Les EAU et l’AP en conflit sur fond de liens croissants entre Israël et le Golfe
Abu Dhabi soutient le rival d'Abbas et les dons à l'AP se font rares ; les responsables de l'Autorité palestinienne accusent les Émirats de soutenir le plan de paix de Trump
Au cours de la dernière décennie, Israël et les Emirats arabes unis ont lentement tissé des liens en coulisses. En 2010, un ministre israélien avait assisté à une conférence à Abu Dhabi, capitale des Emirats arabes unis. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre émirati des Affaires étrangères Abdullah bin Zayed se seraient rencontrés à New York, en 2012. Israël a ouvert une mission diplomatique dans une instance des Nations unies au sein de la capitale émiratie en 2015 et les forces aériennes israéliennes et émiraties ont participé aux mêmes exercices en 2016, 2017, et 2018.
Au cours des dernières semaines toutefois, les deux pays – qui considèrent l’Iran comme une menace majeure – ont effectué des démarches supplémentaires importantes pour renforcer ces liens. La ministre de la Culture Miri Regev s’est rendue à Abu Dhabi, à la fin du mois d’octobre, pour assister à un tournoi de judo, où les responsables des Emirats ont semblé la traiter, aux côtés des judokas israéliens, avec une grande hospitalité. Et non seulement les responsables de ce pays du Golfe ont permis à l’hymne national israélien de résonner à deux occasions en l’honneur des deux médaillés d’or de l’Etat juif, mais ils ont également emmené Regev visiter la grande mosquée Sheikh Zayed d’Abu Dhabi.
Deux jours après le départ de Regev, le ministre des Communications Ayoub Kara a atterri à Dubaï où il a participé à une conférence internationale sur les télécommunications. Kara, qui est druze, a fait un discours en arabe devant l’assemblée et il a passé quatre jours dans le pays.
Et alors qu’Israël et les EAU ont développé, petit à petit, des liens, les relations d’Abu Dhabi avec Ramallah se sont enlisées.
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas se rend fréquemment dans les pays de tout le Moyen-Orient. Au cours de l’année passée seulement, il est allé, entre autres, en Egypte, en Jordanie, en Arabie saoudite, à Oman et au Qatar.
Néanmoins, sa dernière visite aux Emirats arabes unis remonte à 2011. Il y avait rencontré le prince héritier Muhammed bin Zayed à Abu Dhabi.
De plus, les EAU – anciens financiers de premier plan de l’AP – ont arrêté d’envoyer des fonds au gouvernement de Ramallah.
Les registres du ministère de l’AP indiquent que les Emirats ont transféré une somme annuelle moyenne de 87,8 millions de dollars à l’Autorité palestinienne entre 2008 et 2013. Mais depuis le début de l’année 2014, ils indiquent qu’Abu Dhabi n’a pas versé un centime dans les coffres de l’Autorité palestinienne.
Les Emirats arabes unis ont envoyé de l’argent à la Cisjordanie et à Gaza par le biais des Nations unies et autres organisations et, dans certains cas, ils ont contourné l’AP. Début 2018, par exemple, Abu Dhabi a envoyé deux millions de dollars à l’ONU pour l’approvisionnement en fioul dans les hôpitaux de Gaza.
Plus récemment, la frustration des Palestiniens face aux Emirats arabes unis a été exprimée par Abbas et d’autres hauts-responsables palestiniens.
Abbas s’en est pris à un ministre arabe dans un discours prononcé à la télévision au sein d’une instance de l’Organisation de libération de la Palestine au mois de janvier, l’accusant de critiquer la réaction de la population palestinienne à la décision prise par l’administration américaine de transférer son ambassade en Israël à Jérusalem. Le ministre, selon Abbas, avait estimé que les Palestiniens « ne se sont pas soulevés avec force » contre cette relocalisation de la mission américaine.
Le ministre auquel Abbas se référait était Anwar Gargash, ministre d’Etat aux Affaires étrangères émirati, ont indiqué trois responsables palestiniens au Times of Israel. Gargash avait tenu ces propos lors d’une rencontre des ministres arabes des Affaires étrangères, ont-ils noté.
Et dans l’enregistrement d’un entretien téléphonique qui a fuité au mois de novembre, Jabril Rajoub, une haute personnalité du Fatah, a accusé le prince Mohammad bin Zayed de tenter de promouvoir la vision de l’administration Trump de la paix israélo-palestinienne.
« La personne qui dirige le dossier est Mohammad bin Zayed, » a dit Rajoub à un responsable du Hamas, Husam Badran, au cours de l’appel téléphonique, se référant au plan de l’administration Trump.
Les Palestiniens s’opposent avec véhémence aux initiative de paix américaines et ils ont juré de ne pas seulement s’intéresser au plan de paix que les Etats-Unis vont rendre public.
Pourquoi les relations sont-elles aussi médiocres ?
Mais au cœur de la faiblesse des liens tissés entre les EAU et les Palestiniens, il y a Mohammad Dahlane, l’un des plus grands adversaires d’Abbas.
Dahlane, ancien chef de la sécurité qui a été accusé d’avoir tenté de renverser le leader de l’AP, a fui la Cisjordanie en 2011 après un raid des forces de l’Autorité palestinienne à son domicile, à proximité de Ramallah. Il s’est ensuite installé à Abu Dhabi et il est devenu rapidement un proche conseiller du prince émirati.
« Le conflit entre les EAU et l’Autorité palestinienne est lié à l’adoption et à l’accueil de Mohammad Dahlane aux Emirats arabes unis », explique Jihad Harb, analyste et chercheur palestinien.
Depuis qu’il s’est installé aux Emirats, Dahlane est devenu l’un des critiques les plus féroces d’Abbas, le fustigeant pour la consolidation de son autorité au sein du Fatah, de l’AP et de l’OLP.
A Ramallah, Abbas a pour sa part été de plus en plus outré par le rôle confié à Dahlane par Abu Dhabi et par ses tentatives de détruire son influence dans la politique palestinienne.
Au dernier congrès du Fatah, en 2016, Abbas et les responsables palestiniens de Ramallah se sont assurés que Dahlane et un grand nombre de ses alliés ne seraient pas présents, les excluant ostensiblement et réduisant ainsi leur poids dans les processus décisionnaires de la formation.
« Les relations entre les EAU et l’AP sont médiocres depuis que les Emirats ont adopté Dahlan », explique Ziyad Iyad, professeur de sciences politiques à l’université Al-Quds. « Mais les relations entre les deux ont commencé à se détériorer substantiellement il y a à peu-près quatre ans, quand Abu Dhabi a commencé à ouvrir les portes de l’Egypte à Dahlane ».
Au cours des dernières années, les services de renseignement égyptiens ont reçu Dahlane. Ils l’ont également parfois autorisé à apporter sa contribution aux affaires palestiniennes et en particulier à celles qui concernant Gaza.
En 2017, l’Egypte a même permis à Dahlane de jouer un rôle dans l’envoi de millions de dollars émiratis à Gaza pour promouvoir les efforts sociaux de réconciliation.
« Avec l’aide des EAU, Dahlane a eu un rôle dans les relations égypto-palestiniennes », affirme Iyad. Abbas a considéré cela comme une interférence directe dans les affaires palestiniennes internes, comme un effort visant à promouvoir une alternative à son leadership ».
Et avec Dahlan et les Emirats arabes unis dans la même équipe, l’effondrement des liens entre les Palestiniens et les Emirats arabes unis ne peut probablement qu’empirer.
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