Les Juifs fuyant le Venezuela pour Israël face à des problèmes d’intégration
15 000 Juifs ont quitté le pays d'Amérique du Sud ces dix dernières années ; barrière de la langue et chômage sont les problèmes qu'ils rencontrent à leur arrivée dans l'État juif
Durant les dernières années du règne d’Hugo Chavez, Moshe Calzadilla avait peur de porter sa kippa dans les rues de Caracas au Venezuela.
Autrefois membre actif de la communauté juive locale du Venezuela, Calzadilla a émigré en Israël en novembre 2016. Il a récemment déclaré au Times of Israël, lors d’une interview téléphonique, que dans les années qui ont précédé la mort de Chavez en 2013, les Juifs avaient peur de montrer ouvertement des signes de leur religion.
La situation était bien différente de celle d’avant Chavez, a expliqué M. Calzadilla, alors que le Venezuela était fièrement pluraliste et qu’il était même l’un des rares pays à accueillir en 1938 des navires transportant des réfugiés juifs de l’Europe nazie.
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Néanmoins, lorsqu’on l’interroge sur l’antisémitisme dans la société et la politique vénézuéliennes, Calzadilla a pris soin d’éviter d’utiliser ce terme, faisant plutôt référence au sentiment anti-Israël. La discrimination, a expliqué M. Calzadilla, est d’ordre socio-économique et associe le judaïsme à la richesse.
Cependant, les tensions se sont généralisées depuis que le Venezuela a sombré dans la crise politico-économique qui frappe ce pays d’Amérique latine depuis 2013.
Depuis lors, environ 3,5 millions de concitoyens de Calzadilla ont fui le pays. L’escalade récente de la violence a entraîné le plus grand exode de l’histoire de l’Amérique latine, le Fonds monétaire international (FMI) s’attendant à ce que le nombre de migrants vénézuéliens atteigne 5 millions à la fin de cette année.
De nombreux membres de la communauté juive vénézuélienne – qui était 25 000 en 1999 – ont également émigré vers l’État juif. Aujourd’hui, il ne reste plus que 7 000 Juifs au Venezuela. Selon l’Agence juive, 683 Vénézuéliens se sont installés en Israël entre 2013 et début 2019.
Mais même si les Juifs vénézuéliens en Israël voient la crise s’aggraver de loin, les défis de leur migration et de leur intégration dans une nouvelle société affectent toujours leur vie quotidienne.
Parmi les nouveaux venus figurent Gabriel Rosendo Deutsch, 31 ans, et son épouse, Arbeilys Prieto, 28 ans, qui sont arrivés en Israël en juin 2018.
Autour d’une tasse fumante de café noir au Beit Canada Absorption Center à Jérusalem, où le couple suit un cours d’hébreu intensif gratuit, Rosendo Deutsch a avoué qu’ils étaient venus en Israël plutôt pour des raisons pratiques qu’idéologiques.
« En Espagne, nous aurions dû demander l’asile politique et les employeurs n’embauchent pas de personnes sans papiers », a déclaré Rosendo Deutsch, ajoutant qu’ils avaient également tenté à deux reprises d’émigrer en Colombie.
Selon la loi israélienne du retour, toute personne ayant au moins un grand-parent juif – ainsi que son conjoint et ses enfants – a droit à la citoyenneté, ce qui fait d’Israël une perspective intéressante pour ceux qui cherchent des horizons plus prometteurs. Cependant, les nouveaux arrivants font face à d’autres défis.
La langue est l’un des principaux obstacles à l’intégration – et à la recherche d’un bon emploi, un facteur clé pour aider les nouveaux immigrants à devenir autonomes après leurs cinq à six premiers mois de vie dans le logement subventionné du centre d’intégration.
Calzadilla, un psychologue avec « une expérience importante » acquise à Caracas, a dit que la pratique de sa profession en Israël est particulièrement difficile, du moins pour le moment, car elle « exige un niveau très élevé d’hébreu ».
M. Calzadilla a déclaré que les professionnels nouvellement arrivés sont souvent obligés de trouver des emplois temporaires tout en perfectionnant leurs compétences linguistiques. L’option la plus courante, a-t-il dit, est le travail en usine, bien que les conditions soient souvent désastreuses.
« Il y a beaucoup de négligences, aucune prise en compte de la sécurité industrielle sur le lieu de travail », a déclaré Calzadilla, ajoutant que « vous faîtes toujours des heures supplémentaires, il est donc très difficile de travailler et d’étudier en même temps ».
Beaucoup de ses compatriotes nouveaux arrivants ont choisi de se concentrer sur le travail plutôt que sur l’apprentissage de l’hébreu, ou ont cherché des emplois pour anglophones à Tel Aviv.
Calzadilla, quant à lui, a trouvé un emploi qui, sans correspondre exactement à ses compétences, lui permet de travailler en hébreu.
« Cela fait six mois que je travaille dans un lycée et je surveille les activités extrascolaires des élèves qui ne rentrent pas directement à la maison le soir », explique Calzadilla. « Les enfants sont de très bons enseignants », dit-il, mais il est difficile de joindre les deux bouts tout en travaillant à temps partiel.
Calzadilla estime que l’on peut faire davantage pour aider les immigrants vénézuéliens à entrer sur le marché du travail en Israël. D’autres personnes interrogées ont suggéré la création d’une base de données des entreprises qui ont besoin d’employés hispanophones.
Ceux arrivés avant donnent un coup de main aux nouveaux arrivants
Un certain nombre d’organisations tentent d’aider les immigrants vénézuéliens à surmonter ces difficultés.
Rivka Lobl Mitelberg est l’administratrice de Beit Venezuela, une organisation bénévole fondée il y a 10 ans pour aider les immigrants vénézuéliens en Israël.
Dans un café du centre-ville de Jérusalem, Mitelberg a déclaré au Times of Israël que l’organisation – qui opère également au Venezuela et a récemment accueilli son 5 000e membre – fonctionne comme une plateforme de réseautage social pour les Juifs vénézuéliens ayant déménagé ou souhaitant déménager en Israël.
« Ce que nous faisons essentiellement, c’est fournir des informations », a expliqué Mme Mitelberg, en précisant que l’objectif de l’organisation est d’informer les gens sur la vie en Israël et de fournir des conseils de base sur des procédures comme ouvrir un compte bancaire ou choisir la meilleure école pour leurs enfants.
Ceci se retrouve sur la page Facebook de Beit Venezuela, qui fournit une liste de professionnels à travers Israël tels que médecins, avocats, dentistes et électriciens, qui peuvent fournir des services à la communauté vénézuélienne.
Mme Mitelberg a indiqué que l’organisation est financée par des dons privés et qu’elle aide, entre autres, les soldats isolés du Venezuela à couvrir une partie de leurs frais de subsistance. Beit Venezuela loue également des espaces dans des centres commerciaux, où de petits marchés aux puces le week-end permettant aux nouveaux immigrants d’exposer leur artisanat ou de vendre de la nourriture vénézuélienne authentique faite maison.
« L’idée est que la communauté reste unie d’une manière ou d’une autre », a souligné Mme Mitelberg, ajoutant qu’il est essentiel de prêter attention aux besoins de chaque groupe de la population, qu’il s’agisse des personnes seules, des jeunes couples, ou des familles complètes.
« En ce sens, la plate-forme numérique nous aide à écouter leurs craintes, leurs inquiétudes et leurs demandes », a-t-elle ajouté.
Aux côtés de Beit Venezuela, Mme Mitelberg a indiqué que le ministère de l’Immigration et de l’Intégration aide les nouveaux immigrants à s’acclimater et à devenir des acteurs importants dans le pays.
Elle a également cité d’autres organismes qui aident les nouveaux immigrants en matière d’emploi et de consultation, comme l’OLEI (l’Organisation latino-américaine en Israël, en Espagne et au Portugal), qui s’intéresse particulièrement aux immigrants provenant de ces régions. Par l’intermédiaire de ses 25 succursales en Israël, OLEI coopère activement avec Beit Venezuela.
Naviguer sur des mers diplomatiques tumultueuses
Les Vénézuéliens continuent de venir en Israël, malgré le fait que l’immigration est devenue particulièrement compliquée en raison d’une véritable tempête créée par la crise actuelle et la rupture des liens diplomatiques avec Israël en 2009 par le président Hugo Chavez, pendant l’opération Plomb durci à Gaza. Chavez a expulsé l’ambassadeur d’Israël à Caracas et l’ambassade d’Israël a été fermée.
Les immigrants vénézuéliens qui se sont entretenus avec le Times of Israël ont dit qu’ils avaient réussi à obtenir des visas pour Israël par l’intermédiaire de pays tiers comme la Colombie ou avec l’assistance d’un envoyé de l’Agence juive à l’aéroport de Paris, pendant une escale en direction de leur pays d’origine.
Les relations entre le Venezuela et Israël sont tendues depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez, mais elles n’ont atteint leur point de rupture qu’en 2009, en dépit de graves incidents antisémites tels que le vandalisme d’une synagogue de Caracas en mai 2004 ou la descente policière dans une école juive en novembre de la même année.
La situation ne s’est pas améliorée sous Nicolas Maduro, président par intérim du Venezuela depuis 2013. Maduro a nommé Tareck El-Aissami, dont l’entrée aux Etats-Unis lui est interdite en raison de ses liens avec le Hezbollah et de son implication présumée dans le trafic de drogue, au poste de vice-président.
Le pays a connu une période de troubles politiques depuis que Maduro a succédé à Chavez à la présidence. Les manifestations de masse contre le régime de Maduro ont commencé l’année suivante et se sont intensifiées depuis sa réélection à un second mandat de six ans lors d’une élection contestée en mai 2018.
En raison de l’inflation qui ne cesse de s’aggraver, les denrées alimentaires et les médicaments sont aujourd’hui presque impossibles à trouver au Venezuela, et inabordables pour la grande majorité de la population, a déclaré Natan Lederman Sokol au Times of Israël. Sokol poursuit un doctorat à l’Université de Tel Aviv en tant que professeur invité et chercheur de l’Université métropolitaine de Caracas.
Il a dit que les gens fouillent dans les tas d’ordures sur les trottoirs à la recherche de restes de nourriture. Illustrant la rareté de la nourriture, M. Sokol a indiqué qu’en 2017, six Vénézuéliens sur dix avaient perdu environ 11 kg.
Pendant ce temps, la communauté juive s’est montrée prudemment neutre à l’égard du régime actuel, alors même que le grand rabbin du Vénézuéla Isaac Cohen serrait la main de Maduro, qui a accueilli en décembre dernier Shlomo Amar, grand rabbin de Jérusalem, dans une tentative de « diplomatie de paix ».
Le grand rabbin Cohen a récemment affirmé que la communauté juive acceptait la reconnaissance par Israël de Juan Guaidó, qui s’est proclamé président du Venezuela le 23 janvier, bien que cela signifie une rupture avec la politique de longue date de la communauté de rester neutre dans la lutte de pouvoir politique.
La décision de Guaidó est la plus claire tentative de contester l’autorité de Maduro depuis le début de la crise, et il a rapidement été reconnu comme le leader du Venezuela par de nombreux pays, suivant l’exemple du président américain Donald Trump.
Pour de nombreux émigrés vénézuéliens qui regardent anxieusement l’effondrement de leur pays de loin, Guaidó représente peut-être le seul vestige d’espoir à l’horizon.
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