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L’oligarque moldave qui fait avancer les intérêts russes dans son pays depuis Israël

Condamné par contumace pour avoir volé un milliard de dollars aux banques moldaves, le leader de l'opposition Ilan Shor dirige les manifestations pro-Moscou dans le pays

Le candidat israélo-moldave Ilan Shor, businessman, chef de son parti et maire de la ville d'Orhei, durant un meeting de campagne à Comrat, le 15 février 2019. (Crédit : Daniel Mihailescu/AFP)
Le candidat israélo-moldave Ilan Shor, businessman, chef de son parti et maire de la ville d'Orhei, durant un meeting de campagne à Comrat, le 15 février 2019. (Crédit : Daniel Mihailescu/AFP)

CHISINAU, Moldavie (JTA) — Assis confortablement sur un canapé quelque part en Israël, Ilan Shor, leader de l’opposition moldave et ancien homme d’affaires, était apparu dans une vidéo, le mois dernier, parlant à ses partisans. Il avait transmis à cette occasion un message qu’il qualifie lui-même de « relativement modéré ».

« Maia, tu es véritablement Hitler », disait-il dans le clip, interpellant la présidente pro-européenne de la Moldavie, Maia Sandu. « Et je vais m’assurer que mon peuple vive bien et ce, que ça te plaise ou non ».

Avec le soutien de la Russie, Shor est devenu une personnalité de premier plan dans la campagne de déstabilisation de la Moldavie, un minuscule pays pauvre situé entre l’Ukraine et la Roumanie – une campagne lancée par Moscou. Accusé d’avoir volé un milliard de dollars au système bancaire moldave – il a été reconnu coupable de ce vol et condamné par contumace la semaine dernière – il a trouvé refuge depuis au sein de l’État juif.

C’est depuis Israël que le leader de l’opposition, qui est encore membre du Parlement moldave, a dénoncé les accusations lancées à son encontre et qui, dit-il, sont éminemment politiques ; c’est depuis Israël qu’il a régulièrement organisé des manifestations dans son pays natal et qu’il a propagé des infox qui visent, selon ses critiques, à saper les efforts livrés par la Moldavie pour se rapprocher de l’Union européenne et pour s’éloigner de Moscou. Au mois de juin dernier, la Moldavie – qui a condamné de manière répétée l’offensive du Kremlin en Ukraine – a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne, avec l’Ukraine (un gouvernement précédent s’était effondré au mois de février sous le poids des tensions économiques et politiques amplifiées par l’invasion russe).

Qu’il soit un homme ayant échappé à la justice ou la victime de représailles politiques, la présence d’un oligarque pro-russe a été fréquemment gênante pour Israël qui, ces dernières années, a montré une volonté plus forte d’extrader ses citoyens mis en cause devant les tribunaux à l’étranger. Shor est aussi citoyen israélien. Il a fait l’objet de sanctions par les États-Unis en octobre et par le Royaume-Uni en décembre. Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères israélien a refusé de répondre à des questions portant sur les activités de Shor, les officiels disant que la problématique relevait du domaine juridique.

« Nous ne voulons pas que le territoire d’un autre pays soit utilisé comme rampe de lancement pour des attaques hybrides à notre encontre et pour des tentatives qui visent à entraîner des violences dans notre pays », a répondu un haut-responsable de Chisinau, la capitale de la Moldavie, alors qu’il était interrogé sur la présence de Shor en Israël.

Un enfant marche devant une affiche avec l’ex-Premier ministre moldave Pavel Filip, l’ancien président Igor Dodon et l’homme d’affaires et politicien né en Israël Ilan Shor avec la légende « Ne votez pas pour les oligarques » à Chisinau, en Moldavie, le 23 février 2019. (Crédit : AP/Vadim Ghirda)

La semaine dernière, un tribunal de Chisinau a condamné Shor à quinze années de prison pour son implication dans le vol et il a ordonné la saisie de 290 millions de dollars sur les avoirs de l’homme d’affaires. Shor, de son côté, affirme que ce verdict a été une « vengeance » motivée par le mouvement de protestation dont il est l’organisateur et il a promis qu’il sera « annulé dès le lendemain du changement de régime ».

Avant la récente condamnation, Nicu Popescu, ministre moldave des Affaires étrangères, a confié à la JTA, depuis son bureau du centre de Chisinau, que la Moldavie avait obtenu des informations prouvant « une coordination claire entre Shor et la Russie dans leur objectif conjoint de déstabiliser le pays ».

« La réalité est que Shor tente d’apporter la violence dans nos rues », a ajouté Popescu. « Il travaille depuis le territoire israélien et c’est problématique. Cette situation en lien avec Shor est problématique pour notre pays, pour sa stabilité et pour la stabilité plus générale de la région. L’ampleur des tentatives visant à déstabiliser la Moldavie par la violence s’est renforcée récemment, et c’est quelque chose qui nous inquiète vraiment énormément ».

Avant une manifestation organisée dans le centre-ville de Chisinau, le mois dernier, où il y avait eu 54 arrestations, la police moldave avait précisé avoir appréhendé sept personnes qui avaient été payées à hauteur de 10 000 dollars chacune pour créer des violences dans le cortège. Les médias avaient annoncé que le parti Shor – créé par ce dernier en 2015 – avait versé des pots-de-vin pour recruter des manifestants, affrétant des bus pour les faire venir de tout le pays.

La JTA a demandé à pouvoir s’entretenir avec un représentant du parti politique établi par Shor, une demande restée sans réponse.

Le candidat israélo-moldave Ilan Shor, businessman, chef de son parti et maire de la ville d’Orhei, durant un meeting de campagne à Comrat, le 15 février 2019. (Crédit : Daniel Mihailescu/AFP)

Ilan Shor est né en Israël. Ses parents avaient immigré depuis la Moldavie à la fin des années 1970 avant de retourner à Chisinau en 1990. De son père, il a hérité une chaîne de magasins duty-free en Moldavie et il a établi tout un réseau d’entreprises dans le pays. Il est entré en politique en 2015, une initiative largement considérée comme un moyen lui permettant de se protéger face aux conséquences judiciaires du scandale bancaire, et il a fui en Israël en 2019.

Les évaluations des services de renseignement, en Moldavie comme aux États-Unis, ont déterminé que la Russie a cherché à utiliser les mouvements de protestation encouragés par Shor pour renverser le gouvernement. Shor s’exprime souvent lors des manifestations par visioconférence depuis Israël.

Les responsables ukrainiens et occidentaux disent que Shor entretient des liens avec le FSB (Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie) qui fait entrer de l’argent en Moldavie dans le cadre de ses tentatives de soutenir les voix pro-russes, a fait savoir le Washington Post. Shor, qui a épousé une pop-star russe, serait connu au sein du FSB comme « le jeune » (il a 36 ans).

« La Moldavie doit affronter des menaces hybrides », a expliqué Popescu lors de notre rencontre. « Nous prenons notre sécurité très au sérieux et nos institutions font tout ce qu’elles peuvent pour maintenir la paix et le calme mais il est inacceptable que des personnalités comme Shor tentent de semer la violence dans les rues de la Moldavie ».

Le pays a soumis une demande d’extradition aux autorités israéliennes concernant Ilan Shor, dans le cadre du rôle tenu par ce dernier dans le scandale bancaire, mais il n’a encore reçu aucune réponse, selon de hauts-responsables du ministère moldave des Affaires étrangères. Certains officiels, à Chisinau, expliquent qu’Israël pourrait préférer attendre la fin du procès en appel de l’homme d’affaires et que l’État juif pourrait passer à l’action dans le sillage de sa condamnation par contumace. Shor fait aujourd’hui l’objet d’autres enquêtes dans d’autres dossiers en lien avec ses activités pendant et après le scandale qui l’a éclaboussé.

Un homme marche devant des affiches électorales montrant les candidats du parti Shor qui est dirigé par l’homme d’affaires moldave Ilan Shor, né en Israël, à Chisinau, en Moldavie, le 21 février 2019. (Crédit :AP Photo/Vadim Ghirda)

« Il travaille depuis le territoire israélien et c’est problématique », a répété Popescu. « Nos institutions prennent très au sérieux la sécurité de nos citoyens et elles continueront à le faire et sachant combien Israël est vigilant s’agissant de sa propre sécurité, j’ai la certitude qu’Israël saura montrer sa forte solidarité à notre égard ».

« Shor est l’allié politique le plus important de la Russie en Modavie », commente de son côté Valeriu Pasha, directeur du think-tank moldave Watchdog.MD. « Le parti Shor fonctionne comme un groupe classique du milieu du crime organisé et il semble qu’il soit prêt à prendre part à certaines des campagnes d’influence les plus fortes de la Russie en Moldavie ».

« Shor a reçu le contrôle presque total des médias russes qui sont diffusés en Moldavie », affirme Pasha. L’homme d’affaires est propriétaire d’un certain nombre de chaînes – notamment de la chaîne russe Perviy Kanal (Première chaîne) – qui émettent en Moldavie, où c’est le roumain qui est la langue officielle de l’État et où le russe est parlé par les Russes, les Ukrainiens et d’autres minorités ethniques. Pasha indique que Shor joue « un rôle de premier plan » dans la propagation du narratif pro-russe concernant la guerre en Ukraine et concernant le gouvernement moldave.

Les responsables de Chisinau indiquent qu’ils s’inquiètent d’une fuite de Shor en Russie si cette condamnation à sept ans et demi de prison devait être maintenue par la Cour d’appel. « Nous aimerions qu’il soit extradé dès maintenant », s’exclame Veronica Dragalin, la procureure-générale du parquet anti-corruption moldave, « parce que nous ne voulons pas qu’une telle chose se produise ».

Dragalin rejette les accusations lancées par Shor et par ses alliés qui affirment que les poursuites judiciaires intentées contre l’homme d’affaires ont eu un caractère éminemment politique.

Les soutiens du candidat parlementaire moldave Ilan Shor à Orhei, le 14 février 2019. (Crédit : Daniel MIHAILESCU/AFP)

« Cette tactique consistant à tenter d’affirmer que vous faites l’objet de persécutions politiques est quelque chose qui arrive assez souvent dans ce type de situation en Moldavie », dit Dragalin. Amener Shor devant les juges en Moldavie « aurait un effet domino significatif dans la lutte contre le crime et en matière de dissuasion » en soulignant que « les riches et les puissants » font face à des conséquences quand ils violent la loi, explique-t-elle.

Certains Juifs, dans une communauté formée d’environ 15 000 membres – elle a connu, l’année dernière, un afflux de réfugiés juifs d’Ukraine – s’inquiètent de ce que la colère croissante nourrie à l’encontre de Shor, qui compte un certain nombre de collaborateurs juifs dans le pays, puisse avoir un effet boomerang qui porterait préjudice à ses coreligionnaires. Toutefois, Shor n’est pas connu comme étant particulièrement proche de la communauté juive de Moldavie.

Shor compte des soutiens au sein de la population juive locale, qui est russophone à une majorité écrasante. A Orhei, une ville tranquille du centre de la Moldavie dont Shor était autrefois le maire – il représente encore sa région au parlement – le leader de la minuscule communauté juive locale a récemment accueilli des visiteurs juifs originaires de Chisinau. Se tenant aux abords du musée juif de la ville, Iziaslav Mundrean a déclaré que Shor était « un homme bien ».

L’homme d’affaires, a-t-il expliqué, a payé de sa poche la construction d’une nouvelle entrée pour le cimetière juif en état de décrépitude, et il a aussi financé l’installation d’un nouveau portail. Il a aussi payé de nouvelles fenêtres pour une ancienne synagogue qui a depuis été transformée en musée juif pour la ville.

Deux autres hommes juifs de Chisinau, qui se trouvaient à côté, ont froncé les sourcils en entendant ces paroles et ils ont lancé un débat visant à déterminer si Shor méritait réellement d’être respecté.

Personne « n’a souhaité donner la chance » à Shor de prouver qu’il était respectable, a simplement rétorqué Mundrean qui a ajouté que l’antipathie dont l’homme d’affaires fait l’objet dans toute la Moldavie avait pour origine le fait que « les gens n’aiment généralement pas les Juifs qui ont beaucoup d’argent ».

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