questions-réponses à l’occasion d’une question de Dalit Horn, le directeur exécutif de la Vilna Shul.
« L’équipe scientifique, ceux qui ont construit le vaisseau spatial, nos partenaires un peu partout dans le pays et le monde entier… Nous sommes nombreux à être fiers de travailler à une question totalement tournée vers l’avenir, pour créer les conditions d’un avenir dans lequel il fera bon vivre », explique Chabot, en disant de DART qu’il est « au-delà de tout ce que je pourrais faire seule ».
Le choix de Chabot pour les conférences Lifesavers de la Vilna Shul n’aurait pu être plus inspiré. Avant elle se sont succédés des documentaristes, un ancien esclave et un homme incarcéré avant d’être disculpé. C’est la première fois qu’un scientifique spécialisé dans la défense planétaire prend la parole.
C’est aussi la première fois que Chabot vient à la synagogue de Vilna. Élevée à Los Angeles et ancienne élève d’une école catholique, Chabot se dit non pratiquante. Elle dit son admiration pour le passé de la Vilna Shul, fondée en 1919 sur Beacon Hill à Boston pour servir de synagogue à une congrégation juive immigrante et qui connait une deuxième vie en tant que centre culturel juif.

L’espace est le thème de la soirée, jusqu’aux desserts. Les biscuits en forme de demi-lune, traditionnels de la pâtisserie juive, revêtent une signification toute particulière aux côtés des brownies galactiques.
La directrice des arts et de la culture de la Vilna Shul, Elyse Winick, a prévu des chansons juives et israéliennes liées, de près ou de loin, à l’espace, comme la très poignante « Zemer Nugeh », chanson d’amour en hébreu interprétée en 2003 par le regretté astronaute israélien Ilan Ramon à bord de la navette spatiale Columbia de triste mémoire.
Les participants à l’événement Vilna Shul ont l’occasion de revivre la mission DART à travers les mots et présentations de Chabot, venue avec de nombreuses images. Reflet du caractère international du projet, un vaisseau spatial de fabrication italienne, de la taille d’une mallette, appelé LICIACube, a accompagné la mission et pris des photos.
C’est qu’il y a eu beaucoup de choses à immortaliser. A commencer par DART, vaisseau spatial en forme de boîte équipé de sa propre caméra et alimenté à l’énergie solaire. D’un coût de 326 millions de dollars, il a été lancé depuis la base spatiale de Vandenberg en Californie, fin 2021, avec l’aide de SpaceX d’Elon Musk.

Comme l’explique Chabot, les astéroïdes sont de différentes tailles et, par conséquent, présentent des niveaux de menace variables. En tête de liste dans ces deux catégories se trouvent les 1 000 kilomètres de diamètre ou plus. La mauvaise nouvelle, c’est qu’ils peuvent provoquer des extinctions massives, mais la bonne, c’est que non seulement ils sont rares, mais encore que 95 % d’entre eux ont été identifiés et ne présentent aucune menace pour le moment.
En bas de la liste se trouvent des nouvelles plus inquiétantes : les astéroïdes d’environ 150 mètres de diamètre représentent une menace globale moins importante, mais peuvent tout de même causer des dégâts à une échelle régionale et potentiellement désastreux dans les zones densément peuplées. A l’instar de leurs homologues de plus grande taille, ces astéroïdes sont eux aussi rares. Mais on en a, à ce stade, détecté très peu, moins de 50 %. C’est précisément contre un tel astéroïde – Dimorphos – que DART a été envoyé.
Le but n’est pas de faire exploser l’astéroïde, à la manière du blockbuster de 1998 avec Bruce Willis, « Armageddon ».
« Parfois, les solutions les plus simples sont les meilleures », explique Chabot au Times of Israel lors d’une interview à l’étage de la Vilna Shul.

Grâce à un processus appelé impact cinétique, « nous enfonçons un vaisseau spatial dans l’astéroïde à grande vitesse de façon à pousser légèrement l’astéroïde », poursuit-elle. « L’objectif est qu’il ne se fracture pas en plusieurs morceaux… Mais qu’il ne soit plus sur une trajectoire de collision, qu’il continue de flotter pacifiquement dans l’espace. »
Comme elle l’explique au public en contrebas, le jour du test, le suspense était à son comble.
La navigation autonome de DART s’est activée, comme prévu, quatre heures avant l’impact. Le vaisseau spatial, désormais en pilotage autonome, a dû détecter lequel des deux astéroïdes était Dimorphos. Une fois fait, à 27 000 km de distance, il ne restait que 73 minutes avant l’impact.
À moins d’une heure de l’événement, le vaisseau spatial a commencé à allumer ses propulseurs pour intercepter l’astéroïde. Jusqu’au tout dernier moment, les observateurs ont pu voir la surface de l’astéroïde. Puis vint la collision, qui fit dévier l’astéroïde, détruisit le vaisseau spatial et rendit Chabot on ne peut plus heureuse.
« C’était difficile à croire », confie-t-elle au Times of Israel. « Il y avait eu tellement d’années de travail pour arriver à ce moment. J’étais littéralement collée aux écrans de contrôle… J’ai eu du mal à dormir pendant quelques jours. »

Après le discours, Winick, de la Vilna Shul, évoque l’importance que les sages accordent au fait de sauver une vie.
« Nancy en a parlé », témoigne Winick au Times of Israel, « en évoquant la nécessaire coopération sur la question… Faire partie de quelque chose qui vous transcende, qui va changer les choses. C’est l’idée-même à la base des conférences Lifesavers… Il s’agit de personnes qui changent les choses, améliorent la vie des autres, rendent le monde meilleur. »
La Terre sait désormais que les pays peuvent s’unir pour protéger la vie de ses habitants.
« La recherche, la détection et le suivi sont les pierres angulaires de cette entreprise », explique M. Chabot à l’auditoire. « Nous sommes tous sur la même planète. »

Ils sont nombreux, en plus d’elle, à avoir un œil sur un astéroïde supposé passer relativement près de la Terre en 2029 : Apophis, qui fait environ deux fois la taille de Dimorphos.
« Il ne va pas heurter la Terre », rassure Chabot, « même si ce sera immanquablement un événement car cela va tomber un vendredi 13. Cela ne s’invente pas. »
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