Pourim et Covid-19 : les communautés juives de Chine se tournent vers la hi-tech
Les responsables s'adaptent pour servir une petite communauté très soudée - confinée ou dispersée dans le monde entier - avec des activités virtuelles et une programmation modifiée
A quelques jours de la fête juive de Pourim, les communautés réformées de la Chine continentale ont trouvé un moyen créatif de rester connectées, dans un pays encore assez isolé, face à l’épidémie de coronavirus. Les coordinateurs des communautés de Kehilat Beijing et Kehilat Shanghai, des communautés jumelées progressistes dirigées par des laïcs pour les Juifs libéraux de leurs villes respectives, organiseront leurs concours de déguisements et des lectures du Livre d’Esther par vidéo-conférence.
« Nous organiserons probablement plusieurs sessions Zoom pour différents fuseaux horaires, pour entonner des chants de Pourim afin que les gens puissent le fêter », a déclaré Julia Ulman, coordinatrice de Kehilat Shanghai. Sa communauté compte près de 150 cotisants et de nombreux visiteurs tout au long de l’année, a-t-elle indiqué au Times of Israël par téléphone.
Depuis que l’épidémie a éclaté, au début de l’année civile, les communautés juives chinoises libérales ont modifié les programmes des offices du Shabbat et des écoles juives, se servant des technologies offertes par la plateforme de vidéoconférence Zoom et par WeChat, une application appartenant au gouvernement chinois et opérée par ce dernier, assimilée à un condensé de Facebook, Whatsapp, Instagram et Venmo.
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Les communautés l’utilisaient dans le passé pour les mises à jour, mais maintenant il est devenu une bouée de sauvetage pour les membres de la communauté, dont beaucoup sont maintenant bloqués hors du pays.
Avec la propagation de la pandémie mondiale, l’immobilisation des compagnies aériennes, l’effondrement des marchés financiers mondiaux et la fermeture des écoles, des synagogues et maintenant des yeshivot, la vie juive en Chine a pratiquement cessé.
Dans un entretien avec le Times of Israël cette semaine, les dirigeants de la communauté juive pluraliste de Chine ont décrit un pays bouclé, avec très peu de Juifs actuellement sur les 10 000 qui y vivent habituellement. De nombreuses familles juives avaient voyagé pendant le Nouvel An chinois à la fin du mois de janvier alors que la nouvelle de l’épidémie se répandait. Confrontés à une quarantaine et à la fermeture des écoles dans tout le pays, la plupart sont restés à l’étranger.
« Nous avons organisé des allumages de bougies et des bénédictions de Shabbat virtuels sur Zoom », relate Julia Ulman du Kehilat Shanghaï au téléphone depuis Cleveland, dans l’Ohio, où elle attend également de pouvoir retourner en Chine.
La jeune femme de 23 ans décrit une communauté proche qui fait preuve d’un stoïcisme acharné face à la crise, malgré le flou qui règne sur l’avenir. « Nous avons fait quelques séances virtuelles de Tov !, notre programme d’éducation pour enfants et nous avons envoyé des liens vers des applications et des ressources sur lesquelles les enfants peuvent travailler. Nous avons également organisé quelques sessions pédagogiques pour les adultes. Nous essayons d’en faire le plus possible », a-t-elle expliqué.
Étant donné que les membres de la communauté vivent désormais dans différents fuseaux horaires, cela peut représenter un défi. Les membres de Kehilat Shanghaï sont maintenant répartis dans toute l’Asie du Sud, aux États-Unis, en Europe, au Brésil, en Afrique du Sud et en Australie.
« Nous avons constaté qu’envoyer une leçon ou un message par vidéo peut parfois être plus efficace parce que les gens peuvent alors les regarder quand ils le veulent, quel que soit leur fuseau horaire, et commenter le chat du groupe plutôt que de se connecter à un moment précis », indique Julia Ulman. « Nous avons encouragé les gens à envoyer leurs messages pour Shabbat depuis le monde entier… Nous trouvons de nombreuses façons de nous sentir connectés et de profiter du fait que nous soyons une communauté et pas seulement une synagogue. Nous sommes une communauté, peu importe ce qui se passe et où nous sommes ».
S’adapter à une nouvelle norme pour les fêtes juives
Alors que le pays commence à retrouver lentement un semblant de normalité, on assiste à une nouvelle réalité avec des contrôles de température et d’hygiène généralisés, des restrictions strictes sur les voyages, une mise en quarantaine obligatoire et une anxiété générale concernant les rassemblements de personnes.
Cela met un frein à ce qui devait être un mois chargé pour les communautés juives, avec des festivités prévues pour Pourim ce lundi et mardi, ainsi que pour les fêtes de Pessah, le mois prochain. Une conférence d’apprentissage Limmud Asia, devant accueillir 150 personnes en mai et qui alterne chaque année entre Shanghai et Pékin, est aujourd’hui également en suspens.
Dini Freundlich avait initialement prévu une célébration de Pourim pour quelques centaines de personnes dans son centre Habad à Pékin. « Maintenant, je suis à New York et je me dis : ‘d’accord, je vais préparer des mishloach manot, mais à qui vais-je les donner' », a-t-elle rapporté au téléphone depuis les États-Unis, en faisant référence aux paniers garnis qu’il est d’usage d’offrir pendant cette fête.
Dini Freundlich, 47 ans, est co-directrice du centre Habad à Pékin avec son mari le rabbin Shimon Freundlich, qui gère une école juive, une école trilingue pour 60 enfants, un restaurant casher, une synagogue et des programmes pour les fêtes juives. Cette mère de six enfants a d’abord séjourné à New York pendant les vacances du Nouvel An chinois à la fin du mois de janvier et avait prévu de retourner en Chine le 18 février. Mais comme les écoles sont fermées et qu’une quarantaine obligatoire lui sera imposée à son retour en Chine, elle ne voulait pas prendre le risque de voyager avec ses deux plus jeunes enfants, âgés de 8 et 12 ans. (Ses autres enfants vont à l’école toute l’année aux États-Unis et en Israël). Son mari est resté à Pékin pour aider ceux qui sont encore en Chine.
« C’est un peu effrayant, étrange et accablant », confie Dini Freundlich.
« Surtout pour les enfants. Il y a cette grande peur de l’inconnu, et les enfants s’en rendent compte. Ils se demandent ‘qu’est-ce qu’il se passe
ici ?’ Et vous ne pouvez pas vraiment répondre aux questions parce que vous ne savez pas vous-même ».
Vous ne pouvez pas vraiment répondre aux questions parce que vous ne savez pas vous-même.
En attendant, elle vit avec sa famille à Brooklyn jusqu’à ce qu’elle apprenne du ministère de l’Éducation que les écoles sont autorisées à rouvrir et qu’elle pourra rester confinée chez elle, plutôt que dans un centre de quarantaine où elle n’aurait pas accès à de la nourriture casher.
Dans certaines provinces, il est illégal de se rassembler en groupes et dans d’autres, c’est fortement déconseillé.
« Je peux littéralement compter sur les doigts d’une main les personnes que je connais restées à Pékin », indique-t-elle à propos de la communauté des expatriés, qui compte généralement environ 2 000 personnes tout au long de l’année, dont des chefs d’entreprise, des fonctionnaires d’ambassade, des professeurs et des étudiants.
À 1 200 kilomètres de la ville d’adoption de Dini Freundlich, Pékin, un rabbin Habad de Shanghai se prépare également à passer des fêtes de Pourim plus douces et un Pessah incertain.
« C’est une situation très triste », a déploré le rabbin Shalom Greenberg, 48 ans, au téléphone depuis Shanghai. « Toutes les écoles et universités sont fermées, donc 99 % des familles ne sont pas restées. Elles sont parties. Vous ne pouvez pas garder vos enfants à la maison entre quatre murs pendant si longtemps ».
Il affirme qu’il y a généralement 2 000 Juifs à Shanghai et qu’il accueille 50 à 100 personnes chaque semaine dans son centre Habad pour les offices et les repas du Shabbat. Depuis l’apparition du virus, il en reçoit à peine 10.
« Les personnes qui viennent au minyan [NdT : le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah] portent un masque et se tiennent à distance de sécurité. Les gens sont très prudents dans ce qu’ils font », rapporte-t-il.
Les communautés juives grandissent rapidement en Chine
L’histoire moderne des Juifs en Chine remonte à la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Chine a accueilli quelque 20 000 réfugiés juifs fuyant l’Europe. Mais leur l’histoire a réellement commencé après l’entrée en vigueur de la politique des « portes ouvertes » de Deng Xiaoping au début des années 1980. Depuis, de plus en plus d’étrangers ont commencé à s’installer en Chine et les communautés juives expatriées se sont développées. Bien que le judaïsme ne soit pas l’une des quatre religions officiellement reconnues par l’État, les étrangers ainsi que les ressortissants chinois ayant des conjoints ou partenaires juifs sont libres de le pratiquer.
Il existe aujourd’hui 13 centres Habad dans toute la Chine, dont trois rien qu’à Shanghai, et des communautés réformistes progressistes à Pékin et Shanghai. Il y a également une synagogue séfarade israélienne à Shanghai. On estime que 10 000 Juifs vivent en Chine toute l’année, ce qui représente une infime partie des 1,4 milliard de Chinois, mais ce chiffre augmente pendant la saison touristique et tout au long de l’année pour les affaires : un office de min’ha (la prière de l’après-midi) organisé à la grande foire de Canton qui a lieu plusieurs fois par an à Guangzhou compte régulièrement plus de 500 personnes.
À Pékin et Shanghai, les deux principales communautés fonctionnent indépendamment l’une de l’autre, mais il y a un certain chevauchement entre les fidèles et les programmes. « Nous sommes une seule communauté, nous prions simplement séparément le vendredi soir », explique M. Freundlich, au sujet de la population juive de Pékin.
Les membres des communautés réformistes de Pékin et de Shanghai décrivent également un groupe étroitement lié et unifié, malgré sa nature éphémère.
« Cette merveilleuse communauté est composée de personnes de tous les horizons qui ne sont pas nécessairement impliquées dans la communauté juive de leur ville natale, mais ici elles découvrent ce qu’est leur judaïsme », a déclaré Leon Fenster, un artiste britannique qui a souvent dirigé des offices à Kehillat Pékin pendant les six années qu’il a passées au sein de la capitale chinoise.
Les groupes WeChat de Kehilat Pékin et de Kehilat Shanghai comptent environ 730 personnes, dont beaucoup, comme Leon Fenster, vivent maintenant à l’étranger.
Aucune histoire d’antisémitisme
Les membres de la communauté juive de Chine se sont montrés très enthousiastes quant à l’environnement accueillant du pays, affirmant que l’antisémitisme leur est pratiquement inconnu.
« Cela permet à la Chine de se démarquer de l’Histoire », commente Leon Fenster. « Nous n’y pensons tout simplement pas. Il n’y a absolument aucun antécédent d’antisémitisme. »
Dan Krassenstein, 56 ans, qui a vécu à Shanghai pendant 15 ans, confirme. « Là-bas, les Juifs sont traités comme des frères perdus depuis longtemps et avec beaucoup de respect. Les Chinois et les Juifs partagent beaucoup de valeurs similaires en termes de respect de la famille et de nos aînés, et donc [ils] témoignent beaucoup de respect aux Juifs et aux Israéliens ».
Le rabbin Habad Greenberg ressent la même chose et a toujours apprécié l’accueil que les Chinois ont réservé à sa famille et sa communauté. Pour faire face à cette situation, même si la plupart des membres de sa communauté ne sont toujours pas rentrés en Chine, Il a organisé une collecte de masques et en a distribué des milliers ainsi que des kits de secours aux Juifs et aux non-Juifs du district de Hongkou à Shanghai. Ce quartier abrite un grand nombre de citoyens âgés qui ont eu du mal à accéder aux quantités limitées de fournitures des centres de distribution de la ville. Des bénévoles du Musée juif des réfugiés de guerre ont aidé le rabbin à les livrer directement chez les gens afin qu’ils n’aient pas à faire la queue dans le froid.
Pour lui, cette petite mesure était particulièrement poignante, lui permettant de rendre une faveur que les Chinois avaient accordée aux réfugiés juifs dans cette même région il y a 60 ou 70 ans.
Beaucoup de ces personnes âgées qui vivent dans ce quartier étaient de jeunes enfants lorsque des réfugiés juifs y vivaient
« Cela signifie que [les personnes âgées] peuvent aller au marché pour se procurer de la nourriture, sinon ils seraient coincés à la maison parce qu’ils ne seraient pas autorisés à partir sans masque », a déclaré Greenberg. « Pour moi, c’est quelque chose de très puissant et de significatif parce que nombre de ces personnes âgées qui vivent dans ce quartier étaient de jeunes enfants lorsque des réfugiés juifs vivaient ici. »
« Beaucoup de réfugiés juifs sont revenus à Shanghai au cours des vingt dernières années et m’ont raconté comment les nazis nous ont enlevé notre capacité à nous sentir humains, mais quand ils sont venus à Shanghai, les habitants les ont traités avec dignité. C’est pour cela que nous leur serons toujours reconnaissants. Et maintenant, nous pouvons revenir et dire : ‘nous sommes là pour vous. Maintenant que vous avez besoin de nous, nous sommes heureux de vous aider’. Juste pour rendre les choses plus humaines pendant un certain temps », relate le rabbin.
Le regard tourné vers l’avenir
« La fête de Pessah est un point d’interrogation », indique Julia Ulman, de Kehilat Shanghai. « Nous pourrons peut-être recevoir, mais tout est lié aux restrictions, donc nous devons attendre et voir ».
Peu à peu, certains jeunes professionnels ont commencé à revenir en Chine.
Hannah Maia Frishberg, 26 ans, réside à la Shanghai Moishe House où elle participe à l’organisation d’événements pour les jeunes professionnels juifs. Elle était auparavant coordinatrice de la communauté à Kehilat Shanghai et travaille maintenant dans le département de développement de NYU Shanghai.
Depuis son retour à Shanghai il y a une semaine, elle affirme que la vie revient lentement à la normale. Malgré tout, dit-elle, il y a des contrôles de température et de masques partout, ainsi que des réglementations complexes concernant les repas au restaurant et les livraisons de colis, y compris la distance entre les tables des restaurants. La plupart des immeubles d’habitation, y compris le sien, interdisent les visites extérieures. « Se réunir a pris une nouvelle dimension », commente-t-elle.
Pourtant, cette jeune femme originaire de Baltimore, prévoit, avec 20 à 30 autres jeunes professionnels juifs, de se réunir pour une fête de Pourim sur un thème israélien cette semaine. Ce sera un petit rassemblement comparé aux 200 personnes habituelles de la Shanghai Moishe House.
Tout de même, « nous sommes heureux que les lieux soient ouverts », se réjouit Hannah Frishberg.
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