Les mémoires de la Shoah : l’enquête d’Annick Cojean renaît en bande dessinée
Un récit puissant qui donne la parole aux survivants, à leurs descendants, mais aussi aux enfants des bourreaux

C’est une enquête vieille de presque trente ans, remise au goût du jour. En 1996, la journaliste Annick Cojean, du Monde, recevait le prestigieux prix Albert Londres, distinction remise au meilleur reporter français, pour cinq articles édifiants sur les mémoires de la Shoah. À l’occasion des 80 ans de la libération d’Auschwitz, cette série a été adaptée en bande dessinée sous le titre Les Mémoires de la Shoah.
Au départ, l’enquête de la journaliste semble assez classique dans le traitement de la Shoah : il s’agit de faire témoigner les survivants. Face aux récits d’horreur qu’elle recueille et qui la marquent profondément, Annick Cojean ressent le besoin d’aller plus loin. Elle se tourne alors vers les enfants des rescapés : les passeurs de mémoire. Ceux dont l’héritage familial est si lourd à porter, tant il est terrible. Ceux dont la mission est de faire survivre le passé si douloureux de leurs parents.
Mais ils ne se contentent pas de témoigner de la terrible histoire. Ils parlent d’eux, des silences pesants face aux questions, du sentiment étrange d’avoir hérité du statut de survivant, eux qui n’auraient jamais dû naître tant l’entreprise nazie avait prévu d’éradiquer jusqu’au dernier Juif de la surface du globe.
Si le sentiment de culpabilité des survivants est connu, sous la plume de Cojean, on découvre la culpabilité de l’enfant né vis-à-vis de celui qui n’est jamais venu au monde, ces parents ayant disparu dans les chambres à gaz des camps de la mort.
Pour ceux-là, l’insouciance a trop vite laissé place à la responsabilité écrasante d’être le soutien de leurs géniteurs, qui ne reviendront jamais totalement de l’enfer qu’ils ont vécu.
Originale, la démarche journalistique prend un contre-pied extrême, qui rend son récit peut-être dérangeant, mais ô combien important : faire témoigner les descendants des bourreaux.
Si Niklas Frank, fils de Hans Frank, gouverneur général de Pologne et organisateur de la « Solution finale », hait son père, Wolf Rüdiger Hess, fils de l’idéologue du parti nazi, développe un négationnisme effrayant, et la fille de Goering continue à vouer un culte sans borne à l’ancien maréchal.
Un récit inédit mis en images par Tamia Baudouin. La dessinatrice adopte un style angoissant pour transmettre toute l’ambiance anxiogène et sombre de l’enquête d’Annick Cojean. À l’heure de l’extinction des derniers témoins du plus grand crime contre l’humanité, la mémoire de la Shoah s’efface progressivement.
Au début de cette année, la Conference on Jewish Material Claims Against Germany révélait que 46 % des moins de trente ans n’ont jamais entendu parler de l’Holocauste. Alors que nous célébrons les 80 ans de la libération de l’Europe de la botte nazie, trouver des façons originales de transmettre l’histoire est évidemment une initiative salutaire.