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Les “villes fantômes” juives d’Espagne en quête du soutien des juifs vivants

Les quartiers historiques, abandonnés après l’Inquisition espagnole, attendent à présent les touristes – mais pour les entrepreneurs, le soutien national au BDS n’aide pas

Une touriste dans le quartier juif historique de Ribadavia, en Espagne, le 26 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Une touriste dans le quartier juif historique de Ribadavia, en Espagne, le 26 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

RIBADAVIA, Espagne (JTA) – Surplombant le confluent de deux rivières près de la frontière entre l’Espagne et le Portugal, cette petite et pittoresque ville compte plus d’institutions juives que certaines capitales européennes.

Dans le quartier juif historique de Ribadavia, le son de la cascade résonne dans les rues pavées, qui abritent des attractions que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la région du nord de la Galicie, comme un musée juif, une synagogue médiévale, un magasin de vins cashers et même deux boulangeries juives.

Malgré l’investissement important de la municipalité dans ses sites patrimoniaux juifs, cependant, il manque à cette jolie ville un élément crucial qui pourrait rendre ses efforts viables financièrement : des juifs, et particulièrement des touristes juifs.

Située à 70 kilomètres d’un aéroport international, Ribadavia, dont la population juive, autrefois importante, a disparu il y a des siècles, n’attire que 20 000 touristes par an, dont la plupart sont des Espagnols qui ne sont pas juifs. Même pendant les week-ends ensoleillés, ses rues sont souvent vides et son marché en plein air peu coûteux ne voient que peu d’étrangers.

Ribadavia, qui appartient au réseau espagnol Red de Juderias, qui regroupe 20 villes possédant des quartiers juifs ou des sites historiques majeurs, incarne à la fois le potentiel pour ouvrir des sites si riches culturellement à un public plus large, et les défis qui font obstacle à ce projet depuis la création du réseau il y a vingt ans.

La synagogue en est un exemple. Elle a été construite au 16e siècle par des juifs qui continuaient à pratiquer leur religion en secret après avoir été convertis de force au christianisme pendant l’Inquisition espagnole. Un compartiment cylindrique, caché dans le cadre en pierre de la seule fenêtre orientée à l’est du bâtiment, abritait le rouleau de Torah des fidèles.

La vielle synagogue de Ribadavia, en Espagne, le 24 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
La vielle synagogue de Ribadavia, en Espagne, le 24 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

« C’est un fragment de leur histoire, mais aussi de la mienne », a déclaré Camilo Rodriguez Alonso, avocat, intellectuel et aristocrate espagnol non juif qui a acheté le bâtiment pour le préserver en 1982, 15 ans avant la création de Red de Juderias.

L’homme de 80 ans avait craint que le bâtiment ne soit endommagé par la ruée vers l’immobilier qui a suivi la chute du dictateur Franco en 1975.

« Ici, tout n’a pas de prix, historiquement parlant », a-t-il déclaré en montrant son bureau, qui a des sols en bois massif si ancien que les étages inférieurs sont visibles depuis le dessus par les fines craquelures le long des veines.

« Cette synagogue, qui a toujours été secrète, ne le sera plus »
Le propriétaire de la synagogue

Alonso, jovial père de trois enfants qui, suite à son récent divorce, a déménagé dans une garçonnière avec des amis près de Ribadavia, a rénové le bâtiment tout en le préservant. Il a même fait venir des soudeurs pour qu’ils ajoutent des étoiles de David artisanales sur la clôture, « pour que cette synagogue, qui a toujours été secrète, ne le soit plus », a-t-il déclaré à JTA lors d’un récent entretien.

L’attachement émotionnel profond d’Alonso au patrimoine juif est partagé par beaucoup d’Espagnols, qui encore aujourd’hui sont peinés par la destruction qui a suivi l’Inquisition de l’une des communautés juives les plus illustres au monde.

Des villes comme Ribadavia, qui était autrefois à un tiers juive, ont perdu tous leurs juifs en raison des persécutions qui ont fait fuir ou ont effacé la communauté juive séfarade d’Espagne, dont le nom signifie tout simplement « espagnol » en hébreu.

Alors qu’Alonso est impatient de partager son amour pour le bâtiment et de répondre aux demandes de particuliers de le visiter, sous sa propriété, le visiteur moyen de Ribadavia a été bien incapable de voir la synagogue, qui est de loin le patrimoine juif le plus remarquable de la ville.

« A mon âge avancé, c’est difficile pour moi de venir ici et de la montrer », a déclaré Alonso, dont la hanche en mauvais état l’empêche de monter jusqu’à l’étage qui abrite l’arche.

Une mézuza à Ribadavia, dans l'ancienne synagogue qui est maintenant le siège de l'ONG World Templars. (Crédit : flickr/u:Elentir)
Une mézuza à Ribadavia, dans l’ancienne synagogue qui est maintenant le siège de l’ONG World Templars. (Crédit : flickr/u:Elentir)

Malgré sa passion, l’échec d’Alonso à transformer la synagogue qu’il possède en atout touristique est classique des efforts de développement des sites de patrimoine juif d’Espagne, selon Marta Puig Quixal, nouvelle directrice de Red de Juderias.

Organisation inter-municipale, le Red, ou réseau, a un budget annuel d’environ 470 000 euros. Ce budget doit couvrir les travaux dans 20 villes d’un pays dont l’économie est à court d’argent, qui émerge seulement maintenant d’une récession de huit ans, et dont le taux de chômage est de 21 %.

« Chaque maire rivalise pour une part du gâteau, a déclaré Quixal, mais si nous divisons l’argent, nous finirons avec des sommes trop faibles pour avoir un impact quelconque. »

« Si nous divisons l’argent, nous finirons avec des sommes trop faibles pour avoir un impact quelconque »
La directrice de Red de Juderias

Les désaccords budgétaires ont compliqué les efforts pour racheter à des propriétaires privés comme Alonso et développer leur patrimoine, a déclaré Quixal, qui a pris la direction du réseau cette année « pour changer la situation actuelle », comme elle l’a défini.

Les investisseurs privés sont largement restés à l’écart du financement des projets patrimoniaux juifs en Espagne, en partie à cause de la crise financière, mais aussi parce que personne ne semble avoir de données statistiques sur le potentiel économique de ces sites.

« La vérité, c’est que nous n’avons pas les chiffres, nous n’avons pas d’étude de marché fiable à présenter aux investisseurs privés », a déclaré Quixal, qui a ajouté qu’obtenir de telles données était une de ses premières priorités.

Environ 350 000 touristes juifs venus d’Israël uniquement se rendent en Espagne tous les ans, mais la plupart resterait à Barcelone et dans d’autres grandes villes. Beaucoup d’Israéliens qui sont à Madrid visitent l’ancienne synagogue de Tolède, qui fait partie des musées les plus populaires d’Espagne, avec 300 000 visiteurs annuels, dont la moitié sont des étrangers.

Un chiffre plus anecdotique peut être obtenu à Ribadavia même, dans la première boulangerie juive de la ville, Tafona da Herminia, qui a été ouverte il y a 25 ans par Herminia Rodriguez, 77 ans. Non juive, Rodriguez a commencé à cuisiner des pâtisseries juives il y a 25 ans sur demande spécial du Centre pour les études médiévales d’Espagne.

Sa boulangerie, située au bord de la rivière, a été citée dans des journaux nationaux comme El Pais, et même par le New York Times.

Herminia Rodriguez, à gauche, prépare la monnaie d'une cliente dans sa boulangerie juive de Ribadavia, en Espagne, le 24 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Herminia Rodriguez, à gauche, prépare la monnaie d’une cliente dans sa boulangerie juive de Ribadavia, en Espagne, le 24 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

« Aucun jour ne passe sans que j’ai des clients ici, et pas une semaine ne passe sans que je ne reçoive une sorte de recette juive par la poste », a-t-elle déclaré fièrement dans sa sombre boutique, où une ménorah et une icône de la Vierge Marie trônent sur la même étagère. (« Elles sont ensemble pour ne pas être jalouses », a déclaré Rodriguez, ajoutant qu’ « elles sont voisines après tout. »)

Rodriguez est devenue célèbre en faisant des pains et des gâteaux en forme d’étoile de David. Les clients peuvent choisir des pâtisseries séfarades traditionnelles, comme les maamuls aux dates, et les mostachodus, un crumble aux noix et au clou de girofle, ou des gâteaux ashkénazes comme le kichelach ou les kupferlins, tous cuits dans le four en pierre.

« Les gens veulent se lier au patrimoine juif, et la nourriture est le moyen le plus immédiat », a-t-elle déclaré pour expliquer son succès improbable.

« Les gens veulent se lier au patrimoine juif, et la nourriture est le moyen le plus immédiat »
Herminia Rodriguez

A Hervas, une ville située à 230 kilomètres au sud est de Ribadavia, Abigail Cohen, née en Israël, connaît un succès similaire avec Candela, une boulangerie juive qu’elle a ouverte il y a quatre ans.

« Les pâtisseries se vendent bien parce qu’elles sont juives ; c’est facile de voir que c’est la raison de ce succès », a-t-elle déclaré, ajoutant que seulement 20 à 30 touristes juifs passaient chaque année dans son magasin.

L’attention à l’héritage juif de l’Espagne et du Portugal fait plus qu’aider à vendre des gâteaux.

Doreen Alhadeff (au centre), avec le maire de Torremolinos Jose Ortiz (à gauche) et David Obadia, le président de la communauté juive de Torremolinos, devant des drapeaux espagnols après avoir obtenu la nationalité espagnole, à Torremolinos, en Espagne, le 2 février 2016. (Crédit : autorisation)
Doreen Alhadeff (au centre), avec le maire de Torremolinos Jose Ortiz (à gauche) et David Obadia, le président de la communauté juive de Torremolinos, devant des drapeaux espagnols après avoir obtenu la nationalité espagnole, à Torremolinos, en Espagne, le 2 février 2016. (Crédit : autorisation)

L’année dernière, les deux pays ont mis en place des lois sans précédent offrant la citoyenneté aux descendants des juifs séfarades, ce que certains observateurs ont jugé être une tentative d’attirer des investisseurs fortunés. Les deux gouvernements ont cependant déclaré que la loi était la conséquence du regret et de la culpabilité après l’Inquisition. Environ 5 000 séfarades se sont déjà fait naturaliser.

Mais les désaccords de budget et de politique continuent à retenir le développement des sites liés à la communauté juive séfarade, selon Quixal. Cette année, quatre villes de Catalogne, une région où le sentiment et la politique indépendantistes sont forts, sont sorties du réseau, un geste qui a nui à son travail, a-t-elle déclaré.

Et dans un pays qui détient le record européen de municipalités soutenant le mouvement de Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS) contre Israël, certains maires sont réticents à travailler avec des entreprises et des agences de voyages israéliennes, parce qu’il trouve cela « trop politisé », a déclaré Quixal.

« C’est quelque chose qui va devoir changer si nous voulons faire avancer Red de Juderias, a-t-elle déclaré. Vous ne pouvez pas avoir de touriste juif sans travailler avec l’Etat juif. Enfin, nous ne pouvons pas faire la publicité de quartiers juifs qui ne veulent aucun juif. »

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