Israël en guerre - Jour 393

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Le Qatar, négociateur incontournable pour faire libérer les otages du Hamas

L'émirat a une position singulière, étant parvenu à entretenir des relations cordiales avec les puissances occidentales tout en gardant des liens avec des groupes radicaux

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, à gauche, rencontrant le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari Cheikh Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani dans un hôtel au cours d'une journée d'entretiens dans le cadre du conflit en cours entre Israël et Gaza, le 4 novembre 2023. (Crédit : Jonathan Ernst/AP)
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, à gauche, rencontrant le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari Cheikh Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani dans un hôtel au cours d'une journée d'entretiens dans le cadre du conflit en cours entre Israël et Gaza, le 4 novembre 2023. (Crédit : Jonathan Ernst/AP)

En facilitant la libération d’otages détenus par le Hamas, le Qatar confirme son rôle de médiateur incontournable entre Occidentaux et mouvements radicaux, tout en mettant en sourdine les critiques sur ses liens avec le groupe terroriste palestinien.

L’accord trouvé tôt mercredi entre le Hamas, qui détient quelque 240 otages israéliens et étrangers, et Israël via Doha, est l’incarnation « de ce que nous pouvons faire et que personne d’autre ne peut faire », s’est félicité le porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères, Majed Al-Ansari.

« Nous avons engagé tout le pays dans ce sens. Si ça ne marche pas, c’est l’enfer », a-t-il encore avancé à l’AFP.

Et les remerciements n’ont pas tardé : le Congrès mondial juif, via son président, a ainsi exprimé dans un communiqué sa « profonde gratitude » au Qatar « pour son rôle dans la libération imminente » de premiers otages.

De nombreux experts notent la position singulière du petit émirat du Golfe, qui est parvenu à entretenir des relations chaleureuses avec les puissances occidentales tout en gardant des liens avec des groupes radicaux et des États considérés comme des parias, même par ses alliés proches.

Le Qatar « a un atout que les autres candidats à la négociation n’ont pas : il abrite la direction politique du Hamas » à Doha depuis une dizaine d’années, souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et la Méditerranée, basé à Genève.

Or c’est « la seule habilitée à négocier au nom du Hamas et au nom des Brigades Ezzedine al-Qassam », la branche armée du groupe islamiste palestinien, explique-t-il.

Des personnes brandissant des affiches de disparus pour demander la libération des quelque 230 otages détenus à Gaza par le Hamas après les attaques menées contre Israël le 7 octobre, devant l’ambassade du Qatar à Londres, le 29 octobre 2023. (Crédit : Justin Tallis/AFP)

« Jeu de dupes »

Au sein des pays du Golfe, le père de l’émir Al-Thani est le seul à avoir, en 2012, effectué une visite à Gaza, alors contrôlé par le Hamas depuis cinq ans, observe Hasni Abidi. Le riche État gazier est aussi un soutien financier fidèle, qui contribue de longue date à payer les salaires des fonctionnaires de la bande de Gaza.

Bien que l’Egypte ait été le principal médiateur entre Israël et les groupes palestiniens ces dernières années et dit avoir joué un rôle dans la médiation, et bien que la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan ait offert ses services, le Qatar est apparu comme le plus légitime à œuvrer au retour des otages en toute sécurité.

Doha, qui bénéficie d’un statut de partenaire privilégié de l’Alliance atlantique, est en outre respecté par les États-Unis, fidèles alliés d’Israël.

« Il abrite la plus grande base militaire américaine dans la région », rappelle Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.

Pas étonnant donc que le Qatar mène une intense activité diplomatique depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée le 7 octobre après les attaques sanglantes du groupe terroriste qui ont fait plus de 1 200 morts en Israël.

Natalie Raanan, 3e à gauche, et Judith Raanan, à droite, à leur arrivée en Israël après avoir été libérées de la captivité du Hamas, alors que l’envoyé du gouvernement pour les otages, Gal Hirsch, au centre, leur tient la main, le 20 octobre 2023. (Autorisation)

Le 21 octobre, il avait déjà obtenu la libération de deux Américaines avant celle de deux Israéliennes quelques jours plus tard.

Le Qatar s’est « spécialisé dans la libération d’otages » et a donc pu tirer les bénéfices de ses expériences passées, relève Etienne Dignat, chercheur au Centre de recherches internationales.

« C’est le pays qui parle à tout le monde, y compris aux ‘infréquentables’, et qui a de bons réseaux », dit-il.

Et « c’est justement l’accumulation de ces médiations qui fait de lui un interlocuteur incontournable », poursuit Hasni Abidi.

Doha est en effet intervenu en septembre dans la libération d’Américains détenus en Iran, et a facilité la libération en mai dernier de l’humanitaire belge Olivier Vandecasteele, également détenu par Téhéran.

Il avait aussi joué un rôle dans la libération en 2013 d’une enseignante suisse enlevée au Yémen ou encore dans la libération d’otages au Mali la même année.

Plus récemment, le 16 octobre, alors que tous les regards étaient tournés vers Gaza, le Qatar a annoncé avoir rapatrié en Ukraine des enfants ukrainiens qui avaient été enlevés par la Russie.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’adresse à l’ouverture du Forum de Doha dans la capitale du Qatar, le 26 mars 2022. (Crédit : AMMAR ABD RABBO / MOFA / FORUM DE DOHA)

Intermédiaire « commode »

C’est un intermédiaire « très commode pour les Occidentaux qui se retrouvent aujourd’hui dans une position très inconfortable », observe Etienne Dignat.

« S’ils négocient, on les accuse de compromission. S’ils refusent, on les accuse d’insensibilité au sort des otages », explique-t-il. « On assiste donc à un jeu de dupes qui leur permet de sauver les apparences tout en cherchant à obtenir des libérations. »

« Chacun y trouve son compte », poursuit-il alors que dans le passé, l’émirat avait invité les talibans à ouvrir un bureau à Doha avec l’aval des États-Unis, permettant de négocier le retrait des forces américaines d’Afghanistan en 2021, suivi du retour des talibans au pouvoir.

Pour le Qatar, la libération d’otages du Hamas « relégitimise (…) son rôle d’État indispensable qui fait le ‘sale boulot' » malgré les critiques, souligne Hasni Abidi, en référence à Washington qui a averti son allié qu’il ne pouvait plus y avoir de « statu quo avec le Hamas ».

Avec la crise à Gaza, le Qatar a pu une nouvelle fois se démarquer des autres pays du Golfe qui, menés par l’Arabie saoudite, lui avaient imposé en 2017 un blocus, exigeant qu’il rompe ses liens avec le Hamas et les Frères musulmans et qu’il réduise ses relations avec l’Iran.

« Le Qatar, c’est un tout petit pays, qui depuis sa création essaie de trouver sa propre voie lui permettant (…) de ne pas être complètement dans l’orbite saoudienne », souligne Agnès Levallois.

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