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Quelles images pour représenter la Shoah dans les musées ?

Un des problèmes de la muséologie de la Shoah, constate James Bulgin, c'est "qu'elle tend à raconter l'histoire de ce que les nazis et leurs collaborateurs ont fait, pas de ce que le peuple juif a subi"

Les visiteurs découvrent la nouvelle salle consacrée à la Shoah, trois jours après son ouverture, au Mémorial de Caen, dans le nord-ouest de la France, le 4 avril 2025. Quatre-vingts ans après la libération des camps de concentration et d'extermination, à l'heure où les images violentes envahissent les écrans, les historiens repensent la représentation de la Shoah dans les musées. (Crédit : Lou BENOIST / AFP)
Les visiteurs découvrent la nouvelle salle consacrée à la Shoah, trois jours après son ouverture, au Mémorial de Caen, dans le nord-ouest de la France, le 4 avril 2025. Quatre-vingts ans après la libération des camps de concentration et d'extermination, à l'heure où les images violentes envahissent les écrans, les historiens repensent la représentation de la Shoah dans les musées. (Crédit : Lou BENOIST / AFP)

Quatre vingts ans après la libération des camps de concentration et d’extermination, à l’heure où les images violentes submergent les écrans, des historiens repensent la représentation de la Shoah dans les musées.

« A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les photos (d’exécutions massives des Juifs) étaient ultra-diffusées pour montrer la violence des nazis. Et après on a perdu de vue que ce n’était pas normal de montrer des photos de la mort de masse », de personnes humiliées, sur le point d’être assassinées ou en train d’être exécutées, estime l’historien français spécialiste de la Shoah Tal Bruttmann.

Jusqu’à cette année, au Mémorial de Caen en Normandie, le visiteur était immédiatement plongé dans la pénombre puis dans l’horreur des crimes nazis confronté à des photographies à taille humaine d’exécutions par balle ou de charniers.

« C’était la philosophie des générations précédentes » mais « cela nie aussi toute (…) identité aux personnes représentées » réduites à l’état de victimes, relève, à l’Imperial War Museum de Londres, l’historien et responsable des galeries de la Shoah James Bulgin.

Un des problèmes de la muséologie de l’Holocauste, constate-t-il, c’est « qu’elle tend à raconter l’histoire de ce que les nazis et leurs collaborateurs ont fait, pas de ce que le peuple juif a subi ». Au total six millions ont été exterminés par la folie nazie.

Désormais, dans l’espace rénové du Mémorial de Caen dédié à la Shoah, qui a ouvert en avril dans un « blanc clinique », « les images n’ont plus rien à voir avec celles d’avant : il n’y a pas de photos d’assassinats », décrit M. Bruttmann, commissaire scientifique.

« Pour montrer cette absolue négation de l’être humain, il n’y a pas non plus d’obligation à montrer des images d’une violence inouïe », estimait lors des premières réunions en novembre le directeur du Mémorial, Kleber Arhoul.

Une débat similaire a agité les historiens de l’Imperial War Museum avec des conclusions différentes.

« Nous avons pris la décision de ne pas utiliser d’images à tailles réelles » mais n’exposer aucune image violente aurait laissé place à la désinformation : « tout cela existe sur internet (…) sans le contexte que nous y apportons », explique M. Bulgin.

« Nous avons consulté un énorme groupe de personnes, communautaires, religieux et le consensus pour utiliser ces images était quasi-unanime. »

Ici, les photographies du génocide sont affichées en petit format, parfois au dos d’un panneau mobile à retourner après un avertissement. Distinction est faite également entre les clichés pris par des photographes juifs et ceux pris par les nazis dans le ghetto de Varsovie.

Ce type de mémorial, estime l’historien israélien Robert Rozett, « doit nous permettre de comprendre ce que l’être humain est capable de faire », « pas de choquer » – même s’il se « demande ce qui choque encore cette jeune génération qui voit tellement de choses » violentes sur les écrans.

Au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, « il y a des photos d’exécutions de masse, elles sont là, (…) on ne peut pas ne pas les montrer car cela fait partie de l’histoire, mais elles ne sont pas exposées en format géant », explique-il.

« L’accent n’est pas mis sur les images les plus dures », poursuit-il. Par exemple, celles sur le massacre de Babi Yar, près de Kiev, ne montrent pas le moment des exécutions mais celui d’après ; celles sur les charniers n’exhibent pas les corps mais les habits éparpillés des victimes.

La muséographie revient aussi ces dernières années sur la représentation de la machine de mort nazie.

Les premiers mémoriaux sur l’Holocauste ont « défini une certaine esthétique » à l’architecture fortement industrialisée, centrés essentiellement sur le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, « véhiculant l’idée que la Shoah fut un processus mécanisé, systématisé et centralisé », rappelle le Britannique James Bulgin.

Il s’agit d’une représentation « potentiellement dangereuse car elle occulte totalement la dimension humaine qui a en réalité permis que la Shoah se produise » : c’est un génocide « commis par des êtres humains sur d’autres êtres humains ».

Au Mémorial de Caen, désormais deux salles distinctes exposent d’une part les centres de mise à mort comme Auschwitz, la Shoah par balles, les camions à gaz mobiles, d’autre part les camps de concentration, où les déportés étaient rendus esclaves soumis à la brutalité, la faim, la maladie jusqu’à épuisement et mise à mort.

« Si l’on enseigne la Shoah, on doit parler de ce qu’il s’est passé avant, qu’est-ce qui existait, qu’est-ce qui a été détruit… », insiste aussi Robert Rozett.

Pour évoquer les communautés juives d’Europe anéanties, l’Imperial War Museum dédie son premier espace à la projection d’un document intitulé « La présence de l’absence ». A Yad Vashem, c’est un son et lumières pour s’imprégner « plus en profondeur » de ces univers disparus.

« Pour enseigner, il faut l’esprit d’une personne et son coeur, on a besoin des deux », dit-il. « Ce n’est pas juste un acte intellectuel, le visiteur doit s’identifier » à cette histoire « sans être submergé par l’émotion ».

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