Les trophées cinématographiques, littéraires et sportifs des vrais jumeaux de ‘Casablanca’
A l'occasion du 75e anniversaire du célèbre film, l'auteur Leslie Epstein revient sur les trophées notoires de sa famille
CAMBRIDGE, Massachusetts — Sorti à l’époque troublée de la Seconde Guerre mondiale, le film « Casablanca » est resté l’un des classiques les plus connus de l’histoire mondiale du cinéma – et Leslie Epstein était aux premières loges.
Son père Philip Epstein et son oncle Julius Epstein ont remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté pour ce film produit par la Warner Bros. en 1942, qui a également remporté le prix de la meilleure photographie et du meilleur réalisateur (Michael Curtiz) cette année-là. « Casablanca » fêtera son 75e anniversaire au mois de novembre.
« C’est l’un des films de Hollywood les plus emblématiques », dit Epstein, ancien directeur du programme de création littéraire à l’université de Boston.
Les vrais jumeaux Philip et Julius Epstein ont écrit un dialogue étincelant pour une équipe d’acteurs dominée par les légendes que sont Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.
« Dans les citations de Bartlett, il y a presque autant de citations [de ‘Casablanca’] que de ‘Hamlet’, » note Epstein. « Ce sont des lignes incisives et pleines d’esprit. Toutes, sauf une, ont été écrites par mon père et mon oncle ».
« Ce langage est resté », confie-t-il. « C’était ma famille. J’en suis très fier ».
Epstein a connu d’autres événements déterminants dans la famille. Son fils Théo est le directeur général des Cubs de Chicago, club qui a remporté le championnat national, l’an dernier, pour la toute première fois depuis 1908. Et cette année, cela fait dix ans qu’Epstein lui-même a produit sur scène « King of the Jews » (« le roi des Juifs »), adapté d’un roman éponyme écrit en 1979 et consacré à Chaim Rumkowski, chef de triste mémoire du Conseil des anciens du ghetto de Lodz durant l’Holocauste.
Une lignée de création scénaristique
Dans la première décennie du 20e siècle, le grand-père d’Epstein, Henry Shablian, a immigré aux Etats-Unis avec « tous les Juifs qui fuyaient Kishinev et les autres pogroms », raconte Epstein. « Il était de Bialystok ou d’une ville à côté ».
Dans la queue, à Ellis Island, Shablian a vécu ce que son petit-fils qualifie de « situation très commune » entre immigrants : « Le type devant lui a dit : ‘Mon nom est Epstein’. Mon grand-père a répondu : ‘C’est mon nom également' ».
La famille au nouveau nom a prospéré aux Etats-Unis. Les fils d’Epstein, Philip et Julius, ont fréquenté Penn State avant de partir à Hollywood, où ils se sont associés pour écrire « Casablanca ».
Le film dépeint une histoire d’amour complexe au sein de la fameuse ville portuaire marocaine sous le régime français de Vichy, où des réfugiés venus d’Europe tentaient d’échapper aux maux du nazisme, personnifié par le Major Heinrich Strasser (Conrad Veidt).
Après que le propriétaire américain de night-club Rick Blaine (Bogart) a tué Strasser, dans une scène culminante de l’oeuvre, le capitaine français Renault (Claude Rains) le laisse partir avec un dialogue devenu un classique, trouvé par les frères Epstein alors qu’ils étaient en voiture sur Sunset Boulevard.
“Ils se sont tournés simultanément l’un vers l’autre et ont dit : ‘Arrêtez les suspects habituels' » ! s’exclame Epstein.
Il explique que le président de la Warner Bros., Jack Warner, qui était Juif, avait demandé aux frères Epstein de changer de nom.
Toutefois, il ajoute également que Warner n’était « pas un lâche », il avait sorti le film « Confessions d’un espion nazi » en 1939.
« Sa vie était menacée par le consul allemand », explique Epstein. « Il y a eu une histoire : [Quelqu’un] avait laissé tomber un objet très lourd sur le plateau et cela avait presque tué une personne. Ensuite on a recherché des armes dans la maison de [Warner]. »
[‘Quelqu’un] avait laissé tomber un objet très lourd sur le plateau et cela avait presque tué une personne. Ensuite on a recherché des armes dans la maison de [Warner]’
Epstein minimise l’anti-nazisme dans « Casablanca », disant que « ce n’était pas si courageux que ça » dans la mesure où le film est sorti « après que la guerre a éclaté ». Néanmoins, Epstein ajoute que son père et son oncle ont montré du courage lorsqu’ils ont co-écrit et co-produit le film de Bette Davis « Mr. Skeffington » en 1944.
« C’est le seul film que je connaisse sur la Seconde Guerre mondiale, de Pearl Harbor au jour de la victoire contre le Japon, qui mentionne le mot ‘Juif’ dans un contexte national », estime Epstein.
Il ajoute que le film a « été à l’origine d’une tempête »‘ avec notamment des critiques de la part de l’AJC (American Jewish Committee) et de l’Anti-Defamation League — « ce film stupide qui a mené les Juifs d’Amérique à se mettre la tête dans le sable devant ce qui se passait en Allemagne ».
En 1944, les frères Epstein ont reçu l’Oscar pour « Casablanca » ainsi que les scénaristes Howard Koch et Casey Robinson. (Si le film est initialement sorti en novembre 1942, sa diffusion nationale n’a eu lieu qu’au début de l’année 1943 et c’est pour cela que « Casablanca » a été présent deux années de suite aux Oscars – nominé en 1942 pour le Meilleur film, puis dans huit catégories l’année suivante, dont celle du Meilleur film – qu’il a gagnée).
D’où venaient le talent de son père et de son oncle ? Epstein répond : « Ils l’ont eu de Dieu. C’était quelque chose d’inhérent ».
“D’où Shakespeare tirait-il le sien ? » s’interroge-t-il. « On le lui avait donné. La vie ou l’expérience spirituelle soit décourage, soit éclaircit ».
La lignée Epstein
Au 21e siècle, un autre Epstein a également fait parler de lui.
Theo Epstein a remporté deux fois le championnat national de Baseball, avec deux équipes qui ont longtemps souffert : Les Cubs de Chicago et les Red Sox de Boston. En tant que directeur général des Red Sox, il a aidé l’équipe à remporter un championnat en 2004, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1918.
Epstein a finalement rejoint les Cubs en tant que manager de la formation. Sa nouvelle équipe n’avait pas remporté un championnat national depuis 1908 — plus longtemps encore que les Red Sox. Mais au mois de novembre dernier, les Cubs ont vaincu les Indians de Cleveland lors d’une rencontre à suspens qui s’est soldée par le score serré de 8 à 7 lors des prolongations du dernier match, remportant le championnat par quatre à trois.
« Je suis tout aussi fière de Theo que je le suis de Julius et de Philip,” explique Leslie Epstein, qui se trouvait dans les gradins du stade. C’est plus difficile de gagner un championnat national que d’écrire un film oscarisé ». (Après réflexion, il reconnaît que les deux prouesses peuvent être considérées comme équivalentes).
Notant la réussite de son père et de son oncle et celle de ses enfants, Epstein lance avec malice : « Je suis le seul sandwich dont la viande est placée à l’extérieur. Je continue à colmater ».
L’oeuvre la plus connue d’Epstein – et la plus controversée – est ‘le Roi des Juifs’.
En 1961, il découvre pour la première fois celui qui allait devenir son sujet de création, Rumkowski, dans « la Solution finale : La tentative d’extermination des Juifs d’Europe » écrit par Gerald Reitlinger, qu’il définit comme « l’un des premiers, et peut-être l’un des meilleurs ouvrages sur l’Holocauste ».
« Sur les 200 000 [personnes] que comptait le ghetto de [Lodz], 800 ont survécu, et presque tous haïssent [Rumkowski],” explique Epstein, se référant à un commandement biblique du Deutéronome.
« Il y a une histoire dans le Talmud : ‘Si vous êtes affamé et que vous allez mourir dans le forêt et que vous voyez un nid avec deux oeufs, vous avez le droit de les prendre. Mais avant de le faire, jetez une pierre sur un buisson tout prêt pour distraire la mère afin qu’elle ne ressente pas la souffrance’. »
Rumkowski, dit-il, « prenait les oeufs sans jeter la pierre ».
« J’éprouve de la pitié d’une certaine manière pour Rumkowski, mais je le condamne en fin de compte pas autant pour ce qu’il devait faire que pour le sentiment de pouvoir et même de complétude que ses actions lui donnaient », dit Epstein.
Epstein note que Rumkowski « avait fait gravé son portrait sur la monnaie du ghetto et sur les timbres aussi – de l’argent pour rien n’acheter, des timbres à n’envoyer nulle part. Il se faisait transporter dans un chariot attelé à un cheval blanc. »
‘Il a fait des choses terribles et pourtant il a gardé vivant le ghetto plus que tous les autres’
« Il a fait des choses terribles et pourtant il a gardé vivant le ghetto plus que tous les autres – et en effet, il aurait pu être le seul à survivre si les Russes avaient continué à avancer vers l’ouest au lieu de s’arrêter, pas tant pour des raisons militaires que politiques ».
Rumkowski est mort à Auschwitz en 1944, frappé par des détenus Juif du Sonderkommando en quête de vengeance.
Les critiques de son livre ont été « mitigées », selon Epstein, pour plusieurs raisons : car il s’est beaucoup intéressé aux collaborateurs, pour son sens de l’humour (rare en ce temps-là dans la littérature sur l’Holocauste) et pour l’attention portée à la « banalité du mal ». Il est un admirateur de Hannah Arendt, qu’il a rencontrée.
« Dieu merci, le New York Times l’a mis en couverture de son édition littéraire », dit-il, ajoutant qu’il a fait l’objet d’une « critique extrêmement bonne » de Robert Alter.
Toutefois, Epstein déplore feu le rédacteur en chef du Times, Anatole Broyard, pour sa critique négative. Et, dit-il, « les Juifs conservateurs aux niveaux politique et religieux ont détesté l’ouvrage ».
‘Cela m’a laissé des traces d’être diabolisé. Avec le temps, je pense que la controverse s’est éteinte’
Il avait également demandé à feu la spécialiste Lucy Dawidowicz, auteur de « la Guerre contre les Juifs », de lui faire un texte de présentation. Sa réponse est restée « gravée dans mon coeur », dit-il.
Elle a répondu : « Non seulement Hitler a tué six millions de Juifs, mais maintenant Leslie Epstein vient danser sur leurs tombes ».
« Cela m’a laissé des traces d’être diabolisé. Avec le temps, je pense que la controverse s’est éteinte »
En 2007, l’université de Boston a monté une version du « Roi des Juifs » et feu Jon Lipsky a remporté un prix du meilleur metteur en scène.
« Je tente de le monter à New York,” explique Epstein. « J’ai déjà la moitié de l’argent nécessaire ».
L’automne dernier a été une période de transition pour Epstein – cela a été sa dernière année en tant que directeur du département de création littéraire de l’Université de Boston, un poste qu’il assumait depuis 1978.
Cette année, avec le 75e anniversaire du film de son père et de son oncle et le championnat national de son fils, Leslie Epstein ressent beaucoup de ‘nachas’ – en particulier pour le championnat de Théo.
« C’est très rare dans la vie qu’un Juif soit tout à fait heureux », dit Epstein. « Ces deux années-là, 2004 et 2016, ont été des années de joie sans pareille. Pour Un Juif, cela n’arrive pas si souvent. Pas d’ironie, pas de sarcasme, pas d’arrière-pensée, pas de doutes. Juste la joie ».
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