Aleph Farms, l’entreprise israélienne qui a conçu de la viande dans l’espace
La société a prouvé qu'il était possible de produire à partir de quelques cellules de la viande loin de toute ressource naturelle et au moment où le besoin s'en fait sentir
Créer de la viande à partir de quelques cellules n’est plus seulement de la science-fiction : un cosmonaute en a produit récemment à bord de la Station spatiale internationale (ISS). L’arrivée de ces produits dans les supermarchés n’est à priori plus qu’une question d’années.
Les tests menés dans l’espace en septembre ont permis de concevoir des tissus de bœuf, de lapin et de poisson à l’aide d’une imprimante 3D.
Cette nouvelle technologie pourrait « rendre possible les voyages de longue durée et renouveler l’exploration spatiale », vers Mars par exemple, explique à l’AFP Didier Toubia, le patron de la start-up israélienne Aleph Farms, basée à Rehovot, qui a fourni des cellules pour l’expérience.
« Mais notre objectif est bien de vendre de la viande sur Terre », ajoute-t-il. Ces tests ont permis, selon M. Toubia, de démontrer qu’il était possible de produire de la viande loin de toute ressource naturelle et au moment où le besoin s’en fait sentir.
« Notre objectif n’est pas de remplacer l’agriculture traditionnelle », assure Didier Toubia. « C’est d’être une meilleure alternative aux exploitations industrielles. »
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« La viande bio et la viande cultivée pourraient être complémentaires, un peu comme le vin, les différents vins ne s’adressent pas aux mêmes consommateurs ni aux mêmes contextes, la viande cultivée serait une nouvelle option dans l’industrie de la viande », expliquait-il le mois dernier au journal Les Echos.
Soutenu par The Kitchen Hub, un important incubateur en Israël, créé et détenu par Strauss Group Ltd., le leader de l’agroalimentaire israélien, Aleph Farms a été créé en 2017 et a levé 12 millions de dollars en début d’année.
Viande ‘cultivée’ ?
Le premier burger in vitro conçu à partir de cellules souches de vaches par un scientifique néerlandais de l’université de Maastricht, Mark Post, a été présenté en 2013. Plusieurs start-up se sont depuis engouffrées sur le créneau.
Le coût de production est encore très élevé et aucun produit n’est disponible à la vente.
Viande « de laboratoire », « artificielle », « à base de cellules », « cultivée », l’appellation même fait encore débat.
Mais des dégustations ont déjà eu lieu et les acteurs du secteur misent sur une commercialisation à petite échelle assez rapidement.
« Probablement cette année », affirmait début septembre le patron de la société californienne JUST, Josh Tetrick, à une conférence à San Francisco. « Pas dans 4 000 supermarchés Walmart ou dans tous les McDo, mais dans une poignée de restaurants. »
« La question est de savoir ce qu’on veut proposer et à quel coût », tempérait toutefois Niya Gupta, patronne de la start-up new-yorkaise Fork & Goode.
Car si les innovations en laboratoires se multiplient, le secteur peine encore à maîtriser les procédés et les machines permettant de se développer à grande échelle.
L’arrivée dans les rayons des supermarchés à des prix raisonnables pourrait se faire, selon les estimations, dans les cinq à vingt ans.
Il faudrait, de l’aveu de plusieurs observateurs, beaucoup plus d’investissements. Le secteur n’avait attiré au total que 73 millions de dollars en 2018 selon l’organisme promouvant les alternatives à la viande et au poisson, The Good Food Institute.
Un autre obstacle majeur est la réglementation, encore imprécise.
Aux Etats-Unis par exemple, l’administration a esquissé en mars un cadre réglementaire partageant la supervision de ces aliments à base de cellules entre le ministère de l’Agriculture (USDA) et l’agence en charge de la sécurité alimentaire (FDA). Mais il n’est pas encore finalisé.
Etiquetage
Pour leurs partisans, les viandes et poissons à base de cellules peuvent transformer durablement le système de production en évitant d’élever et de tuer des animaux.
Des interrogations persistent toutefois sur leur réel impact environnemental, notamment leur consommation énergétique, et sur leur sécurité sanitaire.
Mais pour le poisson par exemple, « les opportunités sont énormes », assure Lou Cooperhouse, patron de la start-up BlueNalu.
« La demande (en poisson) au niveau mondial n’a jamais été aussi grande », explique-t-il à l’AFP. Or « on a un vrai problème d’approvisionnement » entre la surpêche, le changement climatique et l’incertitude permanente sur ce qui sera ramené dans les filets. Couplé à « un problème avec l’approvisionnement en lui-même » avec la présence par exemple de mercure dans certains poissons.
« Pourquoi ne pas ajouter une troisième catégorie de poisson : ‘pêché’, ‘élevé’, ‘à base de cellules' », avance M. Cooperhouse.
Créée en 2018, son entreprise développe une plateforme technologique pouvant servir à la conception de divers produits de la mer, principalement des filets de poisson, sans arête ni peau.
La littérature scientifique sur les cellules souches, le génie biologique ou l’impression de tissus organiques existait déjà, fait valoir le directeur technologique de BlueNalu, Chris Dammann. « Il fallait tout réunir et l’optimiser. »
La montée des protéines à base de cellules animales n’effraie pas vraiment l’agriculture traditionnelle.
« C’est sur notre radar » et « certaines personnes, pour des raisons sociétales, voudront manger ce produit », admet Scott Bennett en charge des relations avec le Congrès pour le principal syndicat agricole américain, Farm Bureau. Mais le marché est vaste et va encore grandir avec la consommation croissante de protéines animales dans les pays en développement.
L’important selon lui est de ne pas induire en erreur le consommateur et de s’assurer que l’étiquetage est clair.