Rechercher
"Il s'agit d'une personne"

« Sur le spectre », une – impressionnante – série TV israélienne sur l’autisme

La co-créatrice Dana Idisis s'est assurée que les acteurs ne se contenteraient pas de "jouer le diagnostic"

Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

(De gauche à droite) : Naomi Levov, Ron Majar et Ben Yosipovich (Crédit : Affiche Tribecca)
(De gauche à droite) : Naomi Levov, Ron Majar et Ben Yosipovich (Crédit : Affiche Tribecca)

Écrire une série télévisée sur les personnes atteintes de troubles autistiques n’a pas toujours été une évidence pour Dana Idisis, bien qu’elle ait un jeune frère « sur le spectre ».

« Mon frère, c’est ma vie, alors il n’y a pas eu un moment en particulier où j’ai pensé à écrire », explique Idisis. « C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis longtemps ».

Et lorsqu’elle a finalement décidé de raconter la vie de ces personnes atteintes de troubles du développement mental, alors la série « Sur le spectre » est née.

Il s’agit de la première série écrite par Idisis pour la télévision qu’elle a écrite avec Yuval Shafferman. Elle est produite par la compagnie YES et a reçu le 4 mai dernier le Grand Prix du festival Séries Mania de Lille.

La série, diffusée sur Yes depuis le 22 mai, raconte le quotidien de trois colocataires atteints d’autisme qui vivent dans l’indépendance, dans leur appartement de Ramat Gan, cette ville proche de Tel Aviv où Idisis a elle-même grandi.

C’est surtout comment ces personnages si attachants et si humains entrent dans la vie – avec humour, avec difficulté et paradoxalement avec naturel. « Sur le spectre », c’est les récits et les rêves de trois personnages, une femme et deux hommes, haut en couleurs, à l’image du générique, rempli de toutes ces nuances de la vie. La photographie se veut intimiste et la musique envoûtante.

Ron joué par Niv Majar, atteint du syndrome d’Asperger, pourrait être un programmeur brillant s’il n’était pas effrayé à l’idée de quitter son domicile.

Niv Majar (Crédit : capture d’écran YouTube)

Amit, incarné par Ben Yosipovich, atteint du comportement obsessionnel-compulsif, grignote et sourit presque en permanence et ne pense qu’à Liron, une serveuse adorable qui travaille dans le café du coin.

Ben Yosipovich (Crédit : capture d’écran YouTube)

Zohar, interprétée par Naomi Levov, travaille chez Aroma et recherche désespérément l’homme « normal » de sa vie.

Naomi Levov (Crédit : capture d’écran YouTube)

Il y a aussi Yael (Tal Yakimov), l’assistante sociale patiente et omniprésente ; Asher, le frère aîné très protecteur de Zohar, qui est interprété par Ori Gat ; et Erez, l’ami d’Amit, joué par Avi Dangur.

Dans le premier épisode, Ron se présente à un entretien de travail tandis qu’Amit tombe amoureux de la fameuse serveuse Leeor (Reef Neeman), et Zohar, qui travaille à Aroma, tente d’embrasser son orthophoniste.

Chaque personnage est drôle tout en restant foncièrement réaliste et obsessionnel face à ses désirs. Chacun est capable, d’une manière hilarante, de pointer du doigt ce qui les ennuie chez les gens qui forment leur entourage.

« J’aurais pu écrire cela il y a des années, mais peut-être à cause de ma propre sensibilisation à ce sujet, je n’ai jamais eu de scrupules », dit Idisis. « Aller voir YES et dire qu’il fallait faire ce genre de série a toutefois représenté un défi ».

Le fait que les handicaps soient plus fréquemment évoqués au sein de la société a aidé à placer le sujet au premier plan et à l’intégrer dans la conversation générale, ajoute Idisis.

« Il ne s’agit pas encore d’une prise de conscience, parce qu’il n’y a pas d’égalité et/ou une sensibilisation complète à ce sujet, mais on en parle davantage », poursuit-elle.

Le premier travail de fiction d’Idisis était un documentaire tourné en 2013, intitulé « Turning Thirteen ». Il abordait l’année de préparation de la bar mitzvah de son frère Guy, à la synagogue de leur quartier.

Guy Idisis est autiste et le film s’est transformé en aperçu des difficultés rencontrées par la famille pour tout mettre en place.

Auteure dramatique en herbe à l’époque – ce qui est également le terrain pratiqué par son père – elle avait initialement pensé à filmer une petite partie des préparations. Elle s’est ensuite fortement attachée à ce travail de réalisation et à cette capacité de documenter ce moment particulier de leurs vies.

« Je ne pouvais plus m’arrêter de filmer », s’exclame-t-elle.

Idisis écrit depuis qu’elle est jeune et elle a produit des scénarios et des scripts alors qu’elle était adolescente, puis pendant tout son service militaire. Après l’armée, elle s’est inscrite à un atelier d’écriture local connu, en concentrant ses efforts sur l’écriture de pièces.

Elle en a ainsi écrit plusieurs, mais aucune sur la vie autistique.

Une rencontre fortuite avec le réalisateur et auteur Yuval Shafferman a révélé que lui aussi avait songé à un projet consacré aux personnes atteintes de troubles du spectre. Et pourtant, les idées qu’Idisis avait sur le sujet portaient sur son rôle en tant que grande soeur, ce qui ne semblait pas être très intéressant comme concept, explique-t-elle.

Les deux auteurs ont alors eu l’idée de s’intéresser à un foyer pour adultes handicapés, une configuration familière en Israël et « une sorte de ‘Friends’ revisité », dit Idisis, se référant à la série populaire des années 1990 qui explorait la vie de six jeunes amis vivant à New York.

L’idée lui a semblé cohérente, parce qu’il ne s’agissait pas spécifiquement de son frère ou de son rôle de soeur – même si elle apporte à la série certaines de ses expériences vécues – mais plutôt d’un groupe de personnes et des défis qu’ils sont amenés collectivement ou individuellement à relever.

Guy Idisis, à gauche, et Dana Idisis dans « Turning Thirteen » un documentaire de 2013 consacré à son frère (Autorisation : ‘Turning Thirteen’)

Lorsqu’ils se sont finalement décidés sur le concept de l’appartement en colocation, elle a alors su qu’il y aurait un Amit – le comportement obsessionnel-compulsif étant familier pour elle. Elle s’est également sentie à l’aise pour imaginer le personnage de Zohar, une personnalité aspirant à l’indépendance et à l’acceptation mais dont le frère la protège, effrayé à l’idée de ne pas être à la hauteur – sans aucun parent encore en vie pour prendre soin d’eux.

La phobie sociale, le troisième sujet, est la difficulté poignante de Ron, atteint du syndrome d’Asperger.

Dans le cadre de leurs recherches, Idisis et Yuval ont rendu visite à des douzaines de jeunes adultes atteints de troubles autistiques et vivant dans des foyers. Ils se sont entretenus avec des conseillers et des thérapeutes ainsi qu’avec des parents qui les aident à gérer leurs vies. Ils ont voulu montrer comment ils parlent, comment ils voient les choses, d’une manière souvent plus pénétrante – mais moins socialement acceptable – que pour la majorité des gens.

« Cela a toujours été important d’adhérer à l’angle de la conversation », a dit Idisis, « sans parler des histoires des soignants, mais bien des gens eux-mêmes ».

Ses propres parents ont grandement contribué au développement de la série, apportant toujours un nouvel angle, lisant tous les projets et aidant partout où ils le pouvaient.

Elle a été impressionnée et soulagée par – l’excellent – travail livré par les acteurs dans la série, pour leur sensibilité instinctive à trouver la bonne manière d’incarner ces personnalités compliquées.

« C’était ma grande crainte », raconte Idisis.

« Vous rêvez de votre projet, vous l’écrivez, puis les acteurs arrivent et tout peut échouer. C’est un sujet tellement sensible, Il ne s’agit pas d’un diagnostic, il s’agit d’une personne. Je leur ai dit : ‘N’interprétez pas un diagnostic, jouez en vous appropriant le sentiment’. C’est très important parce qu’ils n’ont pas tenté de seulement restituer ce que, selon eux, un autiste ferait ».

La première saison de dix épisodes s’achèvera pendant l’été. Idisis et Shafferman travaillent d’ores et déjà à la deuxième.

Idisis travaille également sur un film de fiction avec l’auteur Nir Bergman – également sur des personnages du spectre de l’autisme – mais depuis un autre angle, celui d’un fils et de son père partis en voyage. Il est basé sur un script écrit par Idisis bien avant son propre documentaire, mais qu’elle a récemment ressorti de son tiroir.

« Il y a d’autres choses sur lesquelles je veux écrire », note-t-elle. « Mais aujourd’hui, c’est cohérent ».

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : [email protected]
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à [email protected].
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.