« Nous avons vaincu l’ennemi, n’est-ce pas, les filles ? » dit une survivante de la Shoah à une ex-otage
Des survivants du génocide nazi et de l'attaque du 7 octobre ont pris part à la Marche des vivants à Auschwitz - la question de savoir s'il est approprié de comparer les deux divise

OŚWIĘCIM, Pologne (JTA) – Venues à Auschwitz pour la Marche annuelle des vivants, Maggie Megidish et sa fille, l’ex-otage Ori, se sont jointes à une délégation de survivants de la Shoah et du 7 octobre. Cette visite leur a rappelé leur propre calvaire.
Lorsqu’une survivante de la Shoah a parlé de la faim endurée dans le camp, cela a ramené Maggie à ces semaines pendant lesquelles elle a très peu mangé elle-même, tant elle était angoissée à l’idée de savoir sa fille en captivité. « À chaque bouchée, à chaque gorgée d’eau, je me demandais si elle aussi avait quelque chose à manger », se souvient-elle.
Quatre-vingts survivants de la Shoah devaient participer à la Marche des vivants, cette année, certains pour la première fois, à l’occasion des 80 ans de la libération des camps de concentration. Mais mercredi soir, quelques heures seulement avant son départ pour Auschwitz, Eve Kugler, une survivante de 94 ans, est décédée à son domicile londonien.
Le même jour, avant que la nouvelle de sa mort ne soit rendue publique, une vidéo à laquelle Kugler avait prêté son concours a été diffusée lors de la cérémonie d’ouverture de la Marche des vivants.
La présidente de la Marche des vivants, Phyllis Greenberg Heideman, a questionné l’importance toute particulière de la délégation de cette année en disant : « C’est sans doute la dernière fois qu’ils et elles viendront dans ce lieu maudit qu’est Auschwitz-Birkenau. »
Drapées dans des drapeaux israéliens près de la tristement célèbre porte d’Auschwitz portant ces mots « Le travail rend libre », Ori Megidish et sa conseur tatzpitanit, Agam Berger, toutes deux enlevées par le Hamas avant d’être libérées – la première lors d’une opération de sauvetage de Tsahal quelques semaines plus tard, la seconde au bout de 16 mois – ont passé plusieurs minutes à serrer contre elles les survivantes de la Shoah Irene Shashar et Gita Kaufman.
« Nous avons vaincu l’ennemi, n’est-ce pas, les filles ? » leur a dit Shashar, en larmes. « Nous avons vécu des atrocités mais malgré tout, nous sommes ici, debout, face au mal. »

Shoshana Bogler, 91 ans, n’avait encore jamais mis les pieds à Auschwitz.
Survivante de la Shoah originaire de Łomża, près de Białystok en Pologne, elle a été déportée en Sibérie pendant la guerre avec ses quatre frères et sœurs : seul l’un d’entre eux a survécu. Elle explique avoir hésité à se joindre à la Marche des vivants, nerveuse à l’idée de voir cet endroit où toute la famille de son mari a été assassinée.
« J’ai aussi senti que j’avais besoin de le voir par moi-même. Je voulais voir cette porte », ajoute-t-elle, en désignant le panneau en fer « Arbeit Macht Frei ». Sa fille a tenté de l’en dissuader, craignant que ce soit trop dur émotionnellement parlant.
Cela fait des dizaines d’années que Bogler parle de l’histoire de son défunt mari, Shmuel, jamais de la sienne. « Je suis tellement, tellement heureuse d’être là », confie-t-elle, les yeux pleins de larmes. « C’est comme si on m’avait retiré un énorme poids – la boucle est bouclée. Je n’ai jamais raconté mon histoire : désormais, je suis prête. »
Bogler, qui vit à Jérusalem, ajoute que les comparaisons entre le 7 octobre et la Shoah ont du sens. « Je n’ai pas pu dormir pendant des jours, après le 7 octobre », ajoute-t-elle. « Bien sûr que l’on peut comparer la brutalité du Hamas et celle des nazis d’Auschwitz. On a décapité des gens ! »
Fran Malkin, 87 ans, venue du New Jersey, a survécu à la guerre cachée pendant deux ans par une Polonaise ; elle se dit d’accord. Elle est née à Sokal, qui faisait alors partie de la Pologne et où une grande partie de sa famille a été assassinée à Bełżec.
« Je suis d’accord avec cette comparaison », affirme-t-elle. « Le bilan n’est pas le même, mais je suis certaine que s’ils n’avaient pas été arrêtés, il aurait été comparable. »

Sara Weinstein, elle, refuse la comparaison. « Il n’y a pas de mots pour décrire le 7 octobre. Mais ça s’est passé chez nous », explique le nonagénaire. « Les victimes ont été prises en charge – d’accord, pas dans l’immédiat – mais on les a conduites à l’hôpital, on leur a donné un lit, une couverture. Moi, j’étais allongée par terre, dans la forêt, blessée et brûlante de fièvre, avec seulement des feuilles pour me couvrir, par moins 25 degrés. Pendant trois ans, j’ai porté la même robe. »
Née à Stepan – alors en Pologne, aujourd’hui en Ukraine – Weinstein a passé près de deux ans dans un ghetto. A un peu moins de 7 ans, les nazis ont fait irruption chez elle et tué sa mère, qui l’a protégée de son corps. Weinstein a été blessée à l’épaule et au dos, et la maison, incendiée. « Mon père m’a crié : « Si tu es en vie, lève-toi et courons ! » », se souvient-elle.
Ils se sont cachés dans la forêt jusqu’à ce que l’Armée rouge libère la région, en 1944. Son père a été assassiné par des Ukrainiens. Elle et ses deux sœurs survivantes ont été envoyées dans un orphelinat, et plus tard, un peu avant ses 10 ans, en Italie. En 1947, elle a émigré en Palestine.
Lors de la cérémonie de clôture de la Marche des Vivants à Birkenau, Weinstein a chanté la chanson folklorique yiddish « Oyfn Pripetshik » avec le chantre de Tsahal, Shai Abramson. Un peu plus tôt, Daniel Weiss, survivant endeuillé du kibboutz Beeri, s’était produit avec Agam Berger, qui jouait d’un violon vieux de 150 ans, sauvé de la Shoah. Pour la première fois en 37 ans, depuis qu’existe cette marche, la cérémonie a été écourtée et les discours annulés en raison de pluies diluviennes.
Jonny Daniels, fondateur de l’organisation à but non lucratif From the Depths, et ancien résident polonais qui a longtemps accompagné des survivants de la Shoah sur des sites comme Auschwitz, a expliqué que les comparaisons entre la Shoah et le 7 octobre nuisaient aux deux.
Les ex-otages et leurs familles « ont gagné le droit de dire ce qu’ils souhaitent », a déclaré Daniels, « et personne n’a le droit de s’y opposer ».
Mais la Shoah, a-t-il poursuivi, est « un événement unique en son genre qui s’est terminé par le meurtre de masse de 6 millions de victimes ». L’attaque du Hamas, en revanche, est « un pogrom, un meurtre de Juifs, mais cela n’a pas duré plus d’une journée », a-t-il ajouté. « C’était le 7 octobre, pas le 8, ni le 9, ni le 10, parce qu’aujourd’hui, nous avons Israël. »
« Nous devons remettre ces événements ä la place qui est la leur dans l’histoire. »
Sara Weinstein a ajouté que l’on pouvait se remettre du 7 octobre, mais que cela devait venir de l’intérieur. Pendant plus de 60 ans, elle n’a pas pu prononcer les mots « maman » ou « papa ». Jusqu’à ses trois années de thérapie.
« Je suis plus forte mentalement. Mais tout dépendait de moi», ajoute-t-elle. « Personne ne devrait forcer les survivants du 7 octobre à se remettre. Ils faut qu’ils le veuillent vraiment. »
Bella Eizenman, 98 ans, originaire de Łódź et survivante d’Auschwitz, de Bergen-Belsen et d’une marche de la mort à l’adolescence, a donné un conseil à ceux qui souffrent. « N’abandonnez pas. Attendez des jours meilleurs : il y en aura ». « Le fait d’être ici, aujourd’hui, avec mes arrière-petits-enfants, est en la preuve. J’ai vaincu Hitler. »
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