Le Royaume-Uni va enquêter sur la dissimulation possible de camps nazis sur une île anglo-normande
Des victimes de 20 pays avaient été envoyées à Aurigny et notamment des centaines de Juifs français ; la Grande-Bretagne avait libéré ses responsables nazis sans poursuites judiciaires en 1945, et ce, malgré un accord entre les Alliés
Au Royaume-Uni, une commission d’enquête qui est chargée d’examiner les atrocités nazies qui avaient été commises sur l’île anglo-normande d’Aurigny, pendant la Seconde Guerre mondiale, va lancer de nouvelles investigations visant à déterminer pourquoi le gouvernement britannique avait, à l’époque, renoncé à poursuivre en justice les officiers allemands responsables de ces crimes, a annoncé le Guardian dans son édition de samedi.
L’armée allemande, qui avait conquis les îles anglo-normandes après la défaite essuyée par les Alliés dans le cadre de la Bataille de France, en 1940, avait établi des camps de travail et des camps de concentration – mais pas de camp d’extermination – sur l’île d’Aurigny, une île au gouvernement autonome. Cela avait été le seul exemple de camps nazis sur le sol de la Grande-Bretagne.
Des prisonniers en provenance d’environ 20 pays, et notamment des centaines de Juifs français, avaient été envoyés dans l’île où des travailleurs forcés, réduits en esclavage, avaient construit une partie du « mur de l’Atlantique » d’Adolf Hitler – un mur côtier de défense qui, espérait le führer, aiderait à déjouer une incursion des Alliés sur le continent.
Le gouvernement britannique, qui avait recapturé les îles en 1945, avait finalement renoncé à traduire en justice les officiers allemands qui avaient été arrêtés là-bas avec parmi eux le major Carl Hoffman, commandant de l’armée allemande à Aurigny pendant la guerre. Un renoncement survenu malgré la Déclaration de Moscou sur les atrocités – les Alliés avaient ainsi, en 1943, décidé que les criminels nazis seraient jugés à l’endroit même où ils avaient perpétré leurs crimes. En 1981, le Guardian avait révélé que de multiples officiers nazis, responsables des atrocités commises à Aurigny, menaient une existence sans contrainte et tranquille en Allemagne.
Des centaines de personnes avaient été tuées dans les camps d’Aurigny et un grand nombre de personnes supplémentaires avaient été envoyées dans les camps d’extermination situés sur le continent – mais le manque de documentation et la pratique allemande consistant à jeter les cadavres à la mer ont empêché la commission d’enquête d’établir de manière précise l’ampleur de l’horreur, ce qui était l’objectif initial de ses travaux. La Commission avait toutefois été poussée, dès sa création, à enquêter sur la raison pour laquelle les criminels de guerre nazis avaient échappé à la justice, en Grande-Bretagne.
« C’est important – et non seulement parce que ces événements se sont produits sur le sol britannique, mais aussi compte-tenu de la barbarie et de l’inhumanité pures qui se sont manifestées dans ce contexte », a commenté auprès du Guardian l’envoyé chargé de la Shoah du sein du gouvernement britannique, Lord Eric Pickles. « Depuis le tout début, la grande interrogation était de savoir pourquoi il n’y avait pas eu de procès pour crimes de guerre pour toutes les atrocités qui ont été commises ici ».
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Pickles a été poussé à élargir l’enquête par le professeur Anthony Glees, expert des renseignements qui avait conseillé la Commission qui avait été chargée d’enquêter sur les crimes de guerre nazis par la Première ministre Margaret Thatcher, en 1989. L’appel lancé par Glees avait été soutenu par Dame Margaret Hodge, députée Travailliste et fille de réfugiés juifs qui avaient fui les nazis.
« Ce qui est réellement choquant et ce qui doit être souligné, c’est qu’au-delà des chiffres, il est absolument vrai que les nazis avaient amené leur état d’esprit exterminatoire à Aurigny et qu’ils ont été impliqués dans les brutalités les plus indicibles et inimaginables, dans des actes de sadisme, ce qui a entraîné de nombreux morts sur l’île », a dit Glees, des propos repris dans l’article. « Lord Pickles m’a demandé de découvrir pourquoi les responsables de ces crimes n’avaient pas été présentés devant les juges ».
Le professeur Dan Plesch, spécialiste des crimes de guerre, a élaboré tout un dossier de documents historiques qui a été confié à la Commission, selon l’article. Le dossier a révélé la manière dont le gouvernement britannique avait constamment manqué les opportunités de traduire en justice les officiers allemands.
Un rapport établi par la Commission des crimes de guerre des Nations unies figurait dans ce dossier. Il qualifiait les atrocités commises sur l’île de « terrorisme systématique » avec notamment « des meurtres », « des massacres » et « des actes de torture visant des civils ».
Le fait que la Commission de l’ONU, qui a mené ses travaux entre 1943 et 1948, a été en mesure de produire un tel document démontre que le gouvernement britannique a manqué des occasions de juger les responsables nazis à l’origine de ces crimes, a noté l’article.
« Les crimes nazis commis à Aurigny – avec une démarche d’extermination et des exécutions occasionnelles – ont été condamnés par une autorité juridique internationale, dans les années 1940, qui était dirigée par la Grande-Bretagne », a commenté Plesch auprès du Guardian. Il a ajouté que « les accusés auraient dû être jugés devant un tribunal britannique pour les faits commis sur le sol britannique, et conformément à la loi britannique sur les crimes de guerre. »