Une partie de la correspondance de Stefan Zweig avec son traducteur aux enchères
Cette correspondance "est capitale pour éclairer l'alchimie qui existait entre Zweig et Hella, son traducteur français et ami", affirme sa biographe
La correspondance inédite entre l’écrivain autrichien Stefan Zweig et son traducteur français Alzir Hella sera mise aux enchères mi-novembre à Paris, un événement qui mettra en lumière « l’alchimie » qui unissait les deux hommes de lettres.
Cette correspondance se compose de 99 lettres et cartes autographes ou tapuscrites, environ 120 pages écrites entre 1928 et 1939. Elle provient des descendants de Marcel Body (décédé en 1984) qui fut l’héritier d’Alzir Hella. L’ensemble, mis en vente le 17 novembre par Artcurial, est estimé à 50.000/60.000 euros.
« C’est un véritable événement pour les recherches sur Zweig ». Cette correspondance « est capitale pour éclairer l’alchimie qui existait entre Zweig et Hella, son traducteur français et ami », affirme sa biographe, Dominique Bona.
Il ne s’agit que d’une partie des lettres échangées entre les deux hommes. De nombreuses lettres adressées à Alzir Hella ont en effet été emportées par la Gestapo qui pilla l’appartement parisien du traducteur.
Correcteur d’imprimerie, syndicaliste et anarchiste, Alzir Hella (1881-1953), né en Belgique, fut à la fois le traducteur, l’agent littéraire et un ami très proche de Stefan Zweig.
Dès le début des années 1920, Alzir Hella s’impose comme traducteur de premier plan d’écrivains allemands en français. Sa traduction de l’ouvrage d’Erich Maria Remarque, « A l’Ouest, rien de nouveau », consacre l’excellence de son travail et lui apporte la célébrité. Il poursuivra ses travaux de traduction jusqu’à sa mort en 1953, à Paris.
Mais Hella réalisa surtout un travail considérable au service de l’oeuvre de Zweig et contribua largement à le faire connaître en France. « Amok ou le Fou de Malaisie », premier succès littéraire de Stefan Zweig en France est le fruit de leur première collaboration (1927).
Dans leur riche correspondance, qui sera exposée à Paris quelques jours avant la vente, il est question des oeuvres de Zweig traduites par Hella. Brièvement, toutefois, car elles ne mentionnent que des difficultés anecdotiques de traduction.
« Pour le mot ‘Gurkenkönig’, tu utiliseras une expression souriante et un peu méprisante qui donne à voir le tour de taille imposant de Louis XVIII », écrit Zweig le 9 janvier 1930 à propos de sa biographie de Joseph Fouché. Celui qui était un « roi cornichon » en allemand deviendra ainsi « un roi citrouille » en français.
Mais l’intérêt de ces lettres est ailleurs. Elles témoignent avant tout du soutien mutuel des deux hommes qui jouent l’un pour l’autre le rôle d’agent littéraire.
‘Tu as mon oeuvre en main’
Zweig déniche pour Hella les derniers succès éditoriaux allemands qui méritent une traduction, tandis qu’Hella a une délégation de pouvoir considérable pour la négociation des contrats éditoriaux de Zweig avec Grasset et Stock.
Le 28 février 1939, Zweig lui écrit : « Mon vieux, tu as toute mon oeuvre en main, tu es le seul qui en dispose ».
Les allusions au contexte politique sont rares mais lourdes de sens.
Inquiété pour ses origines juives, Zweig exprime des craintes pour son oeuvre. « C’est plus facile en France qu’en Allemagne, où nous nous dirigeons à grands pas vers la dictature… Une chasse sans faille, superbement organisée, est en marche contre nos livres », écrit-il le 7 février 1933.
L’écrivain trouve dans sa réussite en Amérique un réconfort. « Le livre (Marie-Antoinette) a eu là-bas un succès énorme et cela me console de l’autodafé allemand », écrit-il en juillet 1933.
Zweig se réfugie dans le travail « le seul antidote à une époque totalement absurde », avant de se résoudre à l’exil.
Réfugié à Londres en 1938, il s’autorise à sourire des circonstances : « Vous avez, vraiment, deux voisins charmants, entre Adolf (Hitler) et Benito (Mussolini), exactement ce que l’on appelle en bon français un ‘mauvais coucheur' ». Le 9 septembre 1938, il trouve une formule poignante pour désigner le responsable de sa détresse : « Ce monsieur de Braunau (la ville natale d’Hitler, ndlr) gâche maintenant toute notre vie ».
En 1940, Zweig part pour le Brésil, où il se suicidera le 22 février 1942.