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Entretien / ‘Pour moi, la plus grande chance que vous pouvez avoir est d’être heureux dans votre travail. Gagner sa vie avec bonheur’

Le prix Genesis d’Itzhak Perlman est un instrument pour le succès d’autres personnes

Le violoniste qui prévoit de donner le million de dollars de son “Nobel juif” à des œuvres de charité prône la curiosité en musique et confie comment il a autrefois aidé une journaliste du Times of Israël

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Le violiniste Itzhak Perlman parle à ses étudiants  (Crédit : Jessica Steinberg/Times of Israel)
Le violiniste Itzhak Perlman parle à ses étudiants (Crédit : Jessica Steinberg/Times of Israel)

L’enfant du pays Itzhak Perlman était mardi à la fois roi et bouffon pendant qu’il recevait à l’hôtel King David de Jérusalem, avant la cérémonie du 23 juin, à l’occasion de sa plus récente récompense, le prix Genesis, appelé par certains le « Nobel juif ».

Lancé en 2014, le prix est financé par une dotation de 100 millions de dollars et est organisé en partenariat avec le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu, la Fondation privée du prix Genesis et l’Agence juive. Les précédents lauréats étaient le maire de New York Michael Bloomberg, et l’acteur Michael Douglas.

Le facétieux violoniste virtuose de 70 ans a reçu le prix d’un million de dollars de cette année pour ses réussites en tant que musicien, professeur, et défenseur des handicapés. Cela arrive après ses récompenses de l’année dernière, quand il a reçu la médaille présidentielle de la Liberté du président américain Barack Obama, riant, qui a estimé que Perlman était « le violoniste le plus aimé de notre époque ».

Et tandis qu’il est le fier grand-père de 11 enfants, Perlman, qui a attrapé la polio à quatre ans et a depuis gagné les scènes du monde entier sur un scooter électrique ou des béquilles, ne montre aucun signe de ralentissement.

Perlman est un nom international, une rare célébrité de la musique classique qui entre autant dans les maisons par des émissions d’entretien tardives, que par les émissions de PBS comme « Rue Sésame » ou « Grandes performances ». Sa carrière dure depuis des décennies, et comprend des genres délaissés par la plupart de ses contemporains.

La discographie de Perlman comprend les grands concertos pour violons, de Bach à Beethoven, en passant par Brahms. Mais parmi les douzaines de disques, on retrouve quelques volumes de jazz, du klezmer, a bissele de musique folklorique chinoise avec le violoncelliste Yo-Yo Ma, plusieurs bandes originales pour Hollywood, et même un solo de violon non crédité dans le chanson sorti en 1989 par Billy Joel, « The Downeaster Alexa ».

Pendant un entretien sur de nombreux sujets mardi avec le Times of Israel, Perlman a parlé de l’importance de la curiosité, et de comment le thème musical très juif de la « Liste de Schindler » transcende la politique internationale.

L'actrice Helen Mirren animera la cérémonie de remise du prix Genesis, à Jérusalem, le 23 juin 2016. (Crédit : Facebook)
L’actrice Helen Mirren animera la cérémonie de remise du prix Genesis, à Jérusalem, le 23 juin 2016. (Crédit : Facebook)

Tout d’abord, mazal tov pour votre prix Genesis. Il a été dit que vous utiliserez l’argent pour financer des travaux dans l’éducation musicale et dans le domaine du handicap. Avez-vous en tête quelque chose de particulier ?

C’est l’un des défis de ce prix : à qui donnez-vous l’argent ? Et il semble que ce soit un défi très simple, mais ça ne l’est pas, parce qu’il y a beaucoup d’associations, et tant de projets, et je dois réfléchir à quelque chose pour lequel j’ai des sentiments forts. Vous parlez d’un minimum d’un million de dollars, ce qui, quand vous y pensez, n’est pas tant que ça.

Cela me semble beaucoup.

Mais quand vous pensez à le donner, ce n’est pas tant. Et en conséquence, vous devez tout répartir. C’est une chose.

L’autre chose est que je crois à l’idée de la charité des personnes dont je sais qu’elles pourraient dire j’ai aidé cette personne, ou celle-là. Et ce n’est presque pas à propos de combien cela représente, mais de quel effet cet argent va avoir, que ce soit sur une organisation ou sur une personne, ou sur un projet, etc. C’est un défi qui va demander beaucoup de recherches, et c’est le processus que nous suivons à présent.

Alors il y a deux choses qui m’intéressent, qui sont la musique et les problèmes des personnes ayant un handicap, et c’est là-dessus que nous nous concentrons, et ensuite nous verrons.

Le violoniste israélo-américain Itzhak Perlman. (Crédit : Lisa Marie Mazzucco)
Le violoniste israélo-américain Itzhak Perlman. (Crédit : Lisa Marie Mazzucco)

J’imagine que, parfois, vous aidez des personnes sans même le savoir. Vous m’avez personnellement aidée il y a 20 ans.

Je dois entendre ça.

D’accord, alors j’étais à l’école de musique de l’université d’Indiana, jouant du violon, et je me suis blessée. Tendinite.

C’est une vieille histoire…

Et j’ai rapidement réalisé que ma carrière était terminée avant d’avoir commencé. Mais, vous veniez de sortir « In the Fiddler’s House », et j’ai réalisé qu’au lieu d’être piégée dans le régime de la musique classique, je pouvais le quitter, et jouer pour le plaisir, et ressentir de la joie à jouer encore. Alors j’ai rejoint un groupe klezmer, et vous m’avez réellement aidée à rapporter la joie dans ma vie, alors merci.

Eh bien, c’est très bien. Eh bien, vous voyez, votre histoire ressemble à quelques histoires que j’ai eues quand j’enseignais. J’ai eu un étudiant, plutôt bon, violoniste très talentueux, qui a eu des problèmes de tendinite et a arrêté de jouer, et est devenu récipiendaire d’une bourse de la fondation Rhodes. Alors, pas si mal !

Un boursier Rhodes, une journaliste… la vie continue.

Exactement. Le truc, avec une vie dans la musique, c’est que vous devez d’abord aimer ce que vous faites. Et un autre problème que les étudiants en musique ont parfois, est que quand ils sont diplômés, ils se demandent ce qu’ils vont faire de leur vie.

Et je réponds que votre attitude doit être de ne jamais avoir une seule chose que vous voulez faire et si vous ne pouvez pas faire cette chose, votre vie est terminée, ou vous ne pouvez rien faire d’autre. Parce que si vous êtes un musicien, vous avez déjà la chance d’avoir quelque chose dans les arts dont vous êtes proche. Et il y a tant de choses que vous pouvez faire dans la musique. Je veux dire, si vous êtes violoniste, jouer des concerts, être solo dans un orchestre, c’est très, très agréable. Jouer avec un orchestre est aussi très agréable, jouer de la musique de chambre est très agréable, enseigner est très agréable.

Tant que vous avez une passion pour ce que vous faites, et pour moi, la plus grande chance que vous pouvez avoir est d’être heureux dans votre travail. Gagner sa vie avec bonheur. Et c’est parfois quelque chose qui n’est pas si commun.

C’est tout à fait vrai, et je me sens bénie de la même manière dans le journalisme. A 100 %. Vous êtes plusieurs fois sorti du cadre dans votre carrière, du cadre de la musique classique, et vous avez fait des albums de jazz, vous avez fait du klezmer, vous avez fait de la musique chinoise. Comment cela est-il arrivé, et quand vous avez fait votre premier album de jazz, c’était en 1980 ?

J’imagine, avec [André] Previn.

Comment y êtes-vous arrivé, et quels sentiments avez-vous ressentis ?

Eh bien, écoutez, le truc c’est que, beaucoup de gens le disent, eh bien, vous êtes un très bon joueur de jazz, et je leur réponds, je ne suis pas un joueur de jazz, je joue du jazz. Et, à vrai dire, j’aime raconter cette histoire parce qu’elle est vraiment vraie. Quand j’enregistrais un autre album de jazz – vous avez mentionné André Previn – mais avec un autre pianiste de jazz, Oscar Peterson, j’ai aussi enregistré avec lui [« Side by side » en 1994]. Juste parce que j’étais curieux de savoir comment cela serait.

Et le truc avec la curiosité, c’est que parfois ça ne marche pas. Et je pense que je juge assez bien de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Et si ça ne marche pas, je ne veux tout simplement pas le faire. Alors je faisais cet enregistrement avec Peterson et après une prise, il me semble que c’était un morceau plutôt connu, nous écoutons la restitution, et la personne qui en est responsable me dit, il dit, « Cela ne sonne pas comme du jazz pour moi, ça ressemblait plus à du klezmer. »

C’était la première fois que je découvrais que je pouvais en fait jouer de la musique klezmer ; parce que c’était quelque chose de positif sorti de quelque chose de négatif.

Et avec le jazz bien sûr, c’est incroyablement compliqué parce qu’il faut improviser. Et vous savez, nous les musiciens classiques, nous n’improvisons pas. La seule chose que nous improvisons est une sorte de musicalité, mais ce n’est pas vraiment changer les notes et des choses comme ça.

https://youtu.be/gNWQyu9Kcbk

Mais ça n’a pas toujours été ainsi, non ? Autrefois, pendant un concerto un joueur improvisait vraiment.

Eh bien, Beethoven était un très grand improvisateur et Mozart aussi, etc., mais plus aujourd’hui. Aujourd’hui, nous sommes le peuple de la page, vous savez, opposé au peuple du livre. Alors les choses agréables et les choses inhabituelles dont parle le jazz, pourrais-je trouver un ton que je connais et ensuite improviser ? Et c’est pour ça que j’ai eu le sentiment d’un défi incroyable. Particulièrement pour l’enregistrement avec Oscar Peterson, parce qu’avec André Previn, il avait en fait écrit pour moi.

Oui, j’avais lu ça. Et donc vous étiez avec Oscar Peterson en 1994, il me semble que c’est sorti ? Et votre album suivant, si je ne me trompe pas, était l’album klezmer. Et alors, l’un a-t-il mené à l’autre ?

Non. C’était un accident. C’était juste au moment où ils préparaient un programme klezmer pour PBS il me semble, et ils m’ont appelé et m’ont demandé si je voulais l’animer. Juste parce que j’étais juif. Et donc j’ai dit oui, j’ai demandé « Qu’est-ce qu’ils font ? » Et ils m’ont répondu « Ah, ils jouent des trucs ». Et là, quelqu’un a dit, « Vous voulez nous rejoindre, juste pour le plaisir ? » Et j’étais sous le charme.

Et tout d’un coup, j’ai senti « Oh mon Dieu, c’est quelque chose que je pourrais commencer à aimer ». Particulièrement depuis que je l’ai senti. Je l’ai senti pendant que je grandissais, j’imagine. Le son ne m’était pas du tout étranger.

Vous aviez du klezmer à la maison en grandissant ?

Pas particulièrement. Mais vous savez, vous l’entendiez à la radio.

Vos parents venaient de Pologne et vous avez joué avec l’orchestre philharmonique d’Israël pendant ses premiers concerts en Europe de l’Est. Comment était-ce pour vous, de retourner dans le pays de vos parents ?

‘Le baromètre des relations entre Israël et les autres pays a toujours été les invitations du philharmonique d’Israël’

C’était très émouvant. Au début, nous sommes allés en Russie, et quand nous écoutions « Hatikvah », l’hymne national israélien, à Moscou, avec l’orchestre, je pleurais, pleurais, pleurais, particulièrement quand beaucoup de personnes dans la salle ne chantaient pas, parce qu’elles ne le connaissaient pas.

Et aujourd’hui, ils sont peut-être ici, en Israël.

Oui. Bien sûr, le baromètre des relations entre Israël et les autres pays a toujours été les invitations du philharmonique d’Israël.

Ma première expérience avec le philharmonique invité en Russie a été négative. J’étais à l’aéroport et j’étais en fait au comptoir des billets quand ils ont dit « Nous ne partons pas ». Parce que les relations s’étaient refroidies, l’orchestre et la tournée avaient été annulés. Puis ça a été rétabli, donc nous y sommes allés.

C’est pour ça que je l’ai toujours dit, c’est comme un baromètre. Si les choses se réchauffent politiquement, alors le philharmonique d’Israël est, je cite, « autorisé » à partir, et donc nous y sommes allés [en Russie]. Nous avons été en Pologne, et nous avons aussi été en Hongrie il me semble. Et c’était un moment très excitant.

Est-ce que d’une certaine manière vous avez le sentiment de représenter Israël dans le monde quand vous voyagez ?

Quand je voyage avec le philharmonique d’Israël, certainement. Mais, à présent, je pense que les gens savent qui je suis, et je vis aux Etats-Unis depuis 1958. Je suis né en Israël, donc je suis à la fois un artiste israélien et certains parlent de moi comme d’un artiste américain. Je ne sais pas, appelez-moi simplement un artiste ; si j’ai cette chance.

Aujourd’hui, on parle beaucoup du mouvement BDS contre Israël, le mouvement de Boycott, Désinvestissements et Sanctions. Vous en avez entendu parler ?

J’en ai entendu parlé. Je ne rentre pas là-dedans. Je pense juste que c’est horrible.

Mais cela ne vous touche pas personnellement ?

Non, mais c’est horrible. C’est dégoûtant, et le truc c’est que j’espère simplement que la musique est quelque chose qui peut aider à rassembler tout le monde. Je pense que oui, que vous jouiez en Israël, dans l’ancienne Union soviétique, ou n’importe où, en Amérique du Sud ou en Extrême Orient.

Au fait, juste pour que vous le sachiez, le morceau que l’on me demande le plus est le thème de la « Liste de Schindler ». Absolument incroyable. Et tout d’un coup, vous oubliez ce qui se passe politiquement, et peu importe où vous êtes dans le monde, c’est ce qu’ils demandent, et je suis toujours stupéfait de cela.

J’ai dit ça à John Williams [qui a composé la bande son de la « Liste de Schindler »] et il ne comprend pas non plus. Eh bien, tout d’abord, c’est un bon morceau, mais le thème du morceau est si proche de ce qui arrive dans l’histoire juive. Mais pourtant, c’est ce que les gens veulent entendre.

Et cela vous convient comme héritage ?

Absolument.

Qu’est-ce que vous aimeriez d’autres comme héritage ?

Ce que je voudrais avoir, je voudrais avoir la paix. Point. Vous savez, le monde est fou.

Vous avez cinq enfants.

Et 11 petits-enfants.

Est-ce qu’ils sont en paix ?

Ils sont en paix, oui Absolument. C’est ce qui est extraordinaire pour moi. C’est l’une de réussites dont nous sommes le plus fiers, ma femme Toby et moi. Avoir cinq enfants en paix les uns avec les autres. Et les 11 petits-enfants que nous avons.

C’est une bracha [bénédiction].

Oui , absolument.

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