Un Allemand, se faisant passer pour juif, sème des tropes liés à la Shoah
Frank Borner, enseignant à la retraite, a prétendu agir sous les auspices du projet "Rencontre un Juif", mais un journaliste juif a relevé des incohérences majeures dans son récit

BERLIN, Allemagne (JTA) – Un enseignant à la retraite vivant dans une petite ville reculée d’Allemagne s’est présenté comme Juif sous le couvert d’un programme officiel conçu pour faire connaître aux non-Juifs le peuple et les pratiques juives.
Mais Frank Borner ne fait pas partie de l’initiative « Rencontre un Juif » gérée par le Conseil central des Juifs d’Allemagne, selon l’organisation.
En réalité, rien ne prouve que Borner soit juif. Il a pourtant donné son point de vue sur le fait d’être juif en Allemagne à des publics qui ont peu d’occasions de le faire, en tenant des propos qui ont parfois pu comporter des relents d’antisémitisme.
« Le préjudice causé par de tels charlatans à un projet aussi important est considérable », a déclaré le Conseil central dans un communiqué.
Borner semble être une nouvelle variante du « Juif déguisé » qui affiche une fausse identité juive et construit une carrière ou un personnage public autour de cette identité. Ce phénomène existe depuis longtemps en Allemagne, où la judéité exerce parfois une fascination inhabituelle en raison de la Shoah.
Mais ce phénomène a pris une dimension publique cet été après l’émergence d’un cas très médiatisé : celui de Fabian Wolff, 33 ans, un journaliste qui a récemment révélé qu’il n’était pas réellement juif, après avoir fait office, pendant des années, de personnalité critique d’Israël.

Contrairement à Wolff, Borner n’a pas révélé son vrai visage. C’est le journaliste juif allemand Henryk Broder qui l’a démasqué dans le journal Die Welt à la fin du mois de juillet, après que Broder a assisté à une conférence que Borner donnait dans le village de Petersdorf, sur l’île de Fehmarn. Broder a relevé des incohérences, des inexactitudes et des lacunes dans l’histoire de la famille de Borner et a noté que ce dernier avait invoqué des stéréotypes antisémites au cours de sa présentation.
Par exemple, Broder a remarqué que Borner a dit que sa famille avait émigré aux États-Unis après la guerre : à « New York et Hollywood, deux villes pleines de Juifs, fermement entre les mains des Juifs ». Selon Broder, personne dans l’assistance n’a paru surpris face à ce propos, qui recoupe les théories antisémites du complot sur le soi-disant « pouvoir juif ».
Contacté par courriel pour demander un commentaire, Borner a renvoyé la Jewish Telegraphic Agency à l’Évangile de Matthieu dans la Bible : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au mal. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui l’autre joue. »
Il a ensuite envoyé une note supplémentaire par courriel. « Pendant le fascisme allemand, de 1933 à 1945, les Allemands ont traqué leurs concitoyens juifs », a-t-il écrit. « Dans la démocratie occidentale d’aujourd’hui, des Juifs s’en prennent à d’autres concitoyens juifs. »
Borner a également déclaré à la JTA que lui et sa famille n’ont jamais appartenu à une communauté juive officielle en Allemagne, bien qu’il ait insisté sur le fait qu’il avait des ancêtres juifs. « Nous avons toujours appartenu à un judaïsme libéral et politique », a-t-il écrit.
Cette affaire met en évidence la place qu’occupent les Juifs dans l’inconscient populaire allemand. « Il s’agit d’une situation très répandue, en particulier en Allemagne, où des personnes se font passer pour des Juifs ou se considèrent comme telles, alors qu’elles ne le sont pas », a expliqué l’historien juif allemand Julius Schoeps dans un reportage sur les « fausses identités juives et la question du ‘pourquoi' » diffusé le mois dernier sur la radio Deutschlandfunk.

« Je pense simplement qu’il s’agit d’un syndrome, un syndrome profondément enraciné dans la société allemande », a déclaré Schoeps. « Il s’agit d’un problème lié au fait que les gens souffrent du passé. Et ce problème peut en effet prendre des formes étranges. »
Le fait de se faire passer pour un survivant de la Shoah ou pour une personne dont la famille a subi un traumatisme lié à la Shoah n’est pas limité à l’Allemagne. Le phénomène est parfois appelé « syndrome de Wilkomirski », du nom de l’auteur suisse dont « l’autobiographie » à succès de 1995 sur la survie à la Shoah s’est révélée être fallacieuse.
Un autre cas notoire est celui de l’historienne allemande Sophie Hingst, aujourd’hui décédée, qui a composé un arbre généalogique des survivants et des victimes de la Shoah et a même envoyé 22 pages de témoignages de personnes inexistantes au Musée de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah en Israël, avant que le magazine Der Spiegel ne révèle qu’elle avait des origines protestantes. Hingst s’est suicidée il y a quatre ans, peu de temps après que le magazine a rendu son histoire publique.
La journaliste Kirsten Serup-Bildfeldt a souligné dans le reportage du Deutschlandfunk que dans de nombreux cas, il s’agit de personnes qui se sentent coupables et honteuses du passé nazi et qui souhaitent être associées au côté moralement correct de l’Histoire.
Elle a cité, sans les nommer, quelques cas sensationnels :
- Le chef d’une petite communauté juive allemande qui a démissionné après que le magazine Spiegel a publié en 2018 un article remettant en cause sa biographie.
- Un homme qui s’est fait passer pour un survivant et a raconté son histoire à des groupes scolaires, en précisant notamment que son père était mort dans le camp de concentration de Buchenwald – alors qu’en réalité, son père était soldat dans les rangs de l’armée nazie.
- Une femme, dont l’identité juive a été contestée, a été responsable de la communauté juive dans une ville de l’ex-Allemagne de l’Est avant l’unification allemande.
- Un critique virulent d’Israël qui prétendait être l’enfant de survivants, mais dont la mère était une femme au foyer allemande et le père un soldat de la Wehrmacht.
« Cette biographie était sa façon de se mettre dans la position d’un prétendu Juif pour parler contre Israël », a analysé Serup-Bildfeldt, qui n’est pas juive. « Les personnes qui agissent de la sorte causent d’énormes dommages à la communauté juive. Il s’agit davantage d’un problème d’ordre psychologique que d’un problème d’ordre politique, mais ils causent également des dommages sur le plan politique. »
Dans le cas de Borner, ce préjudice pourrait prendre la forme d’un renforcement des stéréotypes antisémites dans une période où ils sont déjà en augmentation. Cette tendance est l’une des raisons pour lesquelles le Conseil central des Juifs d’Allemagne a lancé l’initiative « Rencontre un Juif » en 2020 et l’a étendue à 600 conférences données par 500 bénévoles l’année dernière. L’objectif, selon le Conseil, était de détourner l’attention du passé.
« Notre idée est vraiment de présenter la vie juive d’aujourd’hui et de donner aux Juifs un visage et une voix », avait déclaré à l’époque Masha Schmerling, directrice du programme lors de son lancement, à la JTA.
Borner a peu parlé de la vie juive contemporaine lorsqu’il s’est adressé à des groupes à deux reprises en juin dans un centre d’information des citoyens dans la ville de Petersdorf. « Ici, sur l’île, je suis considéré comme un Juif », avait-il déclaré. Broder était présent dans le public lors de la deuxième session.
Son discours a été axé sur l’histoire de sa famille pendant la Shoah. Outre ses commentaires sur le contrôle juif d’Hollywood, Borner a également répété d’autres tropes antisémites. Il a déclaré qu’il s’intéressait à la question de savoir « pourquoi les Juifs sont allés à l’abattoir comme des moutons ».
« Pourquoi les Juifs ont-ils fait cela ? C’étaient des gens qui avaient de l’argent, des relations internationales », s’interrogeait Broder, selon le reportage.
Borner aurait également déclaré qu’il existait une « capacité de souffrance » particulière chez les Juifs, liée au « rôle de victime » qui s’accrochait aux Juifs « de manière archétypique, comme de la boue ».
Broder a écrit que le public « ne remet en question ni ne conteste » les références de Borner à Hollywood, et qu’il « écoute religieusement » lorsqu’il parle du rôle de victime des Juifs.

Pour Broder, les signaux d’alarme se sont multipliés au fur et à mesure que Borner racontait son histoire. Lorsqu’il parle du pogrom anti-Juif de novembre 1938, Borner décrit son orchestrateur – le ministre de la propagande nazie Joseph Goebbels – comme « un philologue titulaire d’un doctorat qui écrivait de très beaux poèmes ». Le pogrom a été « la première expérience centrale pour notre famille », racontait Borner, ajoutant que son grand-père – un médecin – a été pris par surprise, même si l’un de ses patients l’avait prévenu.
Comme le souligne Broder, les médecins juifs n’étaient pas autorisés à recevoir des patients non-juifs après l’été 1938.
On ignore encore si Borner a effectivement des origines juives. Il insiste sur le fait qu’il en ait, mais il a refusé de dire à Broder où la partie supposée juive de sa famille avait vécu et n’a fourni que de sommaires détails sur les persécutions subies par celle-ci sous le régime nazi.
Lorsque Broder a demandé où la famille juive de Borner avait vécu, « il a rejeté la question en une phrase. « Je ne souhaite pas parler de cela maintenant. »
Broder a recensé trois histoires différentes que Borner avait racontées sur le sort de son grand-père. Lors de l’événement « Rencontre un Juif », Borner avait déclaré qu’il avait été battu à mort pendant le pogrom de la Nuit de Cristal, connu en Allemagne sous le nom de Reichspogromnacht. Dans une publication sur Facebook, Borner a déclaré que toute sa famille avait survécu à la guerre parce qu’elle avait fui le pays. Enfin, Borner a déclaré au journal Lübecker Nachrichten que son grand-père s’était suicidé dans un camp de concentration.
Selon Broder, des membres de sa famille ont contacté le journal par la suite et lui ont dit que l’histoire était mensongère.
La façon dont Borner s’est retrouvé en Allemagne est restée un mystère lors de sa conférence « Rencontre un Juif », au cours de laquelle il a déclaré s’être rendu en Israël à plusieurs reprises avec ses parents, au début des années 1950. « Ce qui est assez étonnant », a noté Broder dans son article, « puisqu’il a dit être né en 1956 ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel