Téléphérique de Jérusalem : architectes, universitaires, et guides sont contre
L'architecte de renom Moshe Safdie prédit une "opposition internationale" et affirme qu'aucune autre ville historique dans le monde n'a eu recours à ce mode de transport
Ceux qui souhaitent entrer dans la Vieille Ville de Jérusalem comme sur les ailes d’ange peuvent se réjouir du projet de téléphérique qui glissera sur la vallée historique de Hinnom et le long des remparts de la Vieille Ville, déposant ses passagers devant la Porte des Maghrébins, appelée aussi de façon moins raffinée « Porte des Immondices ».
Mais lors d’une réunion publique orageuse dans la ville mercredi, des architectes, des universitaires, des experts en préservation et des guides touristiques ont conspué le projet du gouvernement de transporter jusqu’à 3 000 personnes par heure dans pas moins de 72 cabines de dix personnes. Ils l’ont qualifiée de Disneyland mal pensé qui défigurera le paysage historique avec ses 15 pylônes géants, abîmera les panoramas uniques du site classé au patrimoine mondial par l’UNESCO (la Vieille Ville et ses remparts) et fera peu pour régler ce qui était considéré, par ceux présents, des niveaux inadmissibles de pollution et des problèmes de circulation qui entravent l’accès aux sites sacrés pour les trois religions monothéistes.
Des ministres, le maire sortant de Jérusalem, Nir Barkat, et au moins trois de ses successeurs potentiels aux élections municipales du mois prochain soutiennent que la ligne de 1,4 kilomètre, dont la majeure partie sera située à Jérusalem-Est, servira à la fois comme une attraction touristique et, surtout, comme la plus écologique, la moins gênante et la plus économique possible pour amener les touristes depuis Jérusalem Ouest vers le mur Occidental, site le plus visité où les Juifs pourront prier.
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Le projet, une initiative du ministère du Tourisme, circule dans la municipalité de Jérusalem depuis plusieurs années.
Il y a deux ans, Barkat – qui a récemment rejoint le Likud – a dit aux militants du parti que cela formerait une infrastructure qui permettrait au monde entier [dans cette partie de Jérusalem-Est de comprendre à qui appartient réellement cette ville, selon le quotidien Haaretz, à l’époque.
Symboliquement, le gouvernement a choisi cette année la Journée de Jérusalem – qui marque la réunification des parties est et ouest de la ville après la guerre des Six Jours de 1967 – pour annoncer un budget de 200 millions de shekels (50 millions d’euros) destiné à ce projet.
Mercredi, Aner Ozeri, responsable du développement du secteur de la Vieille Ville au sein de la Jerusalem Development Authority [JDA] – l’organe conjoint de la municipalité de la ville et du gouvernement, qui a été chargé de planifier le projet – a déclaré à la première réunion publique sur ce sujet depuis l’année dernière que 150 000 personnes visitent la Vieille Ville chaque semaine, beaucoup pour participer à certains des 160 000 événements organisés chaque année et que la solution aux problèmes de circulation ne saurait attendre.
« Nous avons besoin d’une palette de solutions, dont celle du téléphérique », a-t-il déclaré. D’autres options ont été envisagées, notamment des navettes, un train léger sur rail et un train traditionnel. Mais ils étaient soit insuffisants, soit trop éloignés dans le temps, voire même irréalisables.
Les défenseurs du Pass Rav Kav
Le téléphérique, qui est censé emmener les visiteurs jusqu’à la Porte des Maghrébins en moins de cinq minutes et commencer à fonctionner en 2021, devrait démarrer près du populaire complexe culturel Tahana Harishona [Ancienne gare] au sud du centre-ville, où il devrait passer, sans s’y arrêter, dans un dépôt de téléphérique situé dans le jardin public au bas de la rue Ein Rogel, aux abords d’Abu Tor.
De là, il naviguera au-dessus de la vallée de Hinnom pour faire escale au mont Sion, avant de continuer au-dessus du village palestinien de Silwan jusqu’à sa destination finale – le centre Kedem encore à construire – un complexe important à plusieurs étages que la controversée Fondation City of David prévoit de construire sur le parking Givati, près de la Porte des Maghrébins.
La fondation – surtout connue pour le parc archéologique national qu’elle gère sous le nom de City of David – cherche à faire venir des familles juives à Silwan, qu’elle appelle la Cité de (roi) David.
Elle s’emploie également à créer des parcs et des projets touristiques pour étendre la présence juive à l’intérieur et aux abords du secteur de la Vieille Ville.
Ozeri a déclaré aux participants à la réunion – initiée par la Société pour la protection de la nature et tenue à l’Institut d’études israéliennes de Jérusalem – que le téléphérique constituerait une solution confortable, silencieuse et écologique, nécessitant peu de terrain et répondant aux défis posés par le relief. Aucune maison ou toit n’aurait à être démoli le long de l’itinéraire choisi, a-t-il promis.
Les passagers se rendraient à l’Ancienne gare en empruntant une ligne de tramway actuellement en cours de planification qui fera partie d’un système de transport en commun beaucoup plus vaste, à l’échelle de la ville, comprenant tramways, autobus et même un train. La ligne rapide Jérusalem-Tel Aviv, dont l’ouverture partielle est prévue ce mois-ci, sera éventuellement prolongée dans la ville.
Le pass appelé Rav-Kav (multi-route, en hébreu) utilisé pour les tramways et les bus serait également utilisable pour le téléphérique, le gouvernement en subventionnant le coût.
Des solutions de stationnement devront encore être trouvées près de l’Ancienne gare. Des bus y déposeraient les touristes et des parkings spécialement aménagés à Har Homa et Givat Hamatos, à l’extrême sud de Jérusalem, seraient ensuite accessibles en voiture.
M. Ozeri a ajouté que le projet profiterait également aux résidents de Silwan.
L’architecte du projet Mendy Rosenfeld a assuré que le téléphérique ne dépasserait pas la hauteur des murs de la Vieille Ville et qu’il ne survolerait « que deux ou trois maisons ».
L’équipe de planification a vérifié la visibilité depuis plusieurs points de la ville et a conclu que la structure serait « presque invisible » depuis la promenade Armon Hanatziv à Jérusalem Sud, bien qu’elle soit clairement visible depuis Abu Tor et le pont de la Cinémathèque surplombant la vallée du Hinnom.
Les stations seront conçues comme des boîtes de verre pour minimiser l’intrusion visuelle, a-t-il précisé.
Les opposants
Dans une lettre dont la lecture a été faite lors de la réunion, Moshe Safdie, un architecte israélo-canadien de renommée internationale, a cependant déclaré que le projet « améliorerait sans aucun doute les infrastructures de la Fondation Citée de David » mais qu’il était mal conçu et inadapté.
Cela ne contribuerait guère à résoudre les problèmes d’accès à la Vieille Ville, ne ferait que déplacer les problèmes de circulation et de stationnement de la Vieille Ville vers l’Ancienne gare et devrait être remplacé par un parking dans le quartier juif, qui serait desservi par des navettes, expliqua-t-il.
Les esquisses des architectes sont « trompeuses », a affirmé Safdie, et les télécabines ont l’air beaucoup plus petites qu’elles ne le seront en réalité.
« A ma connaissance, il n’y a aucune autre ville historique au monde qui ait autorisé la construction d’un téléphérique dans le panorama de son patrimoine historique », a-t-il encore ajouté.
« Un système de téléphérique, proche des remparts de la Vieille Ville… créera un précédent qui, sans aucun doute, suscitera une opposition et des critiques internationales ».
Omri Salmon, directeur du Conseil pour la préservation des sites du patrimoine israélien, a également déclaré, dans une lettre, que le projet devait être abandonné.
Irit Amit-Cohen, présidente de la branche israélienne du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), a déclaré qu’elle craignait que le projet ne cause « de grands dommages » à une époque où les villes historiques du monde entier traitent délicatement de questions similaires « avec des pincettes ».
David Cassuto, ancien maire-adjoint de Jérusalem, a souligné que des villes historiques comme Rome, avec 15 millions de touristes par an, et Athènes, avec 7 millions, n’avaient pas estimé nécessaire la création de téléphériques.
Jérusalem, selon le directeur du département de la planification du ministère du Tourisme, Orly Ziv, a enregistré 2,7 millions de visiteurs dans la Vieille Ville l’année dernière.
Yoni Shapira, président de Heritage Trail, l’association des guides touristiques pour les touristes étrangers, a déclaré que le téléphérique ne modifierait pas la façon de travailler des guides touristiques pour les grands groupes, mais que ce service pourrait intéresser les familles individuelles.
L’avocat Sami Arsheid, qui représente les résidents de Silwan, a déclaré que les Palestiniens n’avaient pas été consultés et a fait remarquer que l’invitation à la réunion était écrite uniquement en hébreu.
Certains orateurs ont émis des doutes concernant le fait que les Juifs ultra-orthodoxes qui vivent principalement dans le nord de Jérusalem seraient prêts à aller dans le sud de la ville pour prendre le téléphérique pour se rendre au mur Occidental.
D’autres ont estimé qu’il était peu probable que les Palestiniens utilisent le système en raison de son lien avec la Fondation Cité de David.
Le processus de validation
La JDA a dévoilé des plans très généraux à la fin de l’année dernière et a installé un stand d’information, qui a fermé depuis, à l’Ancienne gare avec des dépliants indiquant que le projet permettrait de réduire de 30 % la circulation automobile dans la zone de la Vieille Ville et de 50 % pour les bus.
Ils ont invité des habitants de divers quartiers à quelques présentations peu fréquentées et ont produit un clip vidéo montrant les téléphériques flottant le long de câbles sans aucun pylône en vue.
En avril, les planificateurs ont présenté le projet au Conseil des parcs nationaux – l’organe de décision politique de l’Autorité des parcs nationaux, qui est responsable de la ceinture verte autour des remparts de la Vieille Ville.
Le conseil, qui a le pouvoir de bloquer le projet, était partagé.
Après une seule présentation devant le comité de planification de Jérusalem, le projet a été porté devant le Conseil national de planification [CNP] – une instance de traitement accéléré au sein du ministère des Finances mise en place pour gérer les grands projets d’infrastructure tels que les canalisations de gaz et les voies ferrées traversant les communes.
Le fait que le conseil municipal – et le ministère du Tourisme, dirigé depuis 2015 par le député Likud Yariv Levin – ait pu prendre en charge un projet apparemment local tel que celui-ci est la conséquence d’un amendement gouvernemental de 2016 à la loi de planification qui a inclus les projets pour les « infrastructures touristiques » dans la définition des « infrastructures nationales », et plus précisément des réseaux de transport touristique.
Beaucoup d’orateurs ont critiqué mercredi la proposition de ne plus confier le projet au conseil municipal, qui défend les intérêts des résidents locaux (sauf les Palestiniens qui, pour des raisons politiques, ne votent généralement pas aux élections municipales).
L’architecte Gavriel Kertesz a déclaré que le fait que le projet soit piloté par la CNP permettrait aux planificateurs d’éviter d’avoir à consulter un comité de préservation, comme ils sont habituellement tenus de le faire, et de minimiser les possibilités d’objections du public.
Kertesz a travaillé pour le secteur de la Vieille Ville et le parc national autour des remparts, qui comprennent les quartiers historiques de Jérusalem de Yemin Moshe et Mishkenot Shaananim, ainsi que pour l’église de la Dormition au Mont Sion.
Il a également fait partie de l’équipe responsable du récent téléphérique du site archéologique de Masada, dans le sud d’Israël, qui emprunte un parcours de 900 mètres sans un seul pylône.
Kertesz a fait remarquer qu’une clause de l’amendement gouvernemental de 2016 à la loi sur l’aménagement du territoire semblait exclure les projets qui, selon le plan directeur du district concerné, étaient « entourés de tous côtés par des terrains classés comme espaces verts ».
En l’occurrence, le Plan directeur du district de Jérusalem a clairement montré que 90 % de la zone réservée au téléphérique avait été classée parc national autour des remparts de la Vieille Ville.
Kertesz a indiqué que si les pylônes – dont la hauteur peut atteindre huit étages et qui n’ont pas été mentionnés lors de la réunion – seront toujours bien visibles, les téléphériques ne seront probablement utilisés que 30 à 40 % du temps, compte tenu des interruptions pendant le Shabbat, les fêtes religieuses, la nuit et les arrêts pour maintenance et réparations.
De plus, a-t-il dit, les téléphériques ne peuvent être utilisés ni les jours les plus chauds de l’été, ni les jours les plus venteux de l’hiver.
En avril, M. Kertesz a demandé à la Jerusalem Development Authority d’envisager des alternatives moins dommageables pour le paysage, telles qu’un monorail combiné à un grand parking souterrain planifié mais jamais encore construit dans le quartier juif de la Vieille Ville, près duquel sont déjà en service des ascenseurs qui emmènent les visiteurs au mur Occidental.
Les candidats à la mairie
Ofer Berkovitch et Moshe Lion – deux candidats à la mairie aux prochaines élections municipales – ont déclaré au Times of Israel qu’ils soutiennent le projet du téléphérique.
Zeev Elkin, le troisième candidat, l’a défendu dans ses fonctions actuelles de ministre des Affaires de Jérusalem.
Yosef Deitsch, un quatrième concurrent sérieux, n’a pas répondu aux demandes de commentaires.
Adnan Husseini, ministre des Affaires de Jérusalem de l’Autorité palestinienne, a déclaré que l’Autorité palestinienne réagirait bientôt à ce projet. « Tout ce qui se passe à Jérusalem-Est doit être stoppé s’ils veulent construire la paix », a-t-il dit.
Des projets similaires ?
Malgré l’opposition officielle du gouvernement français à toute construction israélienne à Jérusalem-Est – que les Palestiniens revendiquent comme leur future capitale – le projet emploie une société française de Grenoble, la CNA – Câble Neige Aménagement – spécialiste en remontées mécaniques pour stations de ski.
Cette société a été sélectionnée après que le consortium français Safege, une filiale de la société française de services publics Suez Environnement, cotée en bourse, s’est retiré en 2015 après seulement quelques mois de travail, apparemment sous la pression des organisations pro-palestiniennes en France.
Une source diplomatique française a déclaré au Times of Israel que la France, comme la plupart de ses partenaires européens, avait publié des recommandations à l’intention des entreprises et des citoyens sur les risques juridiques, financiers et de relations publiques liés à la réalisation d’activités en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
La société CNA – Câble Neige Aménagement – n’a pas répondu à une demande de commentaires.
Interrogé sur des exemples d’autres villes historiques utilisant des téléphériques, Ozeri a cité Londres (où l’installation est située dans le quartier rénové des docks) et Barcelone.
Le Times of Israel a cherché un système comparable dans des endroits sensibles et historiques à l’étranger. Les plus proches sont la Grande Muraille de Chine – où le téléphérique monte par un ravin plutôt que le long de ses murs – et une ligne de 890 mètres reliant la ville allemande de Coblence à la forteresse d’Ehrenbreitstein sur l’autre rive du Rhin.
En 2013, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a ordonné le démontage du projet de Coblence avant juin 2026 en raison de son impact visuel négatif.
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